INTRODUCTION
1.Prolégomènes.
" Mais il y a plus de réserve explosive dans un constat pur et simple dhuissier, sil est honnête et bien fait, que dans les tonitruements dun réquisitoire ". Cette épigraphe de Georges Belmont préfigure lautorité morale que recèle le constat dhuissier de justice, dont nous verrons quil ne sest départi depuis trente ans. Bien entendu cet aphorisme paraîtra excessif à bien des égards, mais il contient une part bien réelle de réalité, sinon de vérité, dans le sens où lon attache de plus en plus dimportance à lécrit dans le cours des procès, au grand damne des avocats plaidants, pour le plus grand bénéfice du constat, pièce essentielle on le verra, tant dans le domaine contentieux que pour la prévention des litiges. En ce sens, linstitution du procès-verbal de constat participe de la réforme de la justice, en tant que moyen de réduire les coûts du procès, parce que le constat est tout à la fois peu onéreux mais également faiblement chronophage, cela dun point de vue contentieux ; mais il y contribue également en termes de prévention des litiges, et cela de façon de plus en plus prégnante, ce qui va dans le sens dun sentiment de justice qui doit imprégner les justiciables, non pour se faire justice par eux-mêmes, mais pour apprendre à composer. Cest sous cet aspect que le constat peut revêtir les qualités dun mode alternatif de règlement des conflits, où il va devenir ladminicule dune médiation, dune conciliation ou encore dune transaction.
Comment élaborer une définition du constat, abréviation du procès-verbal de constat ? Le mot ou lexpression, cest selon, parait éloquent. Le constat, terme générique, dont on voudrait bien quil soit le nouvel emblème de la profession, cest à dire pour montrer comment lhuissier de justice est au cur du monde judiciaire et pas seulement le père fouettard tant décrié des effigies de Daumier ou de Balzac, aux symboles plus actuels du film Les Trois Frères. Ce pourquoi la Chambre Nationale des Huissiers de Justice a peut être décidé daugurer une campagne de promotion du constat (sil en avait besoin) sur les radios du service public durant lannée 2000, en forme de contrepoids. En tous les cas il est certes décelable que dans lesprit du quidam, lhuissier de justice nest plus seulement un oiseau de mauvais augure.
Cependant, et parce que les choses qui vont sans dire, vont encore mieux en les disant, il faut rappeler que cette activité de constatations, que nous allons élucider à travers le personnage phare quest lhuissier de justice, qui à la longue s est avéré être un spécialiste du constat, nétait pas, jusquaux premières réglementations professionnelles de 1955, attribuée à lhuissier pour ses compétences spécifiques, et pour cause, car linstitution a fait ses gammes de façon totalement prétorienne. Ce qui motivait les commissions dhuissiers de justice était laura de leur qualité dofficier ministériel. On pourra donc se poser la question de savoir si avec cette spécificité et au nom de cette qualité, de tels constats ne doivent pas se voir revêtir une force probante accrue ; question qui restera donc réservée.
M. Foucart posait les frontières du procès-verbal de constat par huissier, selon quil est "lacte (instrumentum) dans lequel un huissier, agissant en sa qualité dhuissier, relate les événements qui se sont déroulés en sa présence, décrit létat et la situation des choses ou des lieux quil a vus lui-même, rapporte les paroles quil a entendues, le tout sans y joindre aucune appréciation personnelle, sans en rechercher ni les causes, ni les conséquences ". Cest de cette définition très clairvoyante, car très proche du décret du 20 mai 1955, que lon peut retirer la substantifique moelle, avec toutefois quelques écueils on le verra, qui ont fait les beaux jours de la doctrine.
On peut dès lors augurer la finalité du constat, qui constitue lun des moyens détablir la preuve dune situation de fait par des constatations matérielles. Nous verrons quil revêt une place prépondérante dans lordonnancement juridique de ladministration judiciaire de la preuve, mais aussi parallèlement dans la pratique, en ce quil est un moyen rapide et efficace de préconstituer ou de préserver la preuve dune situation factuelle. Il nest point besoin de rappeler combien le rôle de la preuve est essentiel en procédure, ce dont ladage latin "parum est non esse probari " sétait déjà fait lécho.
Le constat, empreint de la "patte" de lhuissier, cest à dire de la garantie de fiabilité et de probité que peuvent offrir les caractères dofficier public et ministériel que revêt la fonction, est en quelque sorte le fer de lance des procédés de preuve dans le milieu judiciaire ; on en veut pour preuve la primauté qui lui est attachée par le Nouveau Code de Procédure Civile, laquelle a été réactualisée notamment par la réglementation du décret du 28 décembre 1998, qui a contrario, a parachevé la subsidiarité de lexpertise.
Le constat, cest aussi lunité, en ce quil est assujetti, malgré la diversité des domaines quil peut recouvrer, à une assise juridique unique dun point de vue probatoire. Cest aussi cette unité qui en fait un instrument malléable : en effet, en dépit dune dualité de surface, prétorienne et essentiellement didactique, constituée dune part par les constats à la requête de particuliers, donc a priori purement préventifs et hors contentieux, et dautre part ceux initiés dans un cadre judiciaire, il faut réaliser combien ces deux espèces ne sont issues que dun même genre qui est de gérer au mieux les éventualités de situations de fait à risques. On ergotera peu sur le point de savoir si, in fine, ces deux catégories ne trouvent pas lieu dêtre, puisque de manière empirique, les constats judiciaires, sur commission, et ce, malgré le pouvoir du juge dordonner doffice des mesures dinstruction, sont dans leur grande majorité rendus sur proposition des parties. Cest bien en ce sens que se développe lidée dune unité existentielle des constats.
Mais sil y a bien une unité dans le constat, cest un truisme que dexprimer lidée quil sinscrit par ailleurs dans la pluralité. Ne serait-ce que dun point de vue matériel, on ne peut définir un domaine daction précis du constat : du relevé kilométrique du compteur dun véhicule, en passant par un état des lieux descriptif, jusquau protocole de raffinage de produits pétroliers, on a tôt fait den déduire la nature protéiforme de la notion de constat; dès lors rechercher une typologie va nécessairement nous amener à ne pas être exhaustif, ce dautant que le droit nest bien contingenté que dans les livres et sur les bancs des facultés, quand la réalité juridique est faite de chevauchements, de problèmes qui sont aux confins de matières déterminées a priori, quand le constat est la réalité à létat brut. Dautre part, une vision structurelle du constat nous incite à le fragmenter de manière didactique : nous allons aborder la distinction traditionnelle des constats élaborés sur réquisition des particuliers, face à ceux requis en vertu dune décision judiciaire. Cette répartition usuelle au sein des constats, sil est vrai quelle ne correspond pas à une réalité pratique, emporte toutefois des incidences quant à la latitude du constatant dans les possibilités de procéder à sa mission.
La preuve va se situer au cur de la mission de constat, et dès lors que la matérialité de faits allégués va être compromise ou alors que le bien sur lequel repose un droit va être en état de péril imminent, on comprend tout ce que va pouvoir apporter le constat dhuissier de justice, en tant quinstrument de célérité, et defficacité. Il est vrai que si le Nouveau Code de Procédure Civile permet le recours à divers modes de preuve, ceux-ci ont été rationalisés quant à leur utilisation, ce notamment par une réglementation récente qui a apporté une hiérarchie en leur sein ; encore faut-il avoir appréhendé la genèse du constat pour comprendre son rôle aujourdhui.
2. Historique.
Notre droit tel quil existe aujourdhui provient pour lessentiel du XIXe siècle ; or le terme de constat, ou de procès-verbal de constatations qui est la seconde acception dune même réalité, napparaissent pas dans les divers codes, ni non plus dans les dictionnaires ou encyclopédies dalors. Pourtant le terme-même de constat, sil nest pas très ancien dans lhistoire juridique, recouvre une réalité qui lui était préexistante. Et si lon en croit
M. Daniel Baboz, les premières affres de ce qui allait devenir une véritable institution, sont apparues dès le XIVe siècle. Ainsi lauteur révèle que "les magistrats des Parlements prirent lhabitude de confier à leurs huissiers audienciers des missions spéciales, des vérifications diverses, et la première dont on trouve trace aux Archives Nationales remonte au 12 février 1342 ". Il apparaît en outre que la pratique fut assez courante.
Le constat va tomber en disgrâce à compter de la Révolution et ce, durant tout le XIXe siècle. Toutefois, il faut remarquer les lois du 5 juillet 1844 et du 23 juin 1857 en matière de brevets et de marques de fabrique, qui donnent à leurs bénéficiaires la possibilité de faire procéder "par tous huissiers, à la désignation et description détaillée, avec ou sans saisie, des objets prétendus contrefaits". Cest très certainement une branche connexe des constats quest la saisie-contrefaçon, en ce quelle est mâtinée du sceau monopolistique des attributions de lhuissier (cest en effet un acte dexécution), mais contrairement à lopinion de M. Perrot, il faut en dire que cet acte est inscrit dans le cadre dune saisie, dans le sens où il y a bien une phase dédification dun constat dénommé comme tel. Ces deux lois vont en quelque sorte donner naissance à la lignée des constats daudience, sinon des constats délivrés en vertu dune ordonnance. En cette matière quest la protection de la propriété industrielle, une descendance sera assurée avec les lois du 14 juillet 1909 sur les dessins et modèles, du 31 décembre 1964 sur les marques de fabrique, de commerce et de service, du 2 janvier 1968 sur les brevets dinvention. Or le constat, même jusquau début du XXe siècle a fait lobjet dune valse hésitation. Ce nest quensuite que lidée fut reprise par certains Présidents du Tribunal Civil de la Seine qui en consacrèrent linstitutionnalisation, et cela toujours de manière prétorienne.
Le Président du tribunal tient de larticle 54 du décret du 30 mars 1808 le droit de répondre à toute requête à fin darrêt ou de revendication des meubles ou marchandises ou autres mesures durgence. La doctrine et la jurisprudence ont donné de ce texte linterprétation la plus large et admis que le pouvoir présidentiel pouvait non seulement sexercer dans les cas prévus par la loi, mais aussi dans tous les cas durgence, notamment pour commettre un huissier de justice en vue de certaines constatations.
Le premier texte qui prononce le terme de "constat" est la loi du 27 décembre 1923 relative à la création de clercs assermentés. Larticle 6 de cette loi interdit aux clercs de dresser les procès-verbaux de constat. Certains tarifs anciens des huissiers de justice prévoyaient le coût de cet acte.
Il faut attendre le décret du 20 mai 1955 relatif au statut des huissiers de justice pour que le constat fasse réellement partie de leurs attributions. Lordonnance du 2 mai 1945 en son article 1er, a défini de manière traditionnelle et restrictive les attributions des huissiers : ils sont des officiers ministériels chargés de signifier les actes et exploits et dexécuter les décisions de justice ; en outre ils avaient déjà la possibilité de devenir huissiers-audienciers, cest à dire dêtre chargés du service personnel des cours et tribunaux.
Le décret du 20 mai 1955 ne modifie en rien le monopole des huissiers défini par le texte cité précédemment. Mais dans lalinéa deux de larticle premier, le législateur offre la possibilité aux huissiers délargir le domaine de leurs activités; ainsi et en ce qui nous concerne, "ils peuvent être commis par justice pour effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter, ils peuvent également procéder à des constatations de même nature à la requête de particuliers ". Ainsi pour reprendre la formule de J.Mérimée, "lhuissier procède alors régulièrement, mais son action nest que supplétive".
Quant au décret du 17 décembre 1973, introduit dans le Nouveau Code de Procédure Civile, il tente de détrôner lexpertise, jusqualors envisagée comme unique mesure dinstruction effective, au profit des constatations et consultations. En ce qui nous concerne, au sujet des constatations, il est distingué traditionnellement deux sortes de constats :
· Ceux dressés à la réquisition dun particulier.
· Ceux requis par une commission de justice.
Le point remarquable de ces textes concernant le constat, est la légalisation du constat sur commission de justice jusqualors tant controversé. Mais pour autant le monopole nen est pas confié aux huissiers de justice, ce qui se comprend du fait que ce nest quune mission adjointe à la profession. Cependant les constatations sont de façon empirique, majoritairement requises auprès des huissiers de justice. A contrario, il faut remarquer que cette légitimation dans l exercice des constats sinscrit en contre face à la prohibition de la désignation de lhuissier de justice aux fins dexpertise.
3. Mesure dinstruction.
Pour situer le constat dans le panel des mesures dinstruction de lordre judiciaire, une étude comparative simpose.
Tout dabord, le juge peut procéder à des vérifications personnelles "( )aux constatations, évaluations, appréciations ou reconstitutions quil estime nécessaires en se transportant sur les lieux" (art.179 à 183 NCPC). Cest un procédé idéal en théorie, mais bien difficile à mettre en uvre dans la pratique, ce quon comprend mieux avec le phénomène résurgent de lengorgement des tribunaux. Le débordement des magistrats est tel que le transport sur les lieux est devenu une arlésienne. La commission dun technicien nest dès lors quun palliatif tout trouvé mis à leur disposition.
Viennent ensuite la comparution personnelle des parties (art.184 à 198 NCPC), et les déclarations des tiers (art.199 à 231 NCPC) qui ont leur domaine propre puisquil sagit essentiellement dentendre des témoins privilégiés, sous forme dattestations ou denquêtes. Par contre si un fait matériel peut être relaté aussi bien par un témoin que par un constatant, la préférence à ce dernier simpose. Le témoin relate les faits passés et
sa mémoire peut lui faire défaut. Il fera des déclarations empreintes de plus ou moins dobjectivité, la réalité de ce quil a pu entrevoir en un temps limité et sous le coup parfois dune certaine émotion ne correspondant pas avec ce qui sest réellement déroulé, alors que le constatant consigne immédiatement ce quil voit, par écrit ou désormais par Dictaphone, et la manière de présenter les faits sera plus objective, car il nest pas impliqué dans le litige. On rappellera tout spécialement que lhuissier de justice en tant que technicien constatant est astreint à une obligation déontologique de respect du triptyque "objectivité, loyauté, dignité", ce qui a priori peut constituer une garantie de tendre vers une certaine réalité, sinon à la vérité.
Enfin, en ce qui concerne les mesures dinstruction confiées à des techniciens, hormis les constatations, elles sont au nombre de deux :
· La consultation (art. 256 à 262 NCPC), technique qui a pour objet, comme la constatation, déviter lexpertise. Le consultant peut être un expert mais doit agir beaucoup plus rapidement et à moindres frais. Le juge recherche de la sorte un simple avis technique.
Il ressort donc dun comparatif de ces textes, que le code accorde aux constatations la primauté, ne serait-ce seulement du fait quelles sont les premières citées au titre des mesures dinstruction exécutées par un technicien, mais qui plus est à travers le principe de subsidiarité maintes fois mis en avant au sujet de lexpertise, cela pour lordre judiciaire.
En effet, la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives a introduit la faculté pour le juge administratif, à travers les dispositions des articles R.531-1 et R.532-1 du Code de Justice Administrative, de procéder à la commission dun tiers pour effectuer "lors de lexécution de travaux publics, ( ) des constatations relatives à létat des immeubles susceptibles dêtre affectés par des dommages, ainsi quaux causes et à létendue des dommages qui surviendraient effectivement pendant la durée de sa mission". On perçoit mieux ainsi comment le caractère téléologique de linstitutionnalisation du procès-verbal de constatations est parachevé par cette consécration administrative. Cest dire aussi la valorisation des huissiers de justice et de leur propension toute spéciale à dresser ces constats que cette instauration engendre.
4. Légitimité doctrinale et validité jurisprudentielle.
Si M. Perrot a pu écrire en 1963 que " le constat na trouvé son assise, parce quil est aux confins de lenquête et de lexpertise", nous pensons quaujourdhui son opinion serait différente, et cest lobjet-même de notre démonstration. Parallèlement il poursuivait ainsi : "Ou bien on demande un avis technique ou bien il ne sagit pas dun avis technique, mais alors on peut se demander en vertu de quels principes le juge peut ainsi se décharger de sa mission (sur lhuissier)". Cette prise de position au sujet des délégations judiciaires auxquelles fait référence M. le professeur Perrot, sest également posée au sujet de lexpertise. Dans certains cas, les juges se sont déchargés de leur mission, non pas pour des raisons de facilité, mais du fait de la complexité technique du litige. Or, si la mission du constatant est bien remplie, il ne peut y avoir de délégation, puisque "le constatant ne doit porter aucun avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter" (art. 249 NCPC). Cest donc a priori une question désormais réglée, à tout le moins sen est-on accommodé, le temps des économies du déjà "parent pauvre du budget" se faisant le relais du pragmatisme conjoncturel.
Avant la promulgation du décret du 17 décembre 1973 une abondante jurisprudence sétait prononcée sur la validité du constat daudience. A titre dexemples deux arrêts peuvent être cités :
· Par un arrêt du 14 octobre 1955, la chambre sociale a déduit quen commettant un huissier pour vérifier si les preneurs avaient commis les abus de jouissance, voies de fait, et usurpations de locaux que leur reprochait le propriétaire, et en faisant ensuite état des vérifications opérées, le juge navait nullement consenti une délégation générale de ses pouvoirs.
Afin de clore toute querelle, "le réformateur soucieux dalléger le cours du procès et déviter une inversion des rôles, a reconnu au juge une très grande initiative pour définir la mission du technicien et provoquer la mise en marche et le contrôle de la mesure, en même temps quil a déterminé avec plus de précision le rôle du technicien".
Si le législateur en 1973, a défini le rôle du technicien, et plus particulièrement celui du constatant, il lavait déjà fait en 1955 en des termes à peu près semblables :
·
(les huissiers) "peuvent être commis par justice pour
effectuer des constatations matérielles exclusives de tout avis
sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter.
Ils peuvent également procéder à des constatations de même
nature à la requête des particuliers; dans lun et lautre
de ces cas, ces constatations nont valeur que de simples
renseignements.
A la lecture de ces textes, plusieurs observations simposent. Ainsi que nous lavons remarqué, les constatations ne sont pas de lapanage exclusif de lhuissier de justice. Ensuite, le décret de 1955 distingue deux sortes de constats : ceux sur commission de justice, et ceux dressés à la requête de particuliers, tandis que larticle 249 NCPC ne mentionne que les constats sur commission. Enfin tous deux saccordent sur la finalité de la mission : (le constatant) " ne doit porter aucun avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter". Par contre, au sujet de lobjet de la mission, le premier texte précise quil ne sagira que "de constatations purement matérielles". Est-ce là une omission législative de 1973 qui ne donne pas une telle qualification aux constatations ? Sans doute est-ce intentionnel car, nous le verrons plus avant, la portée pratique de cette expression a posé de nombreux problèmes, qui se sont syncrétisés autour de la pratique de laudition de sachants, laquelle a été controversée sur le point de savoir sil sagissait dune constatation purement matérielle ou non. Depuis 1973, " le technicien peut recueillir des informations orales( )" (art.242 NCPC).
En ce qui concerne la force probante, les textes issus de la loi de 1973 sont conformes aux anciens textes et à la jurisprudence. Dans tous les cas le procès-verbal de constatations na pas la valeur dun acte authentique et par conséquent, il est laissé à la libre appréciation du juge, si toutefois le constat a été dressé dans des conditions régulières.
Loin de tomber en désuétude, larticle 34 du décret de 1955 est complémentaire des nouveaux textes. Ainsi le législateur, au lieu de supprimer les anciens textes, na fait que les améliorer, par stratification (ce qui donne lieu à une inflation législative tant déplorée aujourdhui), afin que les magistrats puissent utiliser ce procédé de preuve à leur discrétion et plus aisément.
Cest pourquoi la distinction traditionnelle entre les constats requis par les particuliers, et ceux requis à la suite dune commission de justice, subsiste.
Le décret de 1973, en légalisant ce dernier a édicté des conditions qui lui sont particulières. Mais les conditions de validité, forgées par les décisions de jurisprudence, les instructions de la Chancellerie et des Parquets, sont toujours valables.
Se pose alors la question de savoir, à travers lappréhension de la notion de constat, comment ce dernier sinsère dans le droit de la preuve et quelles sont les interactions dues aux mutations de ces deux domaines.
Dans une première partie, il va sagir de réaliser le processus dinstitutionnalisation en tant que mode de preuve du constat, dont on verra quil est à dominante téléologique. Sur cette lignée va se greffer la dichotomie des constats extrajudiciaires (chapitre 1) et judiciaires (chapitre 2), qui montre lévolution de la reconnaissance du procès-verbal de constat.
Ensuite et dans une seconde partie, nous étudierons comment les constats, à travers leur régime juridique (chapitre 1), sharmonisent avec lévolution moderne du droit et de la théorie moderne des preuves, quant à leurs effets (chapitre 2).
PARTIE I- LES CONSTATS A TRAVERS LA CONCEPTION LEGALISTE DE LA PREUVE.
Prélude :
Les différentes catégories de constat ont explosé dans le sens dun recours massif à ce procédé de preuve ; parallèlement, le champ des possibles sest tellement démocratisé que tout essai de typologie du domaine des constats savère être une entreprise ardue, tant ce domaine est mouvant, et donc peu propice à se voir appliquer des critères de classification. Le constat procède en quelque sorte de ladage pénal selon lequel tout ce qui nest pas interdit est permis, et son domaine dapplication ne fera que suivre lesprit sagace et fertile des justiciables ou requérants.
En se focalisant sur le point de savoir quel rapport entretient le constat face au droit de la preuve, et en étant manichéen, on se rend très rapidement compte du fait que le constat est essentiellement judiciaire, et que comme tel, il est régi par les dispositions du Nouveau Code de Procédure Civile afférentes à ladministration de la preuve. Mais lon sait aussi que le constat existe indépendamment dune cristallisation dun contentieux. Quels liens nouent lun et lautre, comment jouent-ils leur rôle en tant que mode de preuve, comment leur histoire explique-t-elle cet acte Janus juridique, dont lune des facettes reste souvent dans lombre ? Autant de questions sur lesquelles il faut tenter de faire la lumière.
Deux axes principaux vont nous intéresser au titre de cette partie, à savoir tout dabord linsertion du constat dans le milieu extrajudiciaire (chapitre 1), comment il se réalise et pour quels objectifs. Il sera alors temps détudier les spécificités du constat judiciaire (chapitre 2).
CHAPITRE 1- Les constats extrajudiciaires :
La notion recouvre les constats requis dun particulier, et se présentent sous deux fondements : soit ils sont requis à la demande dun simple particulier (§1), soit ils le sont toujours à la requête dun particulier, mais cette fois en vertu dune prescription légale de constat (§2). Après avoir envisagé les conditions tenant à la formation et à lobjet de ces constats, nous verrons quels rapports ces deux types de constat entretiennent au regard du droit de la preuve (§3).
§1- Les constats requis par un simple particulier :
Le décret du 20 mai 1955 autorise les huissiers de justice à dresser des constats dans deux séries dhypothèses, soit sur commission de justice, soit à la requête de simples particuliers, ce que nous allons appréhender en loccurrence.
Ces constats ne font pas lobjet dune réglementation spéciale ; leurs conditions dexercice découlent des décisions de jurisprudence, des instructions de la chancellerie et de la pratique ; dune manière générale, ces conditions sont communes à celles requises pour les constats diligentés sur commission de justice.
Après avoir vu lobjet des constats sur simple réquisition dun particulier, nous aborderons le sujet des conditions préalables auxquelles est assujetti ce type de constat dabord du point de vue du requérant, puis de lhuissier de justice. Enfin nous nous attacherons aux spécificités de ce type de constat au regard du droit de la preuve.
A. Un objet protéiforme :
1. La variété des demandes de constat :
· Généralités et domaines caractéristiques dillustration du constat :
· Le constat et les personnes physiques
Il ne sagit pas ici délaborer un inventaire exhaustif à la Prévert qui tendrait à devenir homérique, simplement de donner un aperçu de ce que les procès-verbaux de constat peuvent être extrêmement éclectiques.
Sans ambages, le constat dadultère est assurément celui qui marque encore le plus lesprit du public. Point nest besoin dexposer ici les tenants et les aboutissants de celui-ci, sur lequel nous reviendrons amplement tant il a contribué à forger le régime jurisprudentiel du constat.
Mais si ce dernier a quelque peu souffert en termes de quantité et essentiellement du fait de réformes, il en est un parallèle, mais qui ne recouvre pas le même domaine du divorce, qui a su tirer profit de cette déchéance ; cest le constat dabandon de domicile conjugal, et dans une moindre mesure le constat de concubinage.
Si le premier avait sa raison dêtre dans le cadre du divorce pour faute, linstauration de modalités de divorce novées a conduit à ce que ce second type de constat sattache pour lessentiel à une rupture prolongée de la vie maritale. Mais à lheure où lon élabore des réformes du droit de la famille, et notamment avec la finalité de simplifier le divorce, on peut se poser des questions quant à la survie, en particulier du constat dadultère qui nest déjà plus que lombre de lui-même.
Cest également en matière de successions que le constat a son rôle a jouer, en ce quil va constituer linventaire des biens, tout comme cela est réalisé pour la liquidation des régimes matrimoniaux dans leur ensemble.
Un particulier peut appeler un huissier pour constater létat actuel des biens dune donation. Notamment, larticle 860 du Code Civil (modifié par la loi du 3 juillet 1971) dispose que "le rapport est dû de la valeur du bien donné à létat du partage, daprès son état à lépoque de la donation". Si le donataire reçoit un bien quil a lintention daméliorer ou de modifier, il a tout intérêt à faire constater létat actuel du bien donné, à lépoque de la donation ; sinon au moment du décès ou du partage, la valeur du bien sera calculée sans tenir compte des améliorations faites par lui. Alors que larticle 861 dispose quil doit être tenu compte des améliorations et impenses, apportées par le donataire, comme dailleurs des dégradations et détériorations.
Cest également la possibilité, eu égard au droit de visite des enfants, de faire constater la non représentation denfant ; cest lun des points dont nous réservons létude, étant donné que ce constat correspond à une catégorie de constats au sein dune typologie.
Se révèle déjà à travers le mince énoncé de ces constats possibles en matière de droit patrimonial de la famille un certain éventail dune diversité certes matérielle, mais aussi et surtout structurelle.
· Le constat et les biens.
Les litiges locatifs font également lobjet de nombreux constats. Un propriétaire pourra par exemple faire établir la mauvaise destination des locaux, tel un appartement loué à usage exclusif dhabitation, transformé en local commercial ; ou bien loccupation des locaux par une famille autre que celle à laquelle le bail a été consenti. Par ailleurs, lhuissier aura à dresser des constats en application de la loi du 1er septembre 1948, article 3 quinquiès et 3 sexiès qui prévoient quun constat est joint au bail consenti sous certaines conditions. Cest toutefois un domaine en voie de désuétude, du fait de lancienneté de la loi, et des constructions afférentes, mais aussi du fait du nouveau système suivant.
En matière locative, autre matière que nous réservons, existe en outre tout le système de protection légale, qui a récemment été rénové par la loi SRU du 30 décembre 2000. Cest le domaine du traditionnel état des lieux locatif .
Cest aussi par le constat quen matière de construction ou de rénovation immobilière, lon va pouvoir établir la preuve que déventuelles dégradations des propriétés contiguës vont provenir des travaux effectués sur le site. Preuve sera faite, permettant aux riverains dobtenir de justes réparations du fait des atteintes provoquées par laccomplissement des travaux et non du fait de troubles antérieurs.
Enfin, le simple constat daffichage dun permis de construire va se révéler être un élément de preuve capital pour le promoteur ou le propriétaire en cas de recours en annulation.
· Le constat et la vie des affaires.
Dabord en ce qui a trait à lentreprise, le constat de la présence ou non de produits va pouvoir être lélément moteur de la validité ou non dune clause de réserve de propriété, ce qui dans la vie des affaires revêt une importance considérable, en tant quatout dans la lutte contre les impayés, agissant comme moyen de pression et ce, notamment en cas de redressement judiciaire.
Cela va également pouvoir recouvrir en termes de responsabilité, le constat dimpossibilité de la conduction ou de lavancée de travaux, du fait dintempéries, de dégâts causés, ou notamment en matière de construction, dès lors que lune des entreprises devant réaliser sa part de travail na pas abouti au résultat convenu en temps et heure.
Pour le personnel de lentreprise, lhuissier va intervenir dans les conflits du travail, et ainsi permettre de sécuriser des situations souvent fragiles car sous tension, afin déviter les débordements.
Cest souvent aussi au sein cette fois de la direction de lentreprise, et plus précisément lors des assemblées générales, quun ou plusieurs des associés vont avoir recours à lhuissier en ce quil va revêtir du sceau de ses attributions dofficier public et ministériel, les procès-verbaux dassemblée.
Enfin on doit rappeler que si lentreprise créée, elle ne va pouvoir faire constater les contrefaçons de ses produits que par un constat dhuissier sur lequel le tribunal pourra se prononcer quant à la réalité de la contrefaçon.
· Description de certaines formes particulières de constats, comme les jeux, concours, loteries.
Afin de donner un maximum de confiance au public, les organisateurs de jeux, concours, loteries et tombolas, font appel aux services de lhuissier de justice. En ce domaine, il doit faire preuve dune extrême circonspection, car souvent ces opérations entrent en contravention avec les prohibitions législatives et réglementaires strictes en la matière. En effet même si les opérations paraissent licites, lhuissier doit sabstenir de participer au classement des concurrents, à la désignation des gagnants et se borner aux constatations purement matérielles excluant toute immixtion personnelle dans le déroulement des opérations et les décisions du jury.
Il faut en effet rappeler que lhuissier de justice dont le concours est demandé, pour inspirer au public plus de confiance dans une opération dont le but purement commercial et publicitaire va de soi, risque dêtre englobé dans des poursuites pénales comme complice ou co-auteur dun délit. En effet, larticle 410 du code pénal rend passibles de peine : "tous ceux qui auront établi ou tenu des loteries non autorisées par la loi ". Le problème se pose alors de savoir ce que recouvrent les loteries, cest à dire et en forme dune définition, daboutir au champ dinvestigation possible de lhuissier de justice.
La loi du 21 mai 1836 prohibe les loteries de toute espèce, et son article 2 précise que " sont réputées loteries et généralement toutes opérations offertes au public sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître lespérance dun gain qui serait acquis par la voie du sort".
Quant à la loi du 20 mars 1951, suivie par les décrets du 19 septembre 1951, du 5 août 1961 et du 7 avril 1971, interdit les ventes avec primes. Est ainsi considéré comme prime, "tout produit attribué aux participants à une opération présentée sous la forme de jeu, concours ou sous toute autre dénomination, lorsque, dune part, la participation à lopération ou loctroi de bonifications de points est subordonnée à un ou plusieurs achats et que dautre part, la facilité des questions permet normalement au plus grand nombre de participants de trouver la solution". La jurisprudence a alors élaboré les éléments constitutifs du délit, que sont la publicité, lespérance dun gain, lintervention du hasard, le caractère onéreux de lopération. De plus, comme aucune autorisation administrative préalable nest requise, et lhuissier de justice, concomitamment avec les organisateurs, doit apprécier la licéité de lopération projetée. Or il y a parfois intervention de coutumes, ou de circonstances de fait qui vont être le fondement de poursuites, doù la précellence dune certaine circonspection.
Là est le point dachoppement de ce type de constat, outre quil est juridiquement de faible portée, puisquil confère simplement date certaine à la mesure qui va être mise en place, se réalise dans lexpectative dans laquelle est lhuissier dentrer sous le coup dune condamnation pénale en permettant un concours, ou de mécontenter, voir perdre un client, si dorénavant le concours ou le jeu dun concurrent venait à être accepté.
2. Les mutations dans les demandes de constat :
· Naissance de constats et les mutations technologiques.
Lévolution de lobjet du constat est toute contingente et elle va ainsi suivre les innovations et même si lon rebute à lexprimer ainsi, lesprit de chicane des plaideurs ou particuliers.
Depuis quelques années apparaissent des écrits et une volonté dappréhender le domaine de linformatique, car si le milieu judiciaire est quelque peu rétif à linnovation, nécessité faisant loi, les professionnels du droit dans leur ensemble ont été contraints de sadapter. Déjà, la montée en puissance du secteur tertiaire avait infléchit lobjet du constat en ce quelle avait aboutit à la constatation matérielle de valeurs par essence immatérielles.
Mais ce sont surtout les accessoires de loutil informatique et les médias du troisième millénaire qui ont donné lieu à un développement innovant et à un florilège dans le déploiement des activités de lhuissier de justice.
Ainsi en ce qui concerne la protection du droit dauteur en matière de nouvelles technologies, il apparaît un vide juridique, car il nexiste aucune règle légale de dépôt. Or il a été développé de manière prétorienne, ce qui est une constante inhérente à lhistoriographie du constat, diverses catégories de constats aux fins de protection.
Tout dabord le procès-verbal de dépôt dun logiciel. Certains huissiers ont usé pour cette occasion, de la possibilité qui entre dans leur mission dapposer des scellés et détablir des procès-verbaux de scellés. Dès lors les scellés vont être effectués, soit chez lhuissier et conservés en son étude, soit sur un site et conservés sur place. Rappelons dès à présent que certaines mentions du procès-verbal de constat vont receler le caractère authentique, en particulier en ce qui concerne sa date. Cest en loccurrence lintérêt de ce procédé, en ce quil va permettre de fixer de façon certaine la date de la création du logiciel sans nécessité de déplacement, nous y reviendrons, dans la mesure où ce dernier reste sur place chez le déposant. "Cependant, et pour assurer la pérennité du logiciel, ce type de dépôt pourra être complété par une convention précisant les modalités daccès aux tiers aux programmes sources".
Ensuite le procès-verbal de constat sur lInternet, lequel va savérer utile pour des internautes utilisateurs, ou le droit dauteur. Pour les premiers, se trouvent déjà demandés des constats pour la conformité des services proposés sur lInternet lorsque le client ne trouve pas sur le réseau les services proposés et mentionnés dans le contrat. Des questions viennent alors : sagit-il dun défaut de linstallation de lutilisateur, le contrat mentionne-t-il des particularités pour linstallation en vue de lutilisation de lInternet, et que dire du constat dadultère virtuel ? La presse sest faite lécho dune récente affaire dadultère sur lInternet aux Etats-Unis. Un mari a intenté un procès à sa femme, pour avoir eu des relations sur lInternet quil a qualifiées dadultérines. Alors, comment apprécier le virtuel avec des constatations purement matérielles ? Cest un problème quant auquel nous reviendrons.
Enfin le procès-verbal de constat dans le but de protéger lauteur. Lhuissier de justice pourra encore établir un tel constat relatant le contenu de linformation téléchargée sur Internet ou dresser un procès-verbal de constat de scellés de lécrit diffusé sur lInternet. Lhiatus posé se trouve comme en matière de contrefaçon, car une fois téléchargée par une ou dix mille personnes, la version informatique ne peut plus dès lors être saisie, car chaque ordinateur recelant linformation possède potentiellement la faculté de télécharger à son tour linformation.
Il est ainsi patent que si le domaine de la preuve de linformation en ce qui concerne les nouvelles technologies, est nouveau, il peut apporter un regain de difficultés, tant dans son objet que par exemple par rapport à la compétence territoriale de lhuissier instrumentaire. Sur ce dernier point, il est à signaler dores et déjà que lInternet constitue un moyen de saffranchir des règles astreignantes, mais protectrices du ressort auquel se rapporte lhuissier de justice.
· Matières moribondes ou déchues.
Il fut fréquent quun huissier de justice soit appelé par des particuliers pour constater des dégâts matériels occasionnés par un accident de la circulation. Il devait constater les traces de pneus des voitures, létat de la chaussée, mesurer les distances etc. A Marseille les huissiers sétaient groupés afin que lun deux soit toujours disponible pour assurer les constatations le plus rapidement possible. Ici également les huissiers navaient pas dattributions spéciales, mais lusage a voulu que le public recoure à ces officiers ministériels. Les compagnies dassurance ont mené une campagne à lencontre du constat dhuissier, quelles voulaient remplacer par des constats amiables.
En effet, le remboursement des constats dhuissier pesait, selon elles, trop lourdement sur leurs budgets. Cest pourquoi chaque assuré doit désormais posséder un formulaire dans son véhicule qui est rempli en cas de collision par les propriétaires des véhicules accidentés.
Malgré les mutations technologiques évoquées précédemment, il est à rappeler que le constat dadultère est en voie de périclitation, en conséquence dune évolution des législations sur le divorce, et parallèlement dune évolution dans les mentalités qui ne conduit pas nécessairement lhuissier à recommander cette mesure, même sil est tenu dinstrumenter, sous certaines limites. En effet, et ne serait-ce que dun point de vue pécuniaire, la démarche si elle est peu coûteuse pour le client, va demander un certain nombre dinvestigations de la part de lhuissier, dont il ne va pas nécessairement être rétribué à leur juste valeur.
· Le distinguo monde agricole/monde citadin et les constats.
Cest une distinction dont on peut se demander si elle est bien légitime tant on vient de démontrer, dune part combien le constat est placé sous le signe de la diversité, ce qui infère une diversification qui englobe la ruralité, et dautre part, combien lobjet des constats est mouvant et pour ainsi dire se spécialise et se modernise : il est en quelque sorte un très bon indicateur sociologique et de létat davancée dune société. Or dans une société où le monde rural représente moins de 15% de la population, on comprend en conséquence que le domaine des constats afférents va être réduit dautant, mais va toutefois demeurer spécifique. Qui en matière de bornage, de mitoyenneté relatifs à des terrains agricoles (larpentage pourra même seffectuer par photographies prises à bord dun avion), qui en matière de servitudes de passage , etc. Il nous souvient ainsi dun procès-verbal de constat au nord de la Loire-Atlantique, au sujet dun problème bucolique de mitoyenneté. Des "palis", cest à dire des haies constituées de hautes pierres plates très courantes dans cette région, délimitaient des lots de propriété, et daprès ce que nous avions pu décrypter sur lacte notarié afférent, ces palis devaient être considérés comme mitoyens. Mais des dégradations avaient été commises par lun des propriétaires, en sus dempiétements. Or lon sait combien la cristallisation de tels conflits de propriété est souvent extrajudiciaire, et combien leur résolution va passer par des moyens divers et variés, le plus souvent délictueux, quand ce nest pas plus dramatique. Laura dont bénéficie lhuissier de justice va alors être dun grand secours en ces situations, surtout lorsque des règles tacites, qui sont autant de coutumes, interfèrent avec la loi.
A. Les conditions de la demande de constat :
1. Les conditions propres au requérant :
· Les conditions tenant à la personne du requérant.
Le problème qui se pose ici est de savoir de quelle manière le constat est susceptible dentraîner la responsabilité du requérant, et en dautres termes quelle est lobligation qui pèse sur celui-ci. Afin délucider cette question il convient de déterminer la nature de lacte de constat. Sur ce point se greffe bien entendu la dichotomie réalisée entre les actes de disposition et les actes dadministration. Cest tout naturellement dun acte dadministration dont il sagit, puisquil a pour finalité de tendre au maintien des droits dans le patrimoine du requérant, droit qui nest de ce fait pas transmissible, car éminemment personnel. Le requérant devra donc répondre aux conditions usuelles de capacité juridique (condition de minorité et de protection des majeurs), afin de pouvoir se constituer mandant de lhuissier de justice.
· Les conditions tenant à la demande du requérant.
Il en va par tradition, de ce qui est prévu par larticle 1108 du Code Civil ayant trait aux conditions essentielles pour la validité des conventions, et plus précisément en loccurrence " dune cause licite dans lobligation". Cela va avoir partie liée avec les développements suivants, à savoir quun officier ministériel ne peut agir comme "un tueur à gages", et que la fin nexplique pas toujours les moyens : lhuissier est assujetti à des obligations déontologiques.
1. Les conditions de lacceptation de lhuissier :
· Ici sexpriment les limites à lexercice du ministère de lhuissier de justice (art. 15 du décret du 29 février 1956) ou les dérogations au ministère obligatoire de lhuissier de justice (empêchements, lien de parenté ou dalliance, ordre public et bonnes murs ).
Si le ministère obligatoire est la règle, lhuissier de justice doit sabstenir dans tous les cas où son procès-verbal serait contraire à lordre public et aux bonnes murs. Il peut, et doit refuser son concours lorsque le constat requis risque dentraîner sa responsabilité personnelle sur le plan pénal. Lhuissier peut ainsi légitimement refuser son ministère lorsquil apparaît que son constat sortira dun cadre juridique précis, en raison de sa nature ou de sa destination. Notamment sil se trouve en présence dune mise en scène évidente ou si lacte sollicité est extravagant ; enfin, sil lui apparaît que sa destination est immorale, ridicule ou a but purement publicitaire, son refus dinstrumenter sera acquis comme légitime.
Les exemples en la matière sont légion. Ainsi, un huissier sest vu demander par un fabricant de maillots de bains dont le tissu devait être perméable aux rayons ultraviolets du soleil, de constater après exposition si la personne portant ledit maillot présentait ou non les marques de bronzage ! La célèbre mystification de Dorgelès faisant peindre le "coucher de soleil sur lAdriatique par Boronali" à coup de queue dâne eut gardé toute sa saveur dans le domaine pictural et anecdotique sans la participation restée légendaire dun huissier à lopération.
M. Perrot décline quant à lui les différents empêchements (de nature matérielle ou juridique) dont peut arguer lhuissier de justice, de ceux dont il ne fait pas de doute quils soient légitimes. Mais peut parallèlement se poser la question de savoir si lhuissier peut opposer un refus de ministère lorsque la cause du contrat est sans portée juridique, en quelque sorte sil peut refuser deffectuer des actes purement frustratoires. Sur cette difficulté sest agrégée la portée des constats négatifs (ce notamment pour les constats dabandon de domicile conjugal : quest-ce qui prouve que le mari nest pas en voyage daffaires et victime dune épouse mythomane ? !). Il y a bien un problème puisqua contrario dautres cas despèce montrent que les constats négatifs ne sont pas des actes inopérants (par exemple un constat de labsence déclairage, de telle protection sur un échafaudage, pouvant déboucher sur labsence de conformation aux normes de sécurité). De cette ambivalence, il faut déduire que lhuissier de justice va devoir instrumenter ; a fortiori ne peut il refuser ad nutum son concours.
§2- Les prescriptions légales de constat :
Ce sont des constats vis à vis desquels le législateur a voulu assurer un régime spécial de protection, et de ce fait lhuissier de justice, parfois à titre subsidiaire, est prévu comme technicien de constatations. Cest en quelque sorte une garantie que la réalité de létat dun bien ne sera pas flouée, que le requérant dun litige éventuel ne tire pas la couverture à lui. Ces constats sont aussi la consécration de lidée dune protection de la partie faible pour certains, ou de la propriété pour les autres. Voyons donc dabord à quoi ont trait ces constats résultants de prescriptions légales (A), avant daborder les points dorgue de ces dérogations (B).
A. Objet des prescriptions :
1) Protection des rapports locatifs :
A titre préliminaire il convient de rappeler combien les lois apparues dans un but de protection des rapports locatifs ont été prises essentiellement en faveur du locataire, jusquà ce que naisse un droit au logement, affirmé comme droit fondamental depuis la loi du 22 juin 1982, dite loi Quillot. La propriété comme droit absolu a ainsi souffert datténuations qui se sont mutées en dérogations. Si les articles 1730 et 1731 du Code civil mettent à la charge du locataire des obligations en termes de conformation à létat des lieux élaboré, depuis la loi du 1erseptembre 1948, jusquà la dernière en date, du 13 décembre 2000, dite loi SRU (relative à la solidarité et au renouvellement urbains), la plus grande part des obligations afférentes au droit au logement a abouti à ce que la majorité des normes soit désormais à la charge du propriétaire, et dans la lignée des lois sur la consommation, a instauré un nouveau droit des incapacités, au profit de lacquéreur immobilier. Mais là nest pas lobjet de notre étude, ce dautant plus que la question a été largement étudiée.
Nous devons simplement remarquer que sil y a eu un florilège de lois ayant abouti à introduire lobligation pour le bailleur, de délivrer un logement conforme à des normes de confort et dhabitabilité, la récente loi SRU pourrait en matière détat des lieux avoir des inflexions revoyant à la baisse lesdites obligations. En effet, sil avait été instauré un droit au logement sans cesse réaffirmé depuis 1982, la loi du 13 décembre 2000 contraint désormais le bailleur à délivrer un logement décent, sans toutefois se départir de ce droit au logement, cela va de soi. Tout au contraire elle le réaffirme, dautant quil est reconnu comme un droit ayant valeur constitutionnelle. De lanalyse précitée de M. E. Bazin, à laquelle on se référera pour davantage de précisions, il convient dextraire quen définitive, et avec trop peu de recul, on ne peut se prononcer sur le point de savoir si le concept de décence doit être entendu stricto sensu, auquel cas le domaine du procès-verbal de constat détat des lieux sen ressentirait très certainement ; mais lon doit exprimer quà notre avis il doit faire lobjet dune interprétation large, car la loi SRU doit être entendue seulement comme une extension du droit au logement, afin de lutter contre la location de taudis, de garages ou caves aménagées en logements locatifs, voir de logements insalubres.
Les litiges de baux dhabitation accréditent lidée dun état des lieux en fin de location, se présentant souvent comme une pomme de discorde. Or comme il a déjà été signalé, ce type de contentieux devrait à tout le moins être réduit, car aux termes de larticle 3 de la loi du 6 juillet 1989 les états des lieux dentrée et de sortie font partie des annexes obligatoires au contrat de location, quand ils ne le sont en fonction du droit commun, cest à dire selon le Code Civil. Pour autant il est peu recommandable de ne pas établir de tel état des lieux, tant du point de vue du bailleur, qui pourra in fine se voir devoir supporter les dégradations du logement et restituer au locataire sortant le dépôt de garantie. On rappelle au besoin que les dispositions de larticle 1730 du Code Civil sappliquent et font en sorte que le preneur doit rendre la chose telle quil la reçue, sauf si elle a péri, a été dégradée par vétusté ou force majeure, et également depuis la loi du 6 juillet 1989, du fait dune malfaçon, dun vice de construction et cas fortuit. Il faut nécessairement adjoindre à cet article le suivant, qui dispose quà défaut détat des lieux dentrée, le bailleur ne peut bénéficier en principe de ces dispositions (présomption de réception des lieux en bon état par le locataire).
Sans plus ergoter sur le sujet, il nous a été donné dappréhender limportance que pouvait revêtir le constat en la matière ; simplement peut-on, à linstar de M. Eric Bazin, évoquer "la question de la valeur du constat unilatéral détat des lieux établit par lhuissier de justice", à savoir que si un constat détat des lieux emporte souvent la conviction des juges, la valeur dun tel constat va pouvoir être discutée dès lors quil est dépourvu de la force exécutoire. Pourtant une analyse jurisprudentielle démontre quil va pouvoir être reconnu comme mode de preuve. Pour de plus amples développements, nous renvoyons très directement à larticle susmentionné.
1. Protection des créateurs :
Lévocation de lorigine des constats daudience dans la saisie-contrefaçon a déjà été évoquée ici. Ainsi un procès-verbal de constat dressé par huissier est disposé par larticle 47 de la loi du 5 juillet 1844, régissant les brevets dinvention ; cest également le cas de larticle 17 de la loi du 23 juin 1857 sur les marques de fabrique ou de commerce, et de larticle 12 de la loi du 14 juillet 1909. Ces textes prévoient que le procès-verbal de constat sera dressé par huissier, choisi par le requérant et agissant en exécution de lordonnance rendue par un magistrat désigné par un texte de loi qui prévoit spécialement ce mode de preuve. Depuis lors il est tout un panel de lois, inséré dans le code de la propriété industrielle, sur le fondement desquelles lhuissier de justice va être habilité à instrumenter, qui a été élaboré avec pour finalité la protection des créateurs.
Il leur offre la possibilité "de faire procéder par tous huissiers à la description détaillée, avec ou sans saisie, des objets ou instruments incriminés, en vertu dune ordonnance rendue par le Président du Tribunal de Grande Instance dans le ressort duquel les opérations doivent être effectuées, sur simple requête". Il y a bien dès lors un constat, car la saisie ne va être quultérieure afin déclairer ces constatations préalables. Nous noterons par ailleurs, tout en réservant nos développements, que les textes permettent à lhuissier dêtre assisté dun expert à loccasion des constatations.
On se contentera de donner un éventail des textes régissant actuellement cette fraction de lobjet des constats dhuissier :
· la loi du 14 juillet 1909 et le décret du 26 juin 1911 sur les dessins et modèles,
Toutefois, il est à préciser que ce domaine de la saisie-contrefaçon est actuellement en plein développement, et notamment parce quil consacre lappréhension juridique de limmatériel. En effet, on peut réaliser, au moins sur lInternet, que la vitesse de transmission, linternationalisation des transferts, lanonymat relatif, certes, des émetteurs et la facilité contingente dimplantation des sites serveurs, facilitent la divulgation sauvage des uvres, quil sagisse de textes littéraires, dimages, de sons, de jeux ou de logiciels. Comme il a déjà été exprimé, "la contrefaçon et le plagiat ne changent pas de nature, seulement de dimension". Or en la matière très peu de protections légales sont intervenues, hormis la loi régissant la protection des logiciels du 10 mai 1994, nous nen sommes véritablement quaux prémisses dun droit du Cyberespace.
1. Protection des justiciables :
Nous najouterons rien de plus aux développements concis et précis de M. J.-J. Hulaud consacrés à cette question. De telles mesures apparaissent en effet par rapport aux biens immobiliers. Tout dabord en ce que larticle 2199 du Code Civil institue les modalités de la mise en cause du manquement du Conservateur des Hypothèques à ses obligations, face auxquelles il engage sa responsabilité personnelle. "Procès-verbaux des refus et retardements seront, à la diligence des requérants, dressés sur-le-champ, soit par un juge du Tribunal dInstance, soit par un huissier audiencier du tribunal, soit par un autre huissier ou un notaire assisté de deux témoins".
Il sagit ensuite du procès-verbal de description dimmeuble pris en application de larticle 673 de lAncien Code de Procédure Civile ; il y a là une protection du justiciable grevée sur le droit de propriété immobilière, toujours éminemment considéré (malgré quelques estocades on la vu), la saisie naffectant pas seulement le débiteur saisi, mais sa famille, en tant que logement familial.
Le constat ainsi disposé par la loi va être protecteur, tant du créancier poursuivant qui possédera tous les éléments adéquats en vue de la mise à prix, car le cahier des charges aura été établi avec un maximum de diligences, que du débiteur saisi dont il est dans lintérêt de voir son immeuble vendu au meilleur prix.
On ajoutera simplement en termes dactualisation, que la loi n° 98-46 du 23 janvier 1998 relative à la lutte contre les exclusions, un nouvel alinéa 3 à larticle 673 ACPC, qui vient renforcer la protection du débiteur saisi, lorsquil est une personne physique, en lui donnant les possibilités, dabord de saisir la commission de surendettement (art.331-1 du Code de la Consommation) lorsquil se trouve en cette situation, ensuite de bénéficier de laide juridictionnelle, et que le montant de la mise à prix du logement familial peut faire lobjet dun dire, lorsque limmeuble constitue le logement familial.
A. Caractérisation des dérogations :
Il apparaît que ces procès-verbaux pris en application dune loi, sont tous relatifs à des lois de protection. Protection légale de la notion de propriété pour lessentiel ou bien dune situation de partie faible notamment pour les rapports locatifs. A terme on doit en extraire deux conséquences, que cette immixtion de la loi dans des situations à fort potentiel de risque, conduit à renforcer le procès-verbal de constat en premier lieu en ce qui concerne le principe du contradictoire, et en second lieu dans la force des constatations ainsi élaborées.
1. Renfort du principe du contradictoire :
A ce titre, la matière des rapports locatifs est la plus emblématique de cette évolution qui, on la déjà exprimé, transcende le droit procédural, autant que les droits substantiels. Cest la loi elle-même qui a pris en compte laspect contradictoire que devait revêtir le procès-verbal détat des lieux. Lintérêt bien compris de ces lois étant certes de protéger le bailleur et le locataire ou le preneur, mais aussi et surtout de lutter contre une inflation de ce type de contentieux, qui tendait à devenir un contentieux de masse quil était très difficile de gérer, en raison du caractère subjectif des allégations, et de la surenchère dinvectives à laquelle il donnait lieu. Ne dit-on pas quil vaut mieux prévenir que guérir ? En tous les cas, cette prise en amont du problème, de létat des lieux dentrée, conjuguée avec des soins palliatifs, représentés par celui de sortie, ont lavantage de sécuriser les relations juridiques autant que de rasséréner les parties au contrat.
Pour autant cela nest pas la panacée, et létude réalisée par M. E. Bazin du constat unilatéral détat des lieux le confirme. Elle réalise combien ce rapport au contradictoire va pouvoir être floué, et combien les obligations nées dune loi sont parfois difficiles à mettre en uvre, dans une société où il est souvent préféré voiler les réalités. Le contradictoire ne va pas de soi !
Si les précédentes remarques peuvent se poursuivre ici, en ce que laspect contradictoire des constatations va trouver un regain dintérêt pour le juge, cest très nécessairement parce que deux opinions concordantes, prise sous légide de lhuissier, valent mieux quune seule.
Par ailleurs, en ce qui concerne cette fois la protection des créateurs, il est à noter que ces instaurations légales, si elles sortent du strict cadre des constatations en ce quelles sont nécessairement liées à la saisie qui va pouvoir en résulter, comportent, on le rappelle, une part prépondérante de renseignements sur lesquels le juge va se prononcer quant à la réalité de la contrefaçon. Cest de cette manière que les créateurs requérants vont être protégés par ces lois dordre public, impératives, contre les fraudes obtempérées à légard de leurs droits. Le renforcement des constatations va être dautant plus prégnant quil est nécessairement imprégné de la loi de laquelle il découle. Cest donc un système de preuve légale, vis à vis duquel le juge nest pas lié puisquil dispose dun pouvoir dappréciation. En cela aussi la force des constatations sen ressentira, puisque ce contrôle préalable leur donnera davantage de vigueur.
§3- Constats à la requête de particuliers et droit de la preuve :
Les choses qui vont sans dire, allant mieux en les disant, il faut désormais préciser la finalité du procès-verbal de constat au regard du droit de la preuve. Le caractère extrajudiciaire du constat à la requête dun simple particulier nest donc pas anodin et va démontrer un rôle parajudiciaire que lon peut qualifier dà toutes fins utiles. La première de ces fins étant plus précisément celle dune préconstitution de preuve, soit parce que la partie désire figer une situation en vue de se ménager celle-ci (rôle de préservation), soit quelle a la volonté de conférer une certaine force à un engagement (véritable préconstitution). On sent donc combien le constat sur réquisition dun particulier est aux confins du judiciaire ; cest pourquoi nous verrons donc successivement le rôle extrajudiciaire du constat sur réquisition dun particulier (A), puis très justement son rôle judiciaire (B).
A. Rôle extrajudiciaire :
1. Ancrage du constat dans la préconstitution de la preuve :
Le constat à la requête dun particulier se rapporte à un aspect comminatoire que revêt, on la exprimé, le charisme de la profession dhuissier de justice.
De ce fait, ce vont être essentiellement des aménagements de preuve que vont réaliser les particuliers, entendus au sens large, cest à dire tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales.
Cest dire que les constats vont être au cur de relations en général : soit en ce qui concerne le plus souvent des dissensions diverses et variées entre personnes privées, soit au sein de relations entre particuliers et une entreprise ou entre entreprises.
Il ny a bien entendu quun pas pour que cela participe dune prévention des litiges.
Parallèlement à ce qui vient dêtre exposé, cest aussi pour lhuissier diligent et soucieux de sa mission un moyen de dépasser son simple rôle dexécutant afin de se réaliser en tant que véritable auxiliaire de justice.
On aborde ici le rôle de conseil que peut être amené à jouer lhuissier de justice. En effet, les constatations vont souvent être loccasion de déterminer lévolution dune résolution amiable ou contentieuse du différend. Nous pouvons remarquer que cet apport se réalise dautant plus que lhuissier instrumente en milieu rural. En effet, il apparaît que la spécificité à laquelle se rattache alors le travail de lhuissier, se focalise sur un déficit de juristes. Il est alors tenté, et ce sera à son plus grand bénéfice en termes de fidélisation de clientèle, de développer au mieux cette donnée de conseil. Cest lui qui va être lartisan du règlement des litiges.
De plus, lancrage actuel dans une politique judiciaire visant à éviter la cristallisation des contentieux aboutit à ce que lhuissier ait également son rôle à jouer en tant quinstigateur de perfectibilité judiciaire, avec les moyens qui sont les siens, notamment par le grand bénéfice quil retire du fait dêtre au contact permanent des justiciables. Certes on le verra, il est établi à son égard une proscription dinstrumenter avec une finalité transactionnelle. Mais elle entre dans le cadre des délimitations judiciaires de la mission en ce qui concerne les constats daudience, et plus précisément linterdit de la délégation du pouvoir de juger. Ainsi et à notre avis, cela ne concerne strictement que ce domaine des constats daudience : il va être laissé la possibilité à lhuissier deffectuer conciliation, médiation ou transaction. Ces options sont situées dans une juste continuité des pouvoirs, ou plutôt de sa capacité à optimiser sa mission de conseil, dont nous verrons plus avant les modalités de réalisation.
B. Rôle judiciaire :
1. Le constat prévention et la survenance du litige :
A linstar de Me J.J. Hulaud, on peut exprimer lidée que "Le constat-prévention doit se révéler comme un acte de bonne gestion pour le chef dentreprise, et comme un acte de bon père de famille pour le particulier". On comprend tout le bénéfice de sécurisation que va revêtir un tel constat, quand le litige va se porter devant les tribunaux. Car même sil est susceptible de preuve contraire, il est indéniable que le justiciable qui a fait élaborer une telle preuve, va partir à la corde dans le tour de piste judiciaire.
Peut être même il y aura-t-il une désaffection, un désistement, face à laspect comminatoire que recèle le constat dhuissier. Un effort consenti est toujours payant, même sil ny a aucune certitude quant au triomphe de laction.
Le particularisme du libéralisme de la profession dhuissier dans ce domaine des constats à la requête de particuliers doit être entendu comme une source dinnovations puisque, et comme souvent, on passe dune effectivité et dune réussite prétorienne, à une ratification ou une entérination légale. Ainsi il est apparu quau-delà de laspect comminatoire du constat, les qualités intrinsèques, de rédaction, dobjectivité, de réalisme ont contribué à ce que matériellement, une évolution se ressente dans leur prise en compte en tant que preuve. Le problème est ici posé de cette reconnaissance légale, même si lon peut interpréter lavènement de la réglementation du décret du 28 décembre 1998, insérant un article 1441-4 NCPC, comme une reconnaissance tacite de cette idée, qui ne fait pourtant pas lunanimité parmi les praticiens ; à notre humble avis, cette réticence qui fait montre dune volonté de limitation du rôle de lhuissier à celui dexécutant, nentre pas en faveur de la vision extérieure de la profession, plutôt regardée comme le glaive de la justice, alors quune telle opportunité montre dabord une maîtrise de compétences juridiques en dehors du domaine régalien des procédures dexécution et ensuite que lhuissier peut aussi être doté dun gant de velours.
Cette mutation possible du simple constat comminatoire au constat ayant force exécutoire a été développée par des praticiens, qui avaient bien avant que larticle 1441-4 du NCPC ne naisse, utilisé un semblable mode de procéder. En effet, ce type dhomologation judiciaire ainsi instituée, sur la base, par conséquent dun contrat, va revêtir des qualités, notamment en termes de rapidité. Mais si la célérité est certes de bon aloi dans la conjoncture judiciaire, il ne faut pas sacrifier la qualité et les principes juridiques sur lautel de cette idée. La principale difficulté posée se trouve en effet dans le fait que cette reconnaissance en forme dhomologation judiciaire dune transaction, est un contrat judiciaire certes, mais seulement un contrat. Cela pose évidemment le problème des recours face à cette mesure qui nest pas une décision judiciaire. Nous en dirons simplement quils se situent en termes succincts, dans les voies de nullité offertes de manière générale pour les contrats.
Cependant, lenjeu de la reconnaissance dune telle possibilité est très important, dautant que les présidents des Tribunaux de Grande Instance qui avaient procédé à de telles homologations de transactions ne le faisaient pas à la légère. Il reste toutefois à déterminer une réglementation plus sereine de la transaction, chapitre qui ne comporte quun seul article. On peut aussi y voir une étrange similitude avec la saisie-contrefaçon, dans le sens où il se passe aussi une phase de prononcer sur la réalité de la contrefaçon, quon réalise en matière de transaction exécutoire au terme dun constat, par le prononcer du juge sur les éléments substantiels de la transaction. Nous nentrerons pas plus avant dans une polémique qui réserve encore bien des développements, simplement pour exprimer lidée que cest à nouveau ici un processus dinstitutionnalisation téléologique qui voit son avènement, et la perspective de réussite dun moyen palliatif aux traditionnels modes de résolution judiciaire des conflits, nest pas une mauvaise chose en soi. Et à notre humble avis, la doctrine et le sens des responsabilités rendent parfois raison à Molière, qui faisait dire à lun de ses personnages : "Je hais ces curs pusillanimes, qui, pour trop prévoir les conséquences dune chose, nosent rien entreprendre".
CHAPITRE II- Judiciarisation du constat :
Il sagit de réaliser quau-delà des nécessités afférentes à la réussite des constats sur réquisitions dun simple particulier, il y a eu une révélation de ce que le constat pouvait ne pas être utilisé que sur linitiative dune partie, mais aussi au profit des autorités judiciaires et lon peut dores et déjà laisser entrevoir quil a tellement fait école que les juridictions administratives ne sont pas demeurées en reste à son égard. Il apparaît donc une institutionnalisation, sinon une démocratisation verticale du mode de preuve quest le recours au procès-verbal de constatations.
Mais cest sans compter le fait quau sein même du procès civil, le constat a su se départir de son caractère de mesure dinstruction attachée au cur de ce procès, pour attraire successivement les phases pré-contentieuse, puis dexécution de la décision. Il sagit cette fois dune institutionnalisation horizontale du procès-verbal de constatations qui est inhérente à une nouvelle conception de ce que doit être linstitution judiciaire, passant par lappréhension de la notion dune prévention des litiges. Si le syncrétisme de ce concept sest réalisé par les modes alternatifs de règlement des litiges, il est à préciser que les évolutions ci-dessus révélées portent à penser que le constat est issu de la même veine, et quil pourrait bien même saffranchir de son cantonnement au domaine de la preuve, par exemple en entrant en parallèle avec la médiation.
Les constats daudience vont tout dabord nous retenir, en ce quhistoriquement ils réalisent le point de départ de lhégémonie du procès-verbal de constatations, et que cest à travers eux que sest élaborée une réglementation de référence quant à lensemble des constats (§1). Nous examinerons ensuite les autres constats judiciaires qui se sont développés sur le modèle des constats daudience, cest à dire le constat réalisé en tant que mesure dinstruction in futurum, puis celui relatif aux mesures prises postérieurement à la décision judiciaire (§2).
§1- Le constat daudience : au cur du procès :
Le processus de juridiscisation du constat répond à un besoin historique qui sest dabord synthétisé au cur-même du procès par une exigence de plus en plus prégnante dune preuve à laquelle on puisse se fier, même si, on le verra, elle nen est pas moins revêtue dune force probante tout à fait commune. Elle sexplique aussi par une nécessité de bonne administration de la justice, en ce que le juge ne pouvant personnellement procéder à la recherche des preuves, a dû, cela de manière prétorienne, recourir par le truchement des délégations, aux services de "techniciens" les plus avisés, sinon les moins reprochables. Le constat dit daudience sexplique donc par des contingences historiques issues de la pratique des institutions judiciaires (A), qui ont forgé son institutionnalisation tirant partie des réussites et des écueils relevés de façon empirique (B).
A. Naissance et juridiscisation :
1. Origine prétorienne :
·
Une institution très ancienne
On rappelle brièvement ici quun auteur en a décelé lorigine au XIVe Siècle, où les magistrats des Parlements confiaient à leurs huissiers audienciers des missions de vérification.
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Les hauts et les bas du constat.
Il ny a pas de réelle cohérence à partir du point de départ mentionné ci-dessus, mais la même pratique se perpétue, jusquà la Révolution ; après quoi et pendant tout le XIXe siècle, le constat tombe en disgrâce. Son retour va progressivement simposer, dune part à travers la législation des créateurs posant en exergue la nécessité de procéder à des constatations en vue davérer une contrefaçon, pour procéder à la saisie du même nom ; ensuite, par la pratique de présidents du Tribunal Civil de la Seine, de redonner les mêmes pouvoirs originels aux huissiers audiencier près ce Tribunal. On renvoie sans plus de formes à lintroduction pour de plus amples informations.
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La réglementation du constat au sein de la profession dhuissier
de justice : le décret du 20 mai 1955
Cest ce décret qui a inséré dans lordonnance du 2 novembre 1945 les attributions générales de lhuissier de justice, et celles plus particulières aux constats. Le texte prévoit ainsi en son article 1er dans son second alinéa qu "Ils (les huissiers de justice) peuvent être commis par justice pour effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ; ils peuvent également procéder à des constatations de même nature à la requête de particuliers ; dans lun et lautre cas, ces constatations nont la valeur que de simples renseignements".
Il est en outre à noter que les constats dressés à la requête dun particulier peuvent être établis par "un clerc habilité à procéder aux constats", ce dont dispose larticle 1er bis depuis la loi du 9 juillet 1991.
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La réglementation du constat en tant que mode de preuve
Evolution de la pensée du constat.
Nous avons évoqué une emprise verticale du procès-verbal de constatations. Bien entendu le constat a su au préalable conquérir lensemble de lordre judiciaire civil, non sans tribulations ni sans sujets de controverses. Dans la mission de constat en premier lieu, puis dans lobjet des constatations, et encore dans la force probante des constatations. Ce sont autant de questions sur lesquelles nous reviendrons. In fine, le décret du 20 mai 1955 a mis tout le monde daccord, pour les deux grandes catégories de constats que sont ceux à la requête de particuliers, et ceux en vertu dune commission judiciaire.
Il faut encore préciser que le constat en tant que mode de preuve, a, et ce malgré son régime, été pourtant refoulé pendant longtemps. Cétait au temps où, non pas Bruxelles rêvait, mais où lon avait le temps, et largent, pour procéder à des expertises grandiloquentes. Or lavènement du "Nouveau" Code de Procédure Civile a commencé dattribuer à lexpertise un rôle subsidiaire dans le choix des mesures dinstruction pouvant être diligentées. Plus récemment, le décret du 28 décembre 1998 est venu à son tour confirmer, et pour ainsi dire, parachever, ce principe de la subsidiarité de lexpertise, tout autant que les faits du litige en présence ne soient dune complexité telle quil faille y recourir.
Enfin, et pour revenir sur lappréhension verticale du constat, faut-il à nouveau relater quil a très certainement été tenu compte de la réussite du constat sur commission du juge diligenté sous les soins dun huissier de justice, puisque la loi du 30 juin 2000 sur les référés administratifs a institué deux articles, R.531-1 et R. 532-1, dans le Code de Justice Administrative, destinés à recourir en matière de travaux publics, aux constatations dun tiers sur le terrain ; mais aussi en ce qui concerne la publicité des marchés de travaux publics. Ce dernier type de constat va revêtir une importance toute particulière en ce qui concerne la transparence des marchés publics, et donc la garantie dune bonne gestion de largent public.
Situation des constatations au sein de lordonnancement juridique des mesures dinstruction.
Il nous faut rappeler ici quen létat du droit positif, les constatations sont la première mesure dinstruction prévue pour être exécutée par un technicien. De manière générale, le juge détermine la mission du constatant, qui doit ainsi lexécuter sans se prononcer sur déventuelles conséquences de fait ou de droit. Ces constats sur commission du juge vont prendre différentes formes, ce que nous étudierons. En parallèle, sont la consultation et lexpertise. Les constatations se différencient de la première, en ce quelles sont la relation brute dune situation de fait, quand la consultation se rapporte à une question purement juridique ; lexpertise, si elle nest pas définie, tient essentiellement dans les faits, dont elle constitue une analyse pointue, et donc spécialisée, dans la matérialité autant que dans les conséquences.
Le code institue directement leur ordre de prévalance par leur énoncé, qui affirme désormais un caractère impératif dune subsidiarité de lexpertise quant à laquelle nous reviendrons.
Voilà comment peut se représenter de façon succincte, le schème directeur dune situation générale du constat sur commission du juge ; voyons désormais ce quil peut receler comme mystères et spécificités.
A. Le constat dit daudience (mesure dinstruction avant dire droit) :
1.
Le constat dans le NCPC :
Une institution prétorienne : de lhabitude prise par le tribunal civil de la Seine à une extension devant toutes les juridictions.
A partir de 1920, le juge des référés de la Seine a pris lhabitude de demander à son huissier audiencier de vérifier certains éléments de fait et de lui en faire un rapide rapport. Ce procédé est séduisant car il allie les qualités de célérité et de faible onérosité. Ce mode de "vérification" va sétendre à toutes les juridictions.
Ce constat fut légalisé en son principe par le décret du 20 mai 1955. Ensuite, larticle 81 du décret du 13 octobre 1965, permit au juge de la mise en état dordonner une enquête, une expertise, une descente sur les lieux, ou des "constatations purement matérielles".
Mais si lenquête, lexpertise et la descente sur les lieux étaient réglementées par le CPC, il nen était rien pour le constat. Le CPC navait pas organisé la preuve des faits matériels par la voie du constat, toute partie pouvant en infirmer le contenu par tous moyens légaux (témoins, documents ). En outre, le juge durant linstance ne pouvait ordonner, pour la preuve des faits matériels, quune expertise, seule mesure dinstruction confiée à un tiers.
Larticle 81 du décret du 13 octobre 1965 est surprenant car cette mesure dinstruction était alors confiée au seul juge de la mise en état. Cette disposition n offrant quun domaine confiné, ne pouvant se comprendre que dans lattente dune réforme globale du CPC instaurant cette mesure devant toutes les juridictions.
Le décret du 9 septembre 1971 a repris dans son article 47 la même disposition. Il sagit aujourdhui de larticle 771 du NCPC qui ne mentionne plus le terme de constat mais dispose que le juge de la mise en état peut " ordonner, même doffice, [cette] mesure dinstruction".
Le décret du 17 décembre 1973 a réuni ces deux hypothèses de constats qui font lobjet dune réglementation unique.
Dans quelles situations seront dressés les constats sur commission ?
Au cours des développements sur les constats dressés sur simple réquisition dun particulier, il a été remarqué que leur domaine était très large, mais que lhuissier devait dans tous les cas être très prudent. Par exemple, quant au postulat quil ne peut effectuer de constatations chez un tiers. En effet, chaque fois quil y a lieu de procéder à de telles constatations, et sauf le cas où ce tiers donne préalablement à lhuissier de justice instrumentaire, son agrément pour quil effectue celles-ci, et ce en connaissance de cause, il ne peut y être alors procédé quen vertu dune ordonnance sur requête, présentée par ministère davocat ou par huissier dans les cas prévus par la loi. Ainsi, le constat dressé sur requête donnera des garanties supérieures pour le constatant. De tels constats sont ainsi usités pour relater le compte-rendu sténographique dassemblées générales dassociés, dactionnaires ou de copropriétaires. Dans cette situation précise, lhuissier et son client auront tout intérêt à agir en vertu dune ordonnance, ainsi que laffirment certaines décisions.
En lespèce, il sagissait dactionnaires qui avaient demandé lassistance dun huissier. Le juge, au vu de lurgence, avait fait droit à cette requête, mais le conseil dadministration avait fait appel. Selon la Cour, un actionnaire nest pas admis à introduire un huissier à lassemblée générale des actionnaires. La solution est fondée sur larticle 149 du décret du 23 mars 1967 qui réglemente le contenu du procès-verbal des délibérations de lassemblée. Elle en conclut que permettre à un actionnaire de se faire assister dun huissier serait aller au-delà de la volonté du législateur. Il appartient aux actionnaires qui réclament lassistance dun huissier de justice "de préciser les motifs de leur réclamation" et le juge saisi "doit apprécier ces motifs, lesquels doivent nécessairement être graves et intéresser le fonctionnement de la société". Dans le cas présent, les demandeurs navaient pas justifié lexistence de tels motifs. Cet arrêt éclaire les praticiens sur la pratique à suivre en la matière. Et il est vrai que beaucoup de personnes veulent recourir à lhuissier pour être protégées, et que ce procédé peut être gênant pour les tiers. Cette mesure doit donc être limitée aux cas durgence, lorsque les motifs sont légitimes.
La jurisprudence a aussi eu à se prononcer sur les constats dadultère. Selon une décision du tribunal civil de Lyon, en date du 29 janvier 1954, lhabilitation de lhuissier par une ordonnance présidentielle nest pas absolument indispensable à la validité dun constat dadultère, lequel, dressé à la requête dun époux, est efficace si lofficier ministériel a pu valablement instrumenter ; lordonnance a pour but essentiel délargir le pouvoir de lhuissier en lui permettant de pénétrer dans un domicile privé.
Jusquen 1976, le constat dadultère évitait la plainte pénale et permettait dobtenir le divorce en application des articles 229 et 230 du Code Civil qui faisaient de ladultère une cause péremptoire de divorce et permettaient de létablir par tous moyens.
Lors dun constat dadultère, lhuissier de justice se borne à mentionner la présence des intéressés, les éléments matériels relevés dans les lieux. In fine, seul le tribunal appréciera.
La loi du 11 juillet 1975, entrée en application dès janvier 1976, a profondément modifié le divorce et sa procédure. Aux termes de larticle 242 du Code Civil, le divorce peut être demandé par lun des conjoints lorsque les faits qui sont imputables à lautre, rendent intolérable le maintien de la vie commune en constituant une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage.
Ladultère nest alors plus un délit. Larticle 259-1 du Code Civil, en consacrant une jurisprudence constante, écarte des débats les constats dadultère dressés dans des conditions irrégulières. Selon de la nouvelle loi, lépoux doit faire constater par la voie civile, cest à dire par huissier de justice, ladultère de son conjoint. Nétant plus un délit, ladultère ne revêt plus un caractère répréhensible sur le plan pénal et ne peut plus donner lieu à un procès-verbal de police.
Larticle 259-2 du Code Civil impose la pratique du constat sur ordonnance du président du Tribunal de Grande Instance. Le constat irrégulier et en particulier établi dans des conditions constituant une violation de domicile, ne peut servir de preuve.
Depuis lapplication de la nouvelle loi, les constats dadultère sont rares. Et cest tout à fait normal puisque désormais les époux ne sont plus obligés de recourir à ce genre de stratagème pour rompre le lien qui les unit : la loi leur a offert une gamme de divorces qui ne requièrent pas nécessairement de faute. Il faut par ailleurs préciser à ce sujet que la refonte actuelle, mais toujours hypothétique, du droit de la famille passe notamment par une volonté de faciliter les lourdes procédures de divorce, ce qui, on sen doute, nest pas en faveur du constat en général ; mais nous avons déjà pu remarquer que le domaine du constat dadultère se réduisait de plus en plus à peau de chagrin.
De son côté larticle 237 du Code Civil dispose quun époux peut demander le divorce, en raison dune rupture prolongée de la vie commune, lorsque les époux vivent séparés de fait depuis six ans. Mais comment sera fixé le point de départ de la rupture ? Telle est la question que se posait en 1976 Mme Spengleur-Gagneul. Il arrive que des personnes demandent à lhuissier, sans mandat de justice, de venir constater le départ de leur conjoint ; ce constat est dit "constat dabandon de domicile conjugal". Jusqualors, on pouvait sinterroger sur le bien fondé de ce constat. Lhuissier, dans ce cas, relate simplement quil ny a, par exemple, plus deffets masculins dans les armoires, ni dans la salle de bain. Mais ce genre de constat ne pourrait-il pas constituer lun des éléments de fait permettant de fixer le point de départ de la rupture de la vie commune ?
Nous devons considérer, et cela a été entériné par la pratique, quun tel constat est véritablement important, non en tant que point de départ dune rupture de la vie commune, mais en ce quil est une preuve de cette rupture. La preuve de ce point de départ sera établie par le juge. Rappelons à cet effet que le divorce pour rupture de la vie commune établi par larticle 237 du Code Civil, sera prononcé à compter dune séparation de fait de six ans.
Cest à propos des constats dressés par les huissiers en vue de fournir au demandeur au divorce la preuve de ladultère du conjoint, que le droit de la preuve et linviolabilité du domicile ont été le plus souvent invoqués. Cest ainsi que certaines ordonnances autorisaient le constat dadultère, même de nuit, et des tribunaux ainsi saisis en avaient admis la validité. Par contre, la doctrine contestait cette dernière en invoquant la règle protectrice du domicile, établie par larticle 76 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII, qui simpose au droit civil, et donc au président du Tribunal et à lhuissier.
Larticle 76 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII autorise sous certaines conditions, lintroduction de jour au domicile dun particulier ; il précise que " ( pendant la nuit, nul na le droit dy entrer, sauf en cas dincendie, dinondation ou de réclamation faite de lintérieur de la maison". Lexception prévue par larticle 76 en vertu de lordre émanant dune autorité publique, donc de lordonnance du président, ne vise que lintroduction pendant le jour, mais rien nest prévu en période nocturne.
On ajoutera que le concours de la force publique est laissé à lentière appréciation du président qui doit expressément le mentionner dans son ordonnance. Il le fait dans les hypothèses où laction de lhuissier de justice risque de se heurter à une opposition par la force et où lintérêt des constatations prime la contrainte imposée à un tiers.
De même létendue de la mission confiée au constatant est laissée à la libre appréciation du juge. Lordonnance préparée selon lusage par lavocat, précise le but poursuivi, la mission confiée à lhuissier et les modalités particulières à ce dernier. Sil sagit dune commission doffice, le juge définira la mission de lhuissier de justice de façon précise soit dans un jugement avant-dire droit, soit sous la forme dune simple mention sur le dossier ou sur le registre daudience.
Bien quaucune décision ne définisse la mission de lhuissier en cas de constat à la simple réquisition dun particulier, lhuissier, selon lordonnance du 2 novembre 1945 ne doit effectuer que des constatations "purement matérielles". A cette seule condition, les constatations auront une valeur probante. La question est à nouveau réservée.
Le constat et la réglementation générale à toutes les mesures dinstruction (art. 143 à
178 NCPC)
Il convient immédiatement de remarquer que le titre VII du livre premier du NCPC consacré à ladministration judiciaire de la preuve rend applicables les nouvelles règles à toutes les juridictions. Ce titre VII est divisé en trois parties : les pièces, les mesures dinstruction, et les constatations relatives à la preuve littérale.
Les dispositions qui nous intéressent sont bien entendues celles relatives aux mesures dinstruction, qui font lobjet de deux volets : lun concerne les dispositions générales, lautre réglemente les mesures dinstruction individuellement.
En abordant létude du constat sur commission, il convient de signaler les principes communs à toutes les mesures dinstruction qui sont regroupés dans les articles 143 à 178 du NCPC.
Cette réglementation est elle-même subdivisée en deux sections qui se rapportent, dune part aux décisions qui ordonnent les mesures dinstruction (art.143 à 154 NCPC), et dautre part, à lexécution de celles-ci (art.155 à 178 NCPC). La première a trait aux conditions essentielles dinstauration des mesures dinstruction. Y sont définis, le champ daction des mesures dinstruction, quel rapport elles ont aux faits, et les conditions de leur mise en uvre par le juge ; cette partie de la réglementation pose ainsi les jalons génériques des possibilités daction du juge dans linstruction de laffaire. De la sorte, lui sont imposés des limites, qui sont autant de conditions de fond pour lexercice de son pouvoir par le juge. Si certaines sont matérielles (art. 143 à 146), dautres sont davantage déontologiques, voir de bon sens ( art. 147). In fine, le code envisage les recours contre la décision ordonnant ou refusant la mesure dinstruction (art.150 à 155), dont nous aborderons les arcanes plus avant.
En ce qui concerne lexécution des mesures dinstruction, le code précise tout dabord le rôle du juge (art. 155 à 156), puis celui des parties et des tiers quant à leur concours (art.157 à 163). Le rapport des mesures est ensuite envisagé (art.173 et 174).
Une troisième section est ensuite conduite, qui concerne le régime des nullités des mesures dinstruction (art. 175 à 178).
Rappelons par ailleurs que lhuissier de justice qui instrumente sur commission de justice, est envisagé comme un technicien, cest pourquoi létude générale des textes afférents à celui-ci simpose.
La réglementation spéciale afférente aux constatations au sein des mesures dinstructions exécutées par un technicien (art.249 à 255 NCPC).
Ici également il y a une réglementation à la fois des pouvoirs du juge dans la commission du technicien aux fins dexécuter la mesure dinstruction quil projette, mais aussi de ceux du technicien dans lexercice de sa mission.
Le code envisage ainsi le choix de la personne et les causes en raison desquelles ce technicien va pouvoir être récusé, et notamment du fait dun exercice de mission qui doit être réalisé in personam (rappelons à toutes fins utiles que linstauration des clercs habilités à procéder aux constats ne concerne que ceux à la requête des particuliers- Art. 232 à 235). Cette réglementation concerne aussi les modulations de la mission par le juge, autant que la définition du cadre dexercice de la mission du technicien (art. 236 à 248).
Les autorités judiciaires et le moment auquel sera ordonnée la mesure.
Prémisses :
Le constat ordonné par une juridiction suppose un litige préexistant ; son but est dapporter au tribunal les lumières sur tel point qui est problématique entre les parties. Ainsi larticle 143 du NCPC dispose que "les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou doffice, être lobjet de toute mesure dinstruction légalement admissible". Larticle 232 prévoit de son côté que "le juge peut commettre toute personne de son choix pour léclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières dun technicien".
Le juge dispose dune grande liberté, dabord pour ordonner ou refuser la mesure sollicitée, ensuite pour choisir la mesure quil croit la mieux adaptée à la situation. Mais ce principe de liberté nest pas absolu et connaît donc des limites. Cest ainsi que le constat, comme toutes les mesures dinstruction, ne peut être ordonné que si la partie qui le sollicite ne dispose pas déléments suffisants, sans pour autant que cela ne vienne à suppléer la carence de cette partie (art. 146).
De même au
regard de la mesure adéquate, le principe général de liberté
va être atténué, tout dabord par larticle 263
selon lequel "lexpertise na lieu dêtre
ordonnée que dans les cas où des constatations ou une
consultation, ne puissent suffire à éclairer le juge",
et ensuite par larticle 147, selon lequel "le juge
doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour
la solution du litige, en sattachant à retenir ce qui est
le moins onéreux".
En dehors de ces limites, le juge choisit la mesure qui paraît le mieux répondre aux besoins du litige et il aura toujours la possibilité dordonner une autre mesure que celle préconisée par les parties. De plus, larticle 148 permet maintenant de façon explicite au juge de conjuguer plusieurs mesures. Ainsi on peut fort bien admettre que le juge ordonne à la fois des constatations et une expertise sous réserve des dispositions de larticle 147.
Les enjeux :
Les mesures dinstruction peuvent être ordonnées par le juge en tout "état de cause" ; il en va de même pour les constatations et aussi pour lexpertise et les consultations qui peuvent être ordonnées au moment de la conciliation ou en cours de délibéré (art.250 et 257). Devant le Tribunal de Grande Instance, les constatations pourront être ordonnées par le juge de la mise en état. En effet, aux termes de larticle 771, "jusquà son dessaisissement, le juge de la mise en état est seul compétent, à lexclusion de toute autre formation du tribunal, pour ( ) ordonner même doffice toute mesure dinstruction".
Le rôle du juge dans la délégation du technicien aux fins de constatations.
En vertu de larticle 232 déjà cité, le juge a une liberté de choix totale, ainsi le constatant ne sera pas nécessairement un huissier, comme lexpert ne sera pas obligatoirement pris sur la liste des experts. Le constatant désigné peut être une personne morale (art. 233). Dans ce cas, le représentant légal de cette personne morale soumettra à lagrément du juge le nom de la personne physique qui exécutera la mission de constatations.
En pratique lorsquun huissier est commis, il sagit dans presque tous les cas dun huissier-audiencier, alors pourtant quaucun texte ne prévoit que ce soit cette catégorie spéciale dhuissiers qui soit commise. Ce doit être une résurgence de la pratique du Tribunal Civil de la Seine, dont les présidents commettaient ce saint des saints. Rappelons en annexe que les huissiers audienciers le deviennent au terme de dix années dexercice, ce qui augure une certaine expérience des constatations.
Il se peut que le juge rende une décision modifiant une mesure déjà ordonnée. Si le juge peut à tout moment accroître ou restreindre létendue des mesures prescrites (art.149), cest au juge chargé du contrôle ou au juge qui a ordonné la mesure quincombe cette faculté (art.236). Dans le cas où les constatations auraient été ordonnées par un juge unique (tribunal dinstance, juge de la mise en état ), cest ce juge qui sera compétent pour modifier la mesure ordonnée.
Dans le cas où la décision émanerait dune formation collégiale, deux situations peuvent se présenter. Si la juridiction a chargé lun de ses membres du contrôle de lexécution des constatations, cest ce dernier qui sera compétent. Si au contraire, aucun juge na été désigné, il faudra saisir le président de cette juridiction (art. 155).
Quels sont les pouvoirs du juge en ce cas ?
Le texte est assez laconique puisquil se contente dindiquer que le juge pourra "accroître ou restreindre la mission confiée au technicien" (art. 149). Il semblerait que le juge doive se contenter de remanier la mission de lexpert, du consultant ou du constatant. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que le juge peut, à tout moment et même doffice, ordonner toutes mesures dinstruction appropriées. Le juge a donc en réalité toute latitude pour intervenir et ordonner une mesure plus adaptée à la situation.
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Le législateur se borne à édicter que "les constatations sont consignées par écrit, à moins que le juge nen décide la présentation orale" (art.250 al. 2 du NCPC). Généralement, le constatant devra déposer le constat au secrétariat de la juridiction (art.253). Les parties en recevront un exemplaire, soit par lintermédiaire du secrétaire de la juridiction, soit directement par le constatant (art.173). Toutefois le juge a la possibilité de décider que les constatations seront présentées de façon orale. Dans ce cas, il est dressé un procès-verbal des déclarations du constatant à moins que, laffaire étant jugée immédiatement, ces déclarations ne soient simplement mentionnées dans le jugement.
Les voies de recours : un principe général applicable aux mesures dinstruction avant dire droit.
Un principe commun a été édicté pour toutes les mesures dinstruction (enquêtes, comparution des parties, expertise ) : sauf les cas prévus par la loi, ces décisions ne sont jamais susceptibles dopposition (art.150 NCPC). Toutefois, les voies de recours contre une décision ordonnant une mesure dinstruction ne sont pas identiques suivant quil sagit dune consultation, de constatations ou dune expertise.
Avant toute chose il faut rappeler que les modalités de voies de recours offertes, vont différer selon le stade de la procédure. Ainsi, larticle 544 NCPC pose un principe général de validité de la voie de lappel immédiat en ce qui concerne, tout dabord "les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure dinstruction". A contrario, on en déduit que les jugements qui statuent exclusivement sur le fait dordonner ou de refuser une mesure dinstruction, cest à dire les jugements avant-dire droit, seront insusceptibles dappel. Au surplus, cette hypothèse vaut également pour le pourvoi en cassation.
Ce postulat, de manière plus spécifique, va se trouver conforté par larticle 150 NCPC. En effet, cet article, qui précise par ailleurs que lopposition nest pas possible quant aux décisions qui modifient ou ordonnent une mesure dinstruction, rappelle la solution qui vient dêtre exposée.
A fortiori, en ce qui concerne les constatations ou la consultation, la solution est conforme au principe général : aucun appel ou pourvoi en cassation nest possible si ce nest en même temps que la décision sur le fond (principe pour les décisions avant dire droit). Pour lappel il existe des possibilités exceptionnelles.
Tout dabord en matière de saisine du juge en référé, lorsquil est saisi ou népuise pas sa saisine que du seul fait du prononcé dune mesure dinstruction. Dès lors, lappel immédiat est recevable. Cest la situation très explicite dune saisine en référé sur le fondement de larticle 145 NCPC, cest à dire quand le juge prescrit une mesure dinstruction avant tout procès.
Par suite léventail des décisions modifiant ou étant relatives à lexécution dune mesure dinstruction avant-dire droit est susceptible dappel immédiat.
Par ailleurs, larticle 776 NCPC afférent aux recours contre les ordonnances du juge de la mise en état, vient repréciser les solutions ci-dessus exposées au sujet de lopposition, du contredit et de lappel. Toutefois, sur ce dernier point de lappel et depuis la réglementation du décret n° 89-511 du 20 juillet 1989, des possibilités exceptionnelles ont été instaurées, calquées quant à leur exercice sur les cas et les conditions de lexpertise et du sursis à statuer, dans les quinze jours de leur signification. Malgré tout, ce filtrage opéré des ordonnances du juge de la mise en état ne nous concerne pas.
En outre, le juge chargé du contrôle des mesures dinstruction sest vu octroyer des pouvoirs certains pour trancher les difficultés qui peuvent survenir au cours de lexécution des opérations de même quil a la possibilité de modifier la mission du technicien commis (art. 167 NCPC).
Aucune opposition nest possible contre une telle décision. Lappel et le pourvoi en cassation ne sont possibles quavec la décision rendue sur le fond (art.170 NCPC).
Formes de contestation, les nullités.
Trois principes régissent la question des nullités ; ils tendent à limiter au maximum le champ dapplication des nullités.
Le premier principe est un renvoi aux dispositions régissant les nullités en procédure (art 175 NCPC). Ainsi, il ny aura pas de nullités spécifiques aux constatations. On se reportera donc aux articles 112 et suivants du NCPC.
Le second tend à limiter le champ dapplication des nullités en prévoyant dune part que "la nullité ne frappe que celle des opérations quaffecte lirrégularité" (art. 176) et dautre part que " les opérations peuvent être régularisées ou recommencées, même sur-le-champ, si le vice qui les empêche peut être écarté" (art. 177).
Enfin le troisième principe vise également à limiter les nullités pour vice de forme en ce quil précise que les nullités pour vice de forme ne pourront plus entraîner la nullité de lensemble des opérations sil est établi que les prescriptions légales ont été en fait observées (art.178).
Les nullités pour vice de forme seront encourues pour des mesures dinstruction telles que lenquête ou encore pour lexpertise, bien que le formalisme de lexpertise soit atténué depuis lapplication des nouveaux textes. Or, si le législateur a pris soin de fixer de façon rigoureuse les conditions de validité des actes en général, qui en a précisé dans le détail les mentions indispensables, la nature et lordre des démarches que lhuissier de justice doit accomplir pour leur régularisation, et dont lomission ou la violation entraîne la nullité de lacte et parfois des sanctions disciplinaires, il sest abstenu de réglementer les formes du procès verbal de constat. Cet état de fait nest pas modifié sous lempire des textes de 1973.
Le pendant de la commission du technicien : la récusation (art. 234 NCPC).
Est-ce que le constatant peut être récusé ?
On retrouve ici la tendance à la simplification notée par ailleurs, notamment en ce qui concerne labandon de tout formalisme. Les constatants désignés pourront être récusés pour les mêmes causes que les juges (art.234). Dans le cas dune personne morale, la récusation peut viser soit la personne morale elle-même, soit la personne physique soumise à lagrément du juge par le représentant légal de cette personne morale.
Dautre part, il y aura lieu de procéder au remplacement du technicien si celui-ci refuse sa mission ou sil existe un empêchement légitime (art.235 al.1). Il y aura également lieu à remplacement du technicien, sil devait manquer à ses devoirs (art.235 al.2). Le juge peut être saisi dune demande de récusation par les parties.
Enfin le juge peut se saisir lui-même et procéder doffice au remplacement.
§2- Les constats parajudiciaires :
Nous venons donc détudier ce qui a constitué la première phase du développement des constats sur commission de justice. Or, au titre dune emprise verticale du procès-verbal de constatations, sont nées puis ont été légitimées dautres variantes qui forment une appréhension générale du litige ; cest ce quon appelle les constats parajudiciaires, qui en quelque sorte, se greffent à linstance sans en constituer lessence.
Une résolution judiciaire dun litige nintervient pas ex nihilo, de même que la décision qui en résulte ne constitue pas le terme de la résolution, encore faut-il lexécuter. Cest de ces deux phases, antérieure et postérieure, dont il va sagir de traiter en loccurrence. Voyons en premier lieu le constat en tant que mesure dinstruction a futur (A), avant détudier le constat comme mesure postérieure à la décision juridictionnelle (B).
A. Le constat préventif ou les mesures dinstruction a futur :
1. Caractéristiques de la mesure :
La demande
Préalablement à cette étude, il paraît opportun, afin de suivre lévolution du législateur, deffectuer un rapide retour en arrière. Le constat sur requête à la demande de la partie intéressée a pour origine larticle 54 du décret du 30 mars 1808, lequel sil est abrogé aujourdhui, permettait au président du Tribunal Civil de rendre des ordonnances sur requête dans les cas durgence.
Comme le fait remarquer M. Hébraud, "larticle 54 semble avoir joué le rôle dun point de départ pour la reconnaissance de principe et lédification de la théorie générale des pouvoirs du président. Le texte nest pas en lui-même très explicite, puisque cest dune manière indirecte et au milieu dune énumération de cas particuliers quil vise toutes requêtes à fin dautres mesures durgence".
Si le décret du 20 mai 1955 modifiant larticle 1er de lordonnance du 3 novembre 1945 donne une base légale au constat sur requête " ce nest pas que ce texte qui donne le pouvoir au président de commettre un huissier pour faire un constat ; ce texte dit uniquement ce que lhuissier peut faire, mais le pouvoir du président découle du texte général : cest le pouvoir général qui est ressorti à larticle 54 du décret de 1808".
En pratique lavocat devait viser dans sa requête les deux textes. Mais bien souvent cet article était ignoré.
Le domaine des ordonnances sur requête a été précisé par le décret du 9 septembre 1971 qui a posé les règles suivantes :
le président peut être saisi par requête dans tous les cas spécifiés par la loi (art.81 al.1).
Son intervention se justifie aussi toutes les fois que les mesures durgence sont nécessaires, les circonstances exigeant quelles soient unilatérales (art.81 al.2).
Dans un but de simplification, on admet que les requêtes afférentes à une instance en cours peuvent être présentées au juge déjà saisi (art.81 al.3).
Le NCPC abroge notamment les articles 81 et suivants et définit, dans la partie du code réservée aux dispositions générales à toutes les juridictions, lordonnance sur requête comme "une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse". De plus, lordonnance sur requête appartient dorénavant à toutes les juridictions devant leur président.
Pouvoirs du juge des référés pour ordonner la mesure
Par ailleurs, il
a été admis jusquen 1973 que les mesures dinstruction
ne pouvaient être ordonnées que de manière incidente et non
par voie dassignation principale. La règle était alors
celle de la prohibition des mesures à futur. Toutefois cette règle
comportait des exceptions légales et de plus, la pratique avait
réussi à la contourner dans de nombreuses hypothèses. Cest
ainsi que des constats étaient pratiqués sur requête, et que
des expertises étaient couramment diligentées à la suite dune
ordonnance en référé, donc en dehors de tout procès au fond.
Il était ainsi permis de sinterroger sur la portée
pratique de la règle de prohibition, et MM Perrot et Solus
allaient jusquà écrire : "il reste si peu de
choses de la prohibition traditionnelle, quon en vient à
se demander si elle ne devrait pas être abandonnée".
Avec larticle 145 du NCPC, ce fut chose faite : "sil existe un motif légitime de conserver ou détablir avant tout procès la preuve de faits don pourrait dépendre la solution dun litige, les mesures dinstruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé". Quels critères permettent de déterminer le choix entre la voie du référé ou celle de la requête ?
Lun des principaux à retenir est celui que pose larticle 812 al.2 : le président "peut également ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent quelles ne soient pas prises contradictoirement". En pratique, en matière de constat cest cette voie qui est la plus fréquemment employée.
Première partie de lévolution : reconnaissance de la prévention des litiges : vers la théorie moderne des preuves.
Cette reconnaissance de la prévention des litiges a été élaborée au premier plan par le référé-expertise. A tout le moins a-t-il été convenu de dénommer ainsi la décision prise sur le fondement de larticle 145 NCPC, puisquune majorité de décisions ainsi prises lont été aux fins de cette mesure dinstruction. Or, le constat, en tant quil est devenu une mesure dinstruction exécutée par un technicien très prisée, mais aussi mise en avant légalement, a su se frayer un chemin dans ce texte, lequel est partie intégrante aux dispositions générales relatives aux mesures dinstruction.
M. G. Chabot, pourtant, met en exergue une certaine inflation dans lutilisation de cet article ; dailleurs ce nest pas tant limportance du recours à cette modalité qui est en jeu, mais la dilution qui sopère quant à sa "finalité probatoire". Il expose ainsi la situation : "En 1980, dans une uvre de référence (D. 1980, chron.p.205), le professeur Jeantin, analysant le nouvel article 145 du nouveau code de procédure civile, avait promis aux mesures dinstruction in futurum un bel avenir judiciaire. La pratique sen est, il est vrai, considérablement développée. Indiscutablement utiles mais subtiles à lextrême, les mesures dinstruction préventives recèlent néanmoins bien des incertitudes. Déchirée entre un litige éventuel de définition délicate et une action ultérieure au fond dont la réalité nest que perspective, la procédure de larticle 145 excède trop souvent sa finalité probatoire, pour côtoyer en somme, plus que le simple différend justifiant la demande formulée, le fond dun litige déjà né, ou, en dautres termes, le droit plus que le fait". De là à dire quintroduire un tel recours revient à flouer les principes fondamentaux du procès en général, et des mesures dinstruction en particulier, il ny a quun pas. Nous nexposerons pas ici les circonvolutions qui amènent différents auteurs à penser de la sorte, qui évoquent la "perversion du rôle de larticle 145".
On doit tout de même noter que cest là une innovation remarquable que cet article. Pour en revenir à sa lettre, il dispose que "Sil existe un motif légitime de conserver ou détablir avant tout procès la preuve des faits dont pourra dépendre la solution dun litige, les mesures dinstruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé". Cest une garantie du droit de la preuve, dont il a été exposé quil est à la source du Droit. Nous ne nous pencherons pas plus avant dans les méandres vertigineux qui ont été réalisés au sujet de cet article.
Parallèle avec les mutations du rôle de lhuissier.
Nous venons dexposer combien cet aspect nouveau, dune mesure dinstruction in futurum, passant par le constat, était important en termes de reconnaissance de la valeur des preuves. Or le constat a futur, ou préventif, prolonge ainsi lactivité du rôle de lhuissier, et naboutit en définitive quà lui conférer une importance croissante en tant quauxiliaire de justice, et donc à le rendre encore davantage responsable.
De cette manière, lhuissier de justice nest plus cantonné dans un rôle de simple exécutant (les huissiers daujourdhui ne sont plus les sans-cur dautrefois), ce qui est très rassérénant professionnellement, et mentalement. Lhuissier, que lon présume audiencier, qui va être commis, va rendre son service auprès du Tribunal efficient, puisquil réalise un pas de plus pour le bon fonctionnement de la justice.
Il contribue dautant plus à la mission de justice quen procédant à une telle commission de justice sur référé-constat, il est certain de rendre son procès-verbal contradictoire ; on ne rappellera jamais assez combien cette valeur juridiscisée revêt aujourdhui dimportance.
Mutations novatrices avec incidences sur le constat.
Il est à noter que les juridictions administratives ne sont pas restées sur la brèche : rappelons que les articles R. 531-1 et R.532-1 du Code de Justice Administrative, permettent désormais au juge des référés administratif de nommer un tiers afin de procéder, "lors de lexécution de travaux publics, à des constatations relatives à létat des immeubles susceptibles dêtre affectés par des dommages qui surviendraient effectivement pendant la durée de la mission". Cela entre dans le cadre notamment des constats durgence. Or si seul un tiers peut être commis, il ne fait pas de doute que les huissiers de justice trouveront la possibilité dun ancrage dans lordonnancement administratif, comme ils ont su le réaliser au sein de lordre judiciaire.
Quant à larticle R.532-1, il prévoit quen matière de contrats et marchés publics, la personne à laquelle est offerte une possibilité de recours peut demander au préalable à la personne morale tenue aux obligations de publicité de sy conformer. Cest en cette matière que lhuissier de justice a son rôle à jouer, en ce quil va pouvoir apporter la preuve par constat, de ce que les modalités dappel doffres ont été correctement réalisées. Il a auparavant été exprimé que lhuissier va offrir son concours pour la transparence des marchés publics. Ainsi un nouveau pan de justice tombe dans son escarcelle ! On appréhende aisément toute lutilité que va receler le concours dun partenaire impartial tel que lhuissier de justice : cest un certificat de bonne conduite pour les marchés publics, qui va garantir le libre jeu de la concurrence ; dans léventualité dun litige, le constat fait office de preuve. Lhuissier qui garantissait déjà bon nombre de relations économiques de type libéral, va avaliser le domaine des marchés publics qui a une portée conséquente dans léconomie.
A. Le constat, mesure postérieure à la décision juridictionnelle :
1. Constat et obligations de faire :
· Obligations de faire instaurées par le juge : parallèle avec les procédures
dinjonction de faire et de référé :
On a exposé que dans une perspective horizontale, le traitement et lappréhension par le constat du stade de lexécution des décisions de justice constituait le dernier maillon de la chaîne judiciaire : à peu de choses près, lhuissier de justice pourrait ainsi constituer une sorte de juge de lapplication des peines au civil. Cest un autre point qui mérite dêtre étudié car le rôle des instances judiciaires et des auxiliaires de justice nest pas cantonné au seul but de rendre la justice, ce qui nest pas une fin en soi. Le suivi des affaires nest pas une notion seulement dogmatique voire démagogique : elle participe pleinement de la mission de justice.
Si toute décision de justice ne correspond pas strictement à une obligation de faire, une part dentre elles en est constitutive. Traditionnellement on évoque à ce sujet le constat de non-représentation denfant. Certains huissiers ne sont pas férus de la matière, car limmixtion dans des relations familiales tendues, et même rompues, après une procédure (ou pendant) longue et traumatisant est souvent malaisée ; il y a toutefois une éthique supérieure quest le service de la justice, et il sagit bien ici, dexécution.
Il existe certes des procédures parallèles tendant aux mêmes fins : ce sont celles dinjonction de faire prévue par les articles 1425-1 à 1425-9 NCPC, et de référé-injonction de faire pris en application de larticle 808 NCPC. On doit en dire succinctement que la première de ces procédures est la plus usitée, en ce quelle est introduite sur requête et devant le tribunal dinstance, et par conséquent sans constitution davocat obligatoire. Par ailleurs la seconde procédure pâtit de ce que les conditions de son exercice sont dinterprétation stricte, malgré les mutations récentes des critères dapplication des référés en général. En effet, en plus de lurgence, labsence de contestation séreuse et dexistence dun différend vont souvent être problématiques en ce qui concerne le succès des prétentions de la partie.
Pourtant, la requête en injonction de faire ne va pas être la panacée, du fait même quelle est dun abord aisé pour le justiciable. Un chiffre exprime très clairement une réalité : le taux de rejet de ces requêtes est de 32%. On en déduit que la majeure partie va être mal ou non fondée. Cette procédure va trouver son domaine de prédilection dans lexécution des travaux à la charge des bailleurs, dans la demande dexécution de travaux de réparation et dans les demandes de clients à lencontre de prestataires de services.
Le constat a donc sa place à trouver au sein de la résolution des obligations de faire judiciaires.
· Elargissement au cadre contractuel et aspect comminatoire du procès-verbal de constatations.
Cest un développement annexe qui rejoint le constat à la requête des particuliers, qui montre combien tout participe dun même et unique cercle (vertueux ou vicieux ? !).
Lhuissier ne vient-il pas concourir au profit des relations contractuelles afin dentériner les actions qui doivent être réalisées en tant que bon père de famille ou au service du bon déroulement des relations économiques ? Cest même son champ daction le plus prolifique par rapport au constat sur commission de justice.
On rappelle à ce sujet limpact que va revêtir le procès-verbal de constat à la requête dun particulier en tant quargument comminatoire pour que les relations entretenues demeurent de type privé et nentrent pas dans le giron du judiciaire.
1. Droit de la preuve et exécution :
Ce dernier maillon démontre que, malgré une utilisation encore trop faible du constat en matière dobligations de faire, sest réalisée une appréhension généralisée des litiges par le constat.
Létat de fait précédemment évoqué au sujet des constats sur réquisition dun particulier démontre que leur réussite et leur force concourent à la faveur dun développement du constat dans les obligations de faire instituées par le juge, quitte à ce que la décision-même soit assortie dune telle commission.
Cette menace paraît assez efficace et propice à renforcer lexécution volontaire des décisions de justice. Rappelons toutefois, que cela ne concerne que le domaine des obligations de faire, quand bien souvent les réparations judiciaires sont soldées par équivalent, donc en la forme dobligations de payer.
PARTIE II LES CONSTATS ET LEVOLUTION MODERNE DE LA THEORIE DES PREUVES :
Après avoir étudié la structure externe des constats possibles, larticulation de leur utilisation, il convient délucider à présent de quelle manière et sous quels auspices ils sont régis ; on aborde ici le régime juridique des constats, qui on va le voir, est en quelque sorte un vecteur dunification, puisquissu du régime légal du constat daudience, il se transpose peu ou prou aux constats à la requête dun particulier. Toujours dans cette conception légaliste de la preuve, contingentée, qui englobe tous les constats, on peut toutefois, et a contrario observer que ce sont les constats "libéraux" pour lessentiel, qui vont influer tant sur le développement de la matière des constats, quêtre le moteur dinnovations du point de vue de la technique juridique, quand ce nest en parallèle et dans son prolongement, dans le sens mélioratif du droit de la preuve. On se posera la question, qui est en exergue, de savoir si ce générateur dinnovations structurelles quest la souplesse du régime juridique des constats (chapitre 1er), naffecte pas au-delà, la nature même du constat, notamment dans sa force probante (chapitre 2nd).
CHAPITRE 1 Souplesse du régime juridique des constats.
Il va sagir de démontrer, outre que ce régime opère une rationalisation des constats, de quelle façon il concourt à une unité au sein des constats, laquelle va permettre de dégager tout à la fois le lien, quasiment de subordination, existant pour lhuissier de justice dans le cadre de sa mission, puis les moyens de son exercice. Cest donc le cadre général de lexécution de la mission de lhuissier de justice, qui va être la mise en uvre dun régime légaliste de la preuve, son instrumentalisation. Cependant il faut comprendre que ce régime, sil est organisé et formel, nest pas pour autant un carcan ; du point de vue de cette souplesse issue de labsence de réglementation spécifique, il faut tirer la conséquence prétorienne, dun caractère évolutif et perfectible des constats, rendue possible grâce à lopportunité de leur réalisation.
Pourtant il y a bien des principes généraux dorganisation de la mission de constat ; tout dabord existent des conditions préalables à lexercice de cette mission (§1). Dautre part, il est un principe de compétence liée qui simpose à lhuissier, ceci tant pour les constats à la réquisition dun simple particulier, que pour les constats dits daudience. Ce principe infère les moyens de la mission de constat dont lhuissier va disposer (§2).
§1- Les conditions préalables à la réalisation du constat :
Ces conditions sont autant de didascalies qui peuplent les pièces de théâtre ou les scenarii afin de permettre la compréhension et la mise en situation du lecteur. Elles vont donc permettre à lhuissier dinstrumenter sereinement tout dabord dans le cadre de sa compétence propre, et ensuite selon des directives légales. Toutefois ce qui peut paraître comme un lien dinféodation, va aussi souffrir dexceptions notamment du point de vue des sites créés sur lInternet qui, en brisant la notion de domicile, sont le point dachoppement de celle de compétence territoriale. On mesure allègrement combien la matière des constats est erratique et peut ainsi influer jusquaux conditions mêmes dexercice de la mission du constatant.
Mais il est également des conditions propres au constat que lhuissier doit respecter notamment quant à son objet qui est nécessairement circonscrit, et qui doit revêtir une certaine matérialité, en contrepartie de quoi en ressortiront des proscriptions.
Ces conditions préalables sont afférentes à deux ordres didées : en premier lieu se dégagent des contraintes extrinsèques qui ont trait au cadre spatio-temporel dexercice du constat (A), en second lieu et inversement, apparaissent des sujétions intrinsèques relatives à lobjet du procès-verbal de constatations (B).
A. Cadre spatio-temporel :
1. Compétence territoriale de lhuissier de justice :
Il nécessaire de réaliser cet aparté qui conditionne la mission de constat ; ainsi, selon larticle 5 du décret du 29 février 1956 (modifié par le décret du 23 octobre 1959), "les actes prévus aux alinéas 1er et 2 de larticle 1er de lordonnance du 2 novembre 1945, modifiés par larticle 32 du décret du 20 mai 1955, sont faits concurremment par les huissiers de justice dans le ressort du tribunal dinstance de leur résidence, sauf les exceptions prévues aux articles ci-après". Ce texte vaut bien entendu pour tous les constats, y compris pour ceux à la requête dun particulier. On précisera que les dérogations prévues au titre des articles 6 à 8 du décret du 29 février 1956 sont exceptionnelles. La délimitation de la compétence matérielle se réalise donc par lintermédiaire du ressort, qui est celui de la compétence du Tribunal dinstance de leur résidence. On se contentera de citer M. Perrot quant aux difficultés qui peuvent émaner de la notion, de savoir si, en ce qui concerne les constats sur commission en particulier, un huissier est désigné in personam pour procéder à des constatations, ou sil lest au titre de constatant, auquel cas il ne peut sexonérer de la limite territoriale, et un autre huissier, par accessoire, peut y procéder. Tout un programme
Distinguo lieu public et ouvert au public, et lieu privé.
Cest le désormais traditionnel distinguo à opérer entre lieux publics et lieux privés, dont nous exposerons simplement quen ce qui concerne les lieux publics aucun problème nest posé pour lhuissier instrumentaire : il peut procéder sans autorisation du juge. Si les lieux publics ne posent pas de problème, sen sont posés quant aux lieux ouverts au public, que sont les restaurants, aéroports gares, etc. De ce fait même et dans la pratique les huissiers de justice ont pris la précaution de ne pas agir sans lautorisation préalable dun juge.
Par contre, davantage de difficultés se sont posées vis à vis des constatations opérées dans les lieux privés, à titre de domicile ou de résidence, pour peu que la personne qui se voit imposer la mesure ait un droit de jouissance exclusif. La jurisprudence est alors féconde du fait que des principes fondamentaux sont en jeu, qui de linviolabilité du domicile ou de la résidence, qui du respect de lintimité de la vie privée. Une autre dichotomie est à réaliser selon que les constatations sont à réaliser sur la simple réquisition dun particulier, ou sur commission du juge. Cest une question qui a été amplement développée et sous peine de paraphrase nous renvoyons très directement cette étude à de savants écrits, en exprimant simplement lidée que lhuissier de justice est alors astreint à des précautions multiples, telles que la vérification de lidentité de la personne, de sa qualité, de son consentement aux diligences, de létendue des pouvoirs le cas échéant conférés par le juge etc.
Cest à propos des constats dressés par les huissiers en vue de fournir au demandeur en divorce la preuve de ladultère de son conjoint que le droit à la preuve et linviolabilité du domicile a été le plus souvent invoqué. Cest ainsi que certaines ordonnances autorisaient le constat dadultère, même de nuit, et des tribunaux en avaient admis la validité. Par contre, la doctrine contestait cette dernière en invoquant la règle protectrice du domicile établie par larticle 76 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII, qui simpose au droit civil, et donc au président du tribunal et à lhuissier.
Dans un cas despèce, un huissier régulièrement commis, et accompagné dun commissaire de police, avait escaladé une enceinte pour pénétrer au domicile dun particulier. Dans un premier temps, la Cour dappel déclare nul le constat comme étant contraire aux dispositions de larticle 184 du Code Pénal. Cet article punit dune peine demprisonnement quiconque sintroduit chez un tiers contre le gré de celui-ci, hors les cas prévus par la loi. Larrêt fut frappé dun pourvoi en cassation. "Attendu quun huissier de justice régulièrement commis pour procéder à un constat dadultère peut, avec lassistance du commissaire de police, pénétrer, au besoin par la force, au domicile dun citoyen pour accomplir sa mission". Mais remarque la Cour, si lhuissier a employé pour sintroduire un procédé à la vérité regrettable, il na cependant commis aucune violation de domicile.
Heures légales
Larticle 76 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII autorise sous certaines conditions, lintroduction de jour au domicile dun particulier ; il précise que " pendant la nuit, nul na le droit dy entrer, sauf en cas dincendie, dinondation ou de réclamation faite de lintérieur de la maison". Lexception prévue par larticle 76 en vertu de lordre émanant dune autorité publique, donc de lordonnance du président, ne vise que lintroduction pendant le jour, mais rien nest prévu en période nocturne.
Dautre part, les heures légales pendant lesquelles lhuissier peut exercer sont prévues entre six heures et vingt et une heures.
Un arrêt du 17 février 1950 a tranché définitivement la question. En lespèce, lhuissier accompagné dun officier de police avait dressé un procès-verbal à 22 H 45. Le procès-verbal a été déclaré nul, la Cour de Cassation prenant pour base de sa décision larticle 76 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII.
Le principe de ce quil est convenu dappeler les "heures légales", pendant lesquelles lhuissier de justice peut instrumenter est prévu par larticle 664 du NCPC, relatif à la signification des actes, peut être étendu aux constats. Il dispose que "aucune signification ne peut être faite avant six heures et après vingt et une heures, non plus que les dimanches, les jours fériés ou chômés, si ce nest en vertu de la permission du juge en cas de nécessité". Larticle 508 du NCPC prévoit également en ce qui concerne lexécution des jugements, qu " aucune exécution ne peut être faite avant 6 heures et après 21 heures non plus que les jours fériés ou chômés si ce nest en vertu de la permission du juge en cas de nécessité". M. Perrot nous enseigne quil faut à ce sujet reprendre la dichotomie préalablement esquissée des lieux publics ou privés.
En effet si le constat doit être diligenté dans un lieu public, alors lhuissier de justice nest pas astreint à un respect des heures légales, solution qui vaut depuis 1977. On remarquera simplement que la cour de cassation situe alors sur un pied dégalité les notions de "lieu ouvert au public" et de "voie publique". Par contre, et dans le cas dune commission judiciaire, il est à rappeler que le juge peut tout à fait noctroyer à lhuissier que le cadre dexercice des heures légales, même en situation de constatations en un lieu public, tout comme il peut très généralement subordonner la mission de constatations à des prescriptions impératives.
Lorsque le constat est effectué dans un lieu privé, le schème est diamétralement différent. La protection concomitante des articles 664 et 508 NCPC joue alors pleinement : aucune investigation ne doit être entreprise par lhuissier de justice entre 21 et 6 heures. Daucuns ont analysé cette double garantie comme étant issue dun principe général non écrit de "sauvegarde de la liberté individuelle et de lintimité de la vie privée contre les immixtions intempestives dun agent dépositaire de la force publique". La question sest posée de savoir si cette règle simposait au juge ; il faut en dire, brièvement, que la jurisprudence est catégorique, en ce quelle ne permet en aucun cas un constat dadultère nocturne en particulier. On rappellera à ce titre, la règle dordre public selon laquelle nul ne peut pénétrer de nuit, au domicile dautrui, issue de larticle 76 de la Constitution du 22 frimaire an VIII, norme à laquelle il ne peut être dérogé. Mais des tempéraments doivent toutefois être apportés à tant de rigueur, quaménage dailleurs larticle précité. Ainsi, et tout particulièrement, en ce qui concerne le requérant, qui demande une constatation nocturne pour lui-même. Cest une exception là aussi très générale selon laquelle il ny a pas de violation dun principe dès lors quil y a eu assentiment à cette violation. Si cette exception sappréhende aisément pour un locataire confronté à une fuite deau en pleine nuit, elle est plus singulière et délicate pour le constat dadultère requis par lun des époux au domicile conjugal.
A. Conditions intrinsèques :
1. Matérialité des constatations :
Les textes.
Cest en réaction contre certains abus, que lordonnance du 2 novembre 1945 en son article 1er, a imposé cette limite impérative dans lobjet des constatations : "[les huissiers de justice] peuvent être commis par justice pour effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur des conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ; ils peuvent également procéder à des constatations de même nature à la requête de particuliers".
Cette rédaction est issue du décret du 20 mai 1955 en son article 32, lequel a formulé lactuel texte de lordonnance susmentionnée.
Notion de constatations purement matérielles.
M. Duquenne précise que cette condition induit des difficultés singulières quant à la distinction qui peut être élaborée entre le fait purement matériel et le fait juridique. On appréhende alors tout à fait la spécificité de la mission de lhuissier, mais aussi les raisons qui ont conduit le législateur à se pencher sur la moralisation tant que sur la réglementation du constat, du fait des pratiques courantes, sinon intempestives des délégations judiciaires. Pour autant, on le verra, la pratique de celles-ci, malgré les foudres de la jurisprudence, sest quelque peu perpétuée. En effet, cette jurisprudence est tout particulièrement sensible à la distinction ci-dessus évoquée, pour très justement contrecarrer les errements précités. En adjonction à cette notion de constatations purement matérielles, il faut à cet instant préfigurer une controverse, sagissant de lenregistrement de paroles, dont on peut dores et déjà se demander sil est à intégrer à ces constatations matérielles.
M. Perrot y entend tout ce qui peut être perçu directement par les sens. Sans ergoter sur létendue des sens, et ainsi des constatations possibles, il est toutefois à préciser que la vue nest pas seule à être en cause lors de constatations.
Question des auditions et esquisse de la détermination de la mission par le juge
Le législateur de 1955 imposait à lhuissier la constatation de faits purement matériels. En vertu de cette disposition, il était interdit dentendre les parties et les tiers. Quen est-il sous lempire des assertions du décret de 1973 ?
Voyons dabord ce quil en est au regard du constat sur réquisition dun simple particulier. En premier lieu, il faut partir du postulat que lhuissier ne peut enregistrer ni paroles, ni témoignages, même spontanés, ni non plus les réponses à des questions quil aurait posées. Il sagit en effet du domaine de prédilection réglementé des attestations et de lenquête, comprises au sein des déclarations des tiers, prévoyant que "lorsque la preuve testimoniale est admissible, le juge peut recevoir des tiers les déclarations de nature à léclairer sur des faits litigieux dont ils ont personnellement connaissance. Ces déclarations sont faites par attestations ou recueillies par voie denquête selon quelles sont écrites ou orales". De la sorte le constat ne peut ni suppléer, ni a fortiori se substituer à ces procédures. Et lon ajoutera que cela serait dautant plus paradoxal dassimiler lenregistrement de paroles à la constatation dun fait matériel, que lon sait par trop, combien lineffable est souvent au cur de telles déclarations orales, et combien aussi les attestations sont un mode de preuve peut fiable et souvent inconsistant. La vérité ment aussi parfois ! Quand il sagit encore dune vérité : que penser ainsi des souvenirs, sinon quils ne peuvent daucune façon être considérés en tant que faits matériels. Mais sil y a eu des confusions, cela provient en grande partie de ce quil est admis que lhuissier de justice est habilité à régulariser des sommations interpellatives.
La sommation interpellative est lacte qui contient la réponse du signifié à linterpellation, à la mise en demeure, que lui adresse lhuissier instrumentaire au nom de son client. Ce mode de procéder ne figure pas dans le NCPC, ni dans les textes afférents à la profession, mais les avantages pratiques de cet acte en ont généralisé lemploi. Des règles prétoriennes se sont au fur et à mesure dégagées. Mais il faut toutefois réaliser combien cette consignation par surprise est un procédé très douteux, ce qui est au surplus conforté par les praticiens, dans le sens où ils ny auront recours quavec une extrême circonspection.
Le formalisme prétorien de la sommation interpellative se traduit par une copie qui doit être remise sur-le-champ à linterpelé. Cet acte ne peut être délivré quà une partie en cause, mais non pas à des tiers ; un plaideur a le droit de faire interroger son adversaire direct, mais non pas un témoin étranger à linstance. La sommation interpellative ne peut se substituer à lenquête en saffranchissant du formalisme voulu par le législateur. Toutes les questions doivent être inscrites à lavance dans le texte dont lhuissier donne lecture. Il doit donc faire connaître en bloc, et immédiatement toutes les questions posées. Il doit se borner à transcrire littéralement la réponse qui lui est faite, même si la partie prononce une phrase du style " je nai rien à dire". Enfin, il doit sommer son interlocuteur de signer sa réponse. On rappellera quà cette occasion lhuissier de justice ne dispose daucun moyen de coercition.
Un autre sujet de glose sest fait jour dans la fin des années 60 : celui de lenregistrement sur bandes magnétiques. Cest là où se sont concentrées toutes les suspicions de manipulation, de fraudes, trucages, et alors que les tribunaux refusaient de prendre ce mode de preuve en considération, le parachèvement de cette proscription sest réalisé dès lors quun huissier eut enregistré les propos dune personne à son insu, durant une conversation téléphonique habilement menée. On imagine tout naturellement le sort qui fut réservé à un tel constat.
Au sujet du constat sur commission, le législateur a opéré une réforme puisque désormais le technicien peut recueillir des informations orales. Mais cette apparente liberté donnée au constatant nest pas totale. Car si le juge veut entendre les parties, on rappelle que deux moyens sont à sa disposition : la comparution personnelle des parties, et lenquête.
Bien entendu les modalités dexercice des constats sur commission vont notablement différer de ce qui est réalisé pour ceux sur réquisition dun simple particulier. En effet, le juge va pouvoir limiter, tant lobjet des constatations, que circonscrire les moyens dont va pouvoir disposer lhuissier pour instrumenter. Dautre part lhuissier va ici agir en tant que mandataire de justice, et non plus être requis par une partie, ce qui va en quelque sorte transcender les vertus dimpartialité, dobjectivité, de probité que recèle la fonction. Qui plus est, et tout spécialement en ce qui concerne les constats daudience, les opérations vont se dérouler contradictoirement, les parties assistées de leur conseil.
En matière de saisie-contrefaçon, qui préfigure les constats daudience, les ordonnance ainsi rendues autorisent dans leur ensemble lhuissier de justice à consigner toutes paroles non provoquées, qui vont être prononcées au cours des opérations, et qui vont être patentes de la preuve ou de lorigine de la contrefaçon. Pour mémoire, on rappellera que ce procédé denregistrement de paroles trouve à sappliquer en ce qui a trait aux ordonnances sur requête autorisant un huissier de justice à assister à une assemblée générale dactionnaires ou de copropriétaires dimmeubles, par lentremise dun relevé sténographique sous le soin dun assistant spécialiste en la matière. La présence de lhuissier va ainsi contribuer à authentifier le document. En terme de gradation dans léchelle de la valeur des preuves, on remarquera simplement quun tel enregistrement scriptural prévaut alors sur un enregistrement sur bande magnétique, et plus largement quant aux techniques audio ou vidéo. On se posera accessoirement la question de savoir quels vont être les effets de la loi du 13 mars 2000, quant au repositionnement de ladmissibilité des modes de preuve en ce qui concerne la preuve électronique.
Dès avant les premières réglementations sur le constat, une importante polémique est apparue à propos des constats daudience, au sujet de laudition de sachants, modalité prescrite par le juge dans lexécution de la mission, question quant à laquelle nous posons une réserve.
Selon une décision de la cour dappel de Paris du 16 mars 1968 le constat dont le seul objet est lenregistrement de déclarations est interdit. Dans une autre affaire, un huissier avait été commis pour constater si des travaux avaient été ou non effectués. Ce dernier avait entendu plusieurs personnes. La cour dappel écarte dune part les déclarations explicables des parties et dautre part ordonne la comparution personnelle des parties.
Lopinion émise par MM César-Bru, Hébraud et Seignolle est toujours dactualité : "lhuissier peut entendre les parties, ce qui est nécessaire à lévidence pour que les constatations purement matérielles puissent être menées à bien. Par contre, cet officier ministériel ne peut pas apprécier les déclarations explicatives des parties".
Prosaïquement, les parties sont convoquées aux opérations, soit par le technicien qui leur envoie une lettre recommandée avec accusé de réception. Elles peuvent être convoquées par la remise dun simple bulletin à leurs défenseurs ou même verbalement lorsquelles sont présentes lors de la date des opérations. Ces dispositions concernent seulement les constatations sur commission contentieuse, puisque le principe même de lordonnance sur requête est que la mesure soit exécutée contradictoirement.
Les parties ne sont en théorie nullement tenues de participer aux constatations, sauf si celles-ci impliquent leur audition personnelle. Toute partie peut se faire assister lors de lexécution dune mesure dinstruction. Les conseils des parties se sont vus reconnaître un droit de représentation et à ce titre, ils pourront formuler à la place des parties quils représentent, des observations et présenter des demandes relatives à la mesure dexécution ordonnée.
Le rôle du constatant se borne à la description des faits, tandis que le rôle du juge est dinterpréter ces faits, den dégager toutes les conséquences juridiques, et enfin den apprécier la valeur probante.
§2- Conditions dexercice de la mission :
Comme nous lavons déjà évoqué antérieurement, le régime et lexercice de la mission de constatations sont issus pour lessentiel des constats daudience. Le recueil de la preuve par constat va comme tel être subordonné à des formalités substantielles et à un encadrement certain des diligences de lhuissier de justice commis sous la férule du juge ; il en résulte que lhuissier va se voir opposer un principe de compétence liée concernant la mission qui lui est impartie par le juge. La jurisprudence est riche dexemples topiques en la matière, et a forgé les limites des constatations (A).
Pour la réalisation de sa mission lhuissier va disposer de moyens divers qui vont être soumis à lassentiment de règles déontologiques et aux principes généraux de procédure. Cest à cette condition que la mission va pouvoir être rendue effective par le recueil des informations, tant par des moyens juridiquement reconnus, que par des moyens techniques adaptés. Au besoin, lhuissier de justice pourra même se faire assister (B).
A. Principe de compétence liée de lhuissier de justice :
1. Une mission dévolue par le juge :
"Ni en deçà, ni au-delà"- principes des articles 237 et 238 du NCPC
Aussi bien en application du décret de 1955, que du décret de 1973, le constatant na pas à donner davis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Le but même des mesures dinstruction confiées à un technicien étant déclairer le tribunal sur un élément de fait dont peut dépendre la solution du litige, le technicien a linterdiction de porter des appréciations dordre juridique. De même que le juge ne peut pas donner au technicien quil commet de concilier les parties (art. 440 du NCPC). Le technicien est étroitement limité dans le cadre de sa mission et sil lui est fait obligation de rendre compte de toutes les informations quil a eues à connaître et qui intéressent le litige lui-même (art. 244) ; il lui est fait défense de faire état des informations que ses opérations lui ont permis de connaître, mais qui nintéressent pas le litige.
Léventail concis des proscriptions générales dans la mission de lhuissier de justice, se trouve rapporté par les articles 237 et 238 NCPC. Le premier de ces articles dispose de manière laconique que "le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité ". Le second que " le technicien doit donner son avis sur les points pour lexamen desquels il a été commis. Il ne peut répondre à dautres questions, sauf accord écrit des parties. Il ne doit jamais porter dappréciations dordre juridique".
Rôle de lhuissier en tant que technicien.
Le technicien peut recueillir des informations orales ou écrites de toutes personnes, cette disposition semblant trancher toutes les difficultés nées au sujet de laudition des sachants. Outre les mentions didentité de ces sachants, le technicien devra éventuellement préciser leur lien de subordination, de collaboration, de communauté dintérêt, de parenté ou dalliance avec les parties.
Ces mentions sont à peu près les mêmes que celles exigées pour les déclarations des tiers formulées dans des attestations versées aux débats ; leur but est dinformer pleinement le juge sur limpartialité des sachants. La participation dun tiers aux opérations peut également résulter dune intervention soit volontaire, soit forcée, à linstance. Dans ce cas le technicien en est avisé par le greffe et lintervenant doit être mis en mesure de présenter ses observations sur les opérations qui ont précédé.
La clause de réserve de référé ?
Cest la situation dans laquelle le juge, étant saisi sur requête unilatérale éprouve quelques remords face à la gravité de la mesure envisagée, pour navoir pas entendu la personne à lencontre de laquelle elle va être diligentée. Dès lors il va délivrer lautorisation sous réserve de lui en référer en cas de difficulté ; si donc lhuissier est confronté à cette situation, il doit immédiatement se retirer devant le juge après avoir dressé un procès-verbal de difficultés : le juge va en quelque sorte pouvoir rendre la mesure contradictoire, ou plutôt à tout le moins engager un tel débat. De la sorte, le requis au constat ayant été entendu, une modification ou le rapport de la mission va pouvoir être entrepris.
Le problème se pose toutefois, de savoir si, lorsque la mesure ordonnée lest au moyen dune ordonnance sur requête assortie de plein droit de lexécution provisoire, pouvant en outre être exécutoire sur minute, il ny a pas de contradiction entre celle-ci et la clause de réserve de référé. En effet, lhuissier se trouve alors totalement dans lexpectative. Une inexécution rendant illusoire tout aboutissement fructueux ultérieur, et a contrario lirrespect des desiderata du juge pouvant être audacieux, sinon tendancieux.
M. Perrot nous donne la clef de ce problème, qui sexprime finalement à travers le mandement, contenant le libellé de la mission, et plus précisément du moment auquel se situe la réserve de référé par rapport aux constatations. Leur étant antérieure, lhuissier poursuit sa mission, puis en réfère ; vice et versa a contrario, la réserve devenant alors conditionnelle quant à la mission.
2) La sanction du principe :
Analyse jurisprudentielle sur la question des délégations judiciaires.
Nous avons évoqué, quant à la matérialité des constatations, la question de laudition de sachants comme étant lune des importantes polémiques au cur de la notion des délégations judiciaires. En effet, lon rappelle que cette modalité dexercice de la mission de constatations de lhuissier de justice était prévue par les juges dès avant que les premiers textes réglementant le constat ne voient le jour. Or, il est un principe intangible selon lequel le juge ne peut déléguer ses pouvoirs, notamment ceux relatifs à lenquête. Cependant, la jurisprudence à cet égard na pas été totalement drastique, ayant su faire le départ entre un témoignage recueilli selon les formes légales mais par un huissier de justice, du simple renseignement obtenu sans formalisme, et en particulier sans prestation de serment, en complément dune constatation matérielle. La jurisprudence antérieure à 1945 avait reconnu la validité de laudition à condition quelle ne rappelle pas la procédure denquête, et porte exclusivement sur des constatations purement matérielles. A contrario les investigations de lhuissier ne peuvent consister en une seule et unique audition de sachants.
A posteriori, notamment suite à la réglementation du décret 20 mai 1955 qui a quelque peu limité le domaine des constatations en spécifiant quelles doivent être purement matérielles, il y a eu un effet inverse à celui recherché dune rationalisation du domaine : ainsi pour des questions dopportunité, et des contingences pratiques, il y a eu un élargissement de la notion de constatations matérielles. Quelques jurisprudences téméraires de cours dappel se sont fait jour pour refuser laudition aux sachants, mais la cantonner aux seules parties. Cependant il demeure en principe général que laudition de sachants reste très largement acceptée par les tribunaux. Les motivations de cette perpétuation se trouvent dans laspect indispensable que ces auditions revêtent en pratique. Cest souvent lun des aspects cruciaux dune précision des points de fait de la mission, comme par exemple pour vérifier les conditions alléguées pour un échange dans le cadre de la loi du 1er septembre 1948, les conditions doccupation ou linoccupation dun local, ou encore les ressources dune partie à loccasion dune demande de pension alimentaire, etc.
Désormais les dés sont jetés, et lhuissier de justice, en tant que technicien, peut à bon escient recueillir tous renseignements utiles afin de mener à bien sa mission, sous une triple condition :
- en premier lieu que lesdites auditions soient destinées à compléter et à préciser la constatation dun fait matériel ;
o ensuite que la mission impartie ne consiste pas uniquement en des auditions ;
o enfin que les renseignements soient recueillis hors les formes de lenquête classique, et notamment sans prestation de serment.
A. Les moyens de lhuissier de justice :
1. Moralité de la mission :
Larticle 237 du NCPC précise que le constatant doit remplir sa mission avec "conscience, objectivité et impartialité". Cette objectivité est plus aisée lorsquil agit comme mandataire de justice, sur commission de justice contentieuse, en présence de deux parties qui se contrôlent mutuellement. Elle ne pose pas encore de problème lorsque, agissant à la requête dun particulier sur ordonnance, il trouve dans la mission fixée par le président un cas précis à ses investigations.
Cest par contre, nous le verrons, la qualité qui exige de lhuissier le plus de caractère lorsquil instrumente sur la simple réquisition dune partie et en sa seule présence. Le requérant voulant dans la plupart des cas donner une orientation partiale aux constatations qui lui serviront de preuve.
De même, mais issu de la jurisprudence, lhuissier ne doit pas agir clandestinement. Larrêt de la Cour dappel de Lyon du 9 janvier 1974 frappé de pourvoi en Cassation, le rappelle en termes catégoriques. En lespèce, un mari avait sollicité un huissier de justice pour être le témoin privilégié de plusieurs scènes de ménage. Dissimulé sur le balcon dune cour, il avait reçu mission de consigner soigneusement les propos fort peu amènes de la femme qui effectivement se surpassa, lescalade verbale atteignant généralement son sommet lorsque le mari clamait à haute voix des paroles dapaisement. Trois constats avaient été ainsi dressés et produits par le mari devant le tribunal dinstance à lappui de sa demande en divorce, à laquelle le tribunal avait fait droit. La Cour mieux avisée, écarta des débats les constats litigieux et, infirmant le jugement, débouta le mari de sa demande en divorce. Le mari s est pourvu en cassation, la Cour rejetant le pourvoi.
La Cour de Lyon rappelle que "pour procéder aux actes de son ministère, lhuissier doit se présenter à visage découvert, et non pas dresser des constats en se cachant, tandis que son requérant, par un agencement prémédité, joue un rôle dans la pièce voisine". Elle souligne également que la loi du 17 juillet 1970 frappe de sanctions pénales lespionnage domestique et quil "ne convient pas dadmettre comme preuves valables les constats clandestins dun officier là-même de lécoute par un tiers à laide dun appareil enregistreur (ce qui) serait pénalement punissable".
Dans une autre affaire concernant également le divorce, un huissier avait été commis par justice pour constater les relations extraconjugales de lépoux. Dans ce but, il avait effectué plusieurs sommations interpellatives et conduit une véritable filature. La cour dappel navait pas retenu la responsabilité de lofficier ministériel. La Cour de Cassation saisie, a annulé larrêt et renvoyé devant une autre Cour dappel. Dans son arrêt, la Cour de cassation a fait ainsi reposer son argumentation : "attendu cependant quen refusant de reconnaître un manquement à ses obligations professionnelles dans le comportement dun auxiliaire de justice dont elle constatait quil avait outrepassé les limites de la mission quil avait reçue de lautorité judiciaire, la cour a entaché sa décision de contradiction".
Le constatant, en aucun cas, ne doit outrepasser sa mission afin que son procès-verbal puisse avoir une valeur en justice.
Questions des droits de la défense (principe de contradiction et effectivité)
Un particulier demande le constat dun fait précis à son avantage, mais voudrait écarter ce qui peut lui nuire : par exemple, un locataire sortant veut faire constater les améliorations mais laisse sous silence les détériorations. Mais, inversement ce peut être le propriétaire qui procède à de telles constatations inéquitables. En un mot il sagit très clairement du problème du caractère contradictoire des constats. On la évoqué, si lon désire projeter des constatations non contradictoires, très justement car la matérialité et lobjet de celles-ci le nécessitent (archétype du constat dadultère), il est une procédure sur requête requise à cette fin. A contrario, on suppute combien le constat pâtira de labsence de ce caractère contradictoire au nom duquel les sphères judiciaire et juridique se sont vues bouleversées ces dernières années.
Ainsi, ce caractère contradictoire requis évitera des frais de justice supplémentaires, en ce quun nouveau constat pourrait voir le jour aux fins naturellement de faire échec à celui primitif. Et bien entendu ce supplément, qui nest pas un luxe, assurera une légitimité accrue au constat, sinon une force probante renforcée. Autant de bonnes raisons pour, dun même jet, concilier le bas de laine et la satisfaction des parties, et la conformation à une nécessité idéologique structurelle.
Etendue des moyens techniques dont dispose lhuissier
Lhuissier relate ce quil a appris lui-même, visu aut auditu. Cest en quelque sorte la traduction du mot constat ; quand lhuissier dit ou mentionne telle ou telle constatation, cest quen effet il a perçu telle ou telle sensation : en ce sens il transcrit des impressions personnelles, et non point les dires dautrui. Son procès-verbal ne contiendra que la relation de choses vues ou entendues par lui-même, dans lordre où les événements se sont succédés, sans omission, ni transposition. Il prendra grand soin de les localiser dans le temps et dans lespace, avec le plus dexactitude possible. Lhuissier est ainsi un consignataire de natures mortes, mais pas nécessairement dans le sens dune extrême minutie, mais plutôt dune idée de justesse. Toutefois doit-il sattacher à la précision, mais se garder des formules comparatives et autres circonvolutions démontrant une appréciation, dont il serait redondant de dire quelles sont subjectives ; il ne doit pécher ni par précision, ni a contrario par omission. Ce pourquoi il est requis, ce nest pas en vue de lobtention dun certificat de conformité, ni dune opinion motivée, mais simplement un apport déléments bruts, susceptibles déclairer la religion du juge ; il lui est demandé de voir et dentendre, dêtre concis et précis, ni plus, ni moins.
On peut aussi se demander si lhuissier doit apporter la cause efficiente des constatations, comme par exemple de savoir si telles détériorations dun mur sont dues à des crevasses, à lhumidité, à un affaissement, et sil doit procéder de la même manière en ce qui concerne la cause finale (ou occasionnelle) et de consigner que les dégradations proviennent de tels agissements du voisin Il est nettement perceptible (les adverbes sont à proscrire de lhuissier diligentant des opérations de constat !) que cette dernière catégorie nest en rien compatible avec lobjectif assigné de constatations purement matérielles, ce dautant que lhuissier procéderait alors aux véritables investigations dun expert, qui est désigné au regard de ses compétences spéciales pour réaliser le départ entre les causes apparentes, et les causes réelles.
Définition des moyens par les prohibitions
Cest ici une synthèse quil faut opérer, pour exprimer lécheveau dans lequel est enserré lhuissier de justice. Parce que le régime juridique du constat nest pas légalisé, la jurisprudence et divers ordonnateurs dinstructions ont forgé un régime que lon dira déontologique. Sans revenir ou présager des développements, ce régime est défini de manière négative, qui de la prohibition de toute mise en scène, qui de celle des fouilles corporelles, des écoutes téléphoniques, etc.
Non point que nous ne nous en sentions pas lâme, mais létude de ces prohibitions passerait par une énumération fastidieuse, et, ce qui se comprenant bien sénonçant clairement, nous nous en remettrons, sans fausse modestie, entre les dernières lignes du professeur Perrot sur la question : " Les explications qui précèdent nont pas lambition de décrire tous les procédés qui peuvent être utilisés par opposition à ceux qui ne peuvent pas lêtre. Il faut dire dailleurs que dans limmense majorité des cas, les opérations auxquelles procèdent les huissiers de justice sont effectuées dans des conditions parfaitement régulières sans la moindre contestation. Il nen demeure pas moins que la science du droit se nourrit de cas pathologiques quil faut avoir le courage dexaminer lucidement. Mais quand on mesure les prérogatives considérables que suppose lexécution des missions de constat, on comprend mieux limportance dune déontologie sans faille et la nécessité dune discipline ordinale, afin de ne confier de telles missions quà des personnes dont la loyauté et la conscience professionnelles sont irréprochables".
Recours à lexpert
Lélément caractéristique du procès-verbal de constat, cest à dire la relation exacte de ce que lhuissier a appris par lui-même, soulève une question : si la matière sur laquelle porte le constat est spéciale, peut-il se faire assister dune personne compétente, doit-il consigner dans son procès-verbal les constatations de lhomme de lart, sous quelle forme ?
En effet il est des situations dans lesquelles lexactitude des informations devant être communiquées ne doit pas faire défaut, pour la compréhension des juges, et dans un esprit de concision. Certains arrêts anciens en portent la marque, ainsi dun huissier qui avait reconnu nécessaire de se faire assister dun expert pour la constatation dun délit de contrefaçon portant sur une liqueur, ou quand, plus proche de nous, il est demandé à un huissier de justice, toujours en matière de contrefaçon, de consigner le protocole de réalisation dun produit pétrolier. On réalise combien la présence dun spécialiste de la matière sera bénéfique.
Mais pour autant lhuissier ne deviendra pas le scribe du spécialiste, dont la raison dêtre de la présence est un concours technique en terme de vocable tout dabord, mais aussi dans le but dattirer lattention du constatant sur tel point technique : il va être le cicérone du profane-constatant, lequel, quelque confiance quil puisse avoir en ce spécialiste, ne doit pas procéder à une délégation, dailleurs sagirait-il dune subdélégation, quand lhuissier est commis in personam.
Il faut mentionner en parallèle
avec cette question, qui engage une responsabilisation de lhuissier
commis aux fins de constatations dans le respect des moyens de sa
mission, que le décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 a
institué quelques nouveautés sur les modalités de ce contrôle
par le juge. Ainsi, larticle 155 NCPC sest vu ajouter
deux nouveaux alinéas aux termes desquels : "Lorsque
la mesure est ordonnée par une formation collégiale, le contrôle
est exercé par le juge qui était chargé de linstruction ;
à défaut, il lest par le président de la formation collégiale
sil na pas été confié à un membre de celle-ci.
Le juge mentionné au premier alinéa et la formation collégiale peuvent également avoir recours au juge désigné dans les conditions de larticle 155-1".
Ce dernier article, totalement nouveau, disposant que "le président de la juridiction peut dans lintérêt dune bonne administration de la justice désigner un juge spécialement chargé de contrôler lexécution des mesures dinstruction confiées à un technicien en application de larticle 232".
Il faut à notre avis simplement en retenir la création dun juge spécialisé, puisque ce nest pas en tant que tel une nouveauté innovante, simplement la prise en compte du fait quun grand nombre de mesures dinstruction sont prises : cest donc plus une mesure de gestion quune mesure structurelle ; na-t-on pas évoqué la question de la perversion de larticle 145 NCPC ?
Recours à la force publique
Le concours de la force publique est laissé à lentière appréciation du président qui doit expressément le mentionner dans son ordonnance. Il le fait dans les hypothèses où laction de lhuissier de justice risque de se heurter à une opposition par la force et où lintérêt des constatations prime la contrainte imposée à un tiers. Cest là le principe du mandement, dont dispose larticle 7 bis du décret n° 56-222 du 29 février 1956. Même si cette disposition est afférente aux matières criminelle, correctionnelle ou de police, il est ici un principe selon lequel lhuissier ne peut recourir à la réquisition des forces de police sans mandement exprès : pour lexécution des décisions de justice, ce mandement va se confondre très généralement avec la formule exécutoire. Mais pour lexécution de mesures dinstruction, il sera spécifié si un tel recours est possible, et le plus souvent lors de constatations à diligenter dans un lieu privé.
Après avoir élaboré la souplesse de ce régime des constats, issue de labsence dun régime légal spécifique, ce qui créée souvent des difficultés dinterprétation dun point de vue jurisprudentiel, il nous faut en venir aux effets du procès-verbal de constat.
CHAPITRE II- Constat : effets et perspectives :
Du régime juridique des constats précédemment étudié, il faut retenir quil nest pas un carcan, et du point de vue de cette souplesse réglementée, en tirer la conséquence prétorienne dune évolution dans les constats, ainsi que dune marge dopportunité dans leur réalisation. Dès lors la question qui mérite de se poser est de savoir si ce régime juridique, générateur dinnovations matérielles, naffecte pas au-delà la structure même du constat, et ce, tout particulièrement quant à sa force probante. En effet, il ressort du régime juridique des velléités daffranchissement de ce statut non étanche, mais quelque peu composite du constat (notamment en ce quil nest pas un acte ressortissant de la compétence exclusive de lhuissier de justice et nest par conséquent pas tarifé), en particulier si lon se focalise sur sa force probante ; par ailleurs et à laube de lavènement dun titre exécutoire européen, on peut aussi se poser la question de savoir ce quil en est du constat quant à une démocratisation ou une hégémonie.
Pour autant que le constat participe du régime légaliste de la preuve, il nest pas, sauf exceptions, intégré comme preuve légale dans lordonnancement juridique de léchelle des preuves. Cette caractéristique, dont on pourrait a priori penser quelle lui est néfaste, va tout au contraire être le point dancrage de sa force vive : le propos laudatif de "reine des preuves" dont il est affublé semble bien lattester. Bien entendu toute la puissance que peut revêtir le procès-verbal de constat va tenir plus en lautorité morale, et à lobédience vis à vis de la réquisition de son instigateur, quen sa valeur juridique intrinsèque. Tel est létat des questions qui se posent en la matière.
Dans la lignée du régime juridique du constat, vont sexprimer tout dabord des conséquences juridiques tenant à la responsabilité de lhuissier, mais aussi et surtout en ce qui concerne la valeur probatoire du procès-verbal de constat (§1). Ensuite et sous divers angles, il conviendra de sinterroger sur les mutations sensibles ou à venir du procès-verbal de constat (§2).
§1- Les conséquences juridiques et probatoires du constat :
La résultante formelle des constatations diligentées par lhuissier de justice peut prendre deux formes. En effet le cas échéant, si lurgence recommande la plus grande célérité de lhuissier, le compte-rendu du constat pourra être oral. Il convient cependant de préciser que cette hypothèse est somme toute très rare. Habituellement, ce compte-rendu se formalisera en un procès-verbal de constatations, communiqué à la partie requérante, ou bien au juge et aux parties sil entre en situation contentieuse. Cest cet acte, en son instrumentum, qui va engager la responsabilité de lhuissier (hormis les autres causes dengagement dans le cours de la mission de lhuissier) et il faudra se poser la question de la teneur de lobligation qui joue à son égard.
Parallèlement, va sattacher au procès-verbal de constat une force probante, dont il faut dores et déjà préciser quelle recouvre une identité Janus, avec une apparence juridique de simples renseignements, voilant une réalité empirique sensiblement différente (B).
A. La responsabilité de lhuissier de justice :
Les principes généraux de la responsabilité des huissiers de justice.
Il ne sagit pas ici dévoquer dans le détail les modalités de la mise en cause possible à la fois à travers les diligences de lhuissier et ses actes, ce qui nest pas ici notre ambition. Simplement pour évoquer en dehors des causes de responsabilité de lhuissier de justice dans laccomplissement de sa mission, les grands traits de la valeur probante de ses actes.
On rappellera très généralement, que les actes de lhuissier de justice ont valeur authentique et leurs détracteurs seront par suite soumis au régime juridique très lourd de la procédure en inscription de faux. Mais ne sera pas moins imposant le panel des sanctions damoclétiennes au-dessus de la tête de lhuissier ; sil est en définitive convaincu de faux en écriture publique, destitution, Cour dAssise et sanction pénale de réclusion criminelle seront ses plus proches horizons, si dorénavant il sagit effectivement dune affirmation volontairement mensongère, dune falsification intentionnelle, frauduleuse.
Toutefois il convient aussi de rappeler que la force probante absolue nest attachée en matière dexploits quaux énonciations personnelles de lhuissier concernant ses démarches, laccomplissement des formalités, mais non point au texte, au contenu de lacte. Son requérant en assume alors seul la responsabilité, lorsque par exemple il se prétend à tort créancier dans une assignation, ou invoque contre sa femme des griefs inexistants pour obtenir le divorce.
Les spécificités en matière de constat.
La difficulté en matière de constat vient de ce que le texte même du constat est luvre intégrale de lhuissier de justice qui ne se borne plus à reproduire les prétentions de son client, mais relate lui-même ce quil déclare avoir vu de ses yeux. Il sagit donc bien là dune action personnelle qui paraît de prime abord de même nature que la relation de ses démarches et formalités en matière de régulation dexploits ; on pourrait donc se demander ce qui serait susceptible de laisser moins de foi au procès-verbal de constat.
Ceci serait dautant plus redoutable que larticle 146 du Code Pénal menace de la réclusion criminelle à perpétuité, lofficier public qui en rédigeant des actes de son ministère, en aura dénaturé frauduleusement la substance ou les circonstances soit en constatant comme vrais des faits faux ou comme avoués des faits qui ne létaient pas.
Pour M. Duquenne, cette règle a deux origines. Lune est historique et sexpose en ce que pendant longtemps la licéité même du constat fut discutée et que certaines décisions considéraient que lhuissier de justice navait pas dressé cet acte dans le cadre de ses fonctions (allégation dun certificat que la partie se délivre à elle même) ; par conséquent on ne pouvait lui attacher le caractère authentique.
Lautre est dordre pratique. En effet une multiplicité de faits et situations peut être lobjet du procès-verbal de constat, qui engendre des difficultés sur un plan technique. Les formalités des exploits se limitent à un petit nombre de démarches strictement réglementées par la loi et dont le contrôle est relativement aisé. A contrario, dans les constats, des erreurs inévitables peuvent se glisser dans une description, malgré les bons soins du professionnel averti. Dautres matières dans lesquelles des spécialistes officient, offrent moults exemples de contradictions, et ce notamment dans le sujet voisin des expertises. On peut donc se demander sil serait légitime de condamner pour faux un huissier qui se serait trompé dans le détail dune mesure. Lhuissier de justice serait alors perpétuellement sous la menace dune accusation de faux de la part de plaideurs de mauvaise foi. On en déduit ainsi quil était donc sage de laisser la marge dune possibilité derreur, qui soit involontaire cest entendu, et le droit de ladversaire de rapporter une preuve contraire. Cette sagesse a pour effet une double protection : celle des parties qui peuvent critiquer les constatations et en redresser éventuellement les erreurs, et celle de lhuissier de justice qui serait par de mauvais coucheurs menacé de faux à tout instant. En définitive, donner force probante aux constatations eut entraîné la nécessité dune réglementation minutieuse et dun formalisme étroit, comme dans lenquête ou la descente sur les lieux. Le constat devenu une machine lourde, formaliste, aurait perdu tout lintérêt quil représente comme moyen de preuve rapide, peu onéreux et souple, sadaptant à toutes les situations.
1. Valeur juridique :
Constatations matérielles et valeur de simples renseignements.
Le décret du 20 mai 1955 met fin à une longue controverse. Dans lun et lautre cas (sur commission de justice ou à la requête dun particulier), ces constatations nont que la valeur de simples renseignements.
A partir de cette date, le législateur place sur le même plan les constats sur simple réquisition dun particulier, et ceux sur commission. Cette égalité fut longue à obtenir. Antérieurement au décret, certaines décisions qualifiaient le constat à la requête de particuliers, de certificat que la partie se délivre à elle-même, et lui enlevaient toute valeur probante, au motif quil avait été dressé par un mandataire salarié. Par contre, sagissant de constats sur commission, les juges leur conféraient la même valeur quun acte authentique.
Cette confusion venait dune part du manque dassise légale du constat, et dautre part, les exploits étant toujours des actes authentiques, on ne savait pas très bien pourquoi il en aurait été autrement pour les procès-verbaux de constat dressés par le même officier ministériel.
Face à cette dernière remarque, se pose la question de savoir ce qui a pu emporter une telle décision réglementaire. En effet, en tant quactes authentiques, les actes dhuissiers de justice font foi jusquà inscription de faux. Sil se révèle que lacte tombe effectivement sous le coup de cette sanction, quil est convaincu de faux, lampleur des sanctions encourues par lhuissier que sont non seulement la destitution, mais aussi la Cour dAssises et la sanction pénale de réclusion criminelle, pèse de tout son poids dans la balance en faveur dune force probante ordinaire, cest à dire susceptible dêtre contrecarrée par tout moyen. Il faut de suite préciser que pour que léventail des sanctions susmentionnées soit effectif, encore faut-il quil ne sagisse pas dune simple erreur matérielle et réparable, mais bien dune affirmation volontairement mensongère, dune falsification intentionnelle, frauduleuse.
Domaine de la preuve jusquà inscription de faux.
Larticle 1317 du Code Civil donne la définition des actes authentiques. Ce sont ceux qui ont été reçus par un officier public. Ils doivent être rédigés selon les formes indiquées par la loi, et par un officier public compétent. Lacte authentique fait foi de son origine. Mais cette preuve nest pas irréfragable. Celui à qui on oppose un acte ayant lapparence dun acte authentique peut essayer de prouver par exemple quil sagit, en réalité, dun faux. Pour faire cette preuve, il doit sengager, on le rappelle, dans une procédure spéciale : linscription de faux (art. 303 à 316 du NCPC). Bien quallégée par les récentes réformes, cette procédure reste toujours longue, coûteuse et périlleuse.
Cependant, sil ny a pas de doute quant à lauthenticité de lacte, tout ce qui est écrit na pas la même valeur en tant que preuve. Il faut distinguer les mentions qui ont été directement constatées par lofficier public ex proprius sensibus. Il en est ainsi de la date de lacte, de lidentité des parties. Ensuite, les mentions qui figurent à lacte sans que lofficier public ait pu vérifier lexactitude, nont pas la même valeur. Elles constituent, certes, des preuves en faveur de celui qui produit lacte, mais ladversaire peut établir que ces mentions sont inexactes, sans être obligé demployer la procédure spéciale dinscription de faux. Il essaiera de faire la preuve de linexactitude de ces mentions par la procédure ordinaire beaucoup plus simple.
Si lacte authentique est régulier en la forme, sil émane de lofficier compétent, et si ladversaire ne parvient pas à prouver le faux ou linexactitude, le tribunal sera obligé de considérer comme prouvé ce qui est mentionné puisquil sagit dune preuve légale.
Les constats se différencient des exploits en ce quils nont pas la même valeur probante. Ils sont laissés à la libre appréciation des juges. Les seules exceptions prévues à ce principe se présentent pour les procès-verbaux de constat dressés en application des lois de 1844, 1857 et 1909 sur les contrefaçons de brevets, marques, dessins et modèles, pour la loi du 11 janvier 1968 sur les brevets (art. 56) et enfin la loi du 11 juin 1970 (art. 27) sur la protection des obtentions végétales. Ils ont la valeur dactes authentiques. Cette solution provient de la nature hybride quils revêtent ; en effet, ainsi que nous lavons déjà exprimé, ce sont à la fois des procès-verbaux descriptifs, et des procès-verbaux de saisie dès lors que linfraction est avérée.
En 1964, la cour de cassation établissait déjà la distinction. "Si les procès-verbaux dressés par les huissiers en vertu de larticle 17 de la loi du 23 juin 1857 pour constater les contrefaçons de marques de fabrique font foi de leurs énonciations comme les actes authentiques en général, il en est autrement de ceux quils dressent même en exécution dune ordonnance du juge, pour constater seulement des faits de concurrence déloyale ; que les procès-verbaux, alors, nont dautre valeur que celle de simples renseignements".
Cest cette formule qui a été reprise par larticle 34 du décret du 20 mai 1955, modifiant larticle 1er de lordonnance du 3 novembre 1945. Cet article est conforme aux textes de 1973 concernant ladministration judiciaire de la preuve, dont larticle 246 dispose que "le juge nest pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien".
Les constats sont par conséquent des élément dinformation du tribunal, mais celui-ci nest pas lié par les affirmations contenues dans un constat, lequel nest pas une preuve légale des faits qui y sont attestés. Cependant, une telle solution peut paraître choquante, puisque les énonciations portées dans le constat sont constatées par lhuissier ex proprius sensibus. Il est présent, et ce sera lui qui par exemple vérifiera létat de la chaussée, mesurera une clôture, constatera létat de travaux etc. Il paraît donc de prime abord curieux et regrettable que ces énonciations naient pas une valeur probante supérieure.
Mais sil en était ainsi, lhuissier serait continuellement sous la menace dinscription en faux de la part de plaideurs chicaneurs, qui argueraient que telle clôture mesure réellement 3,30 m et non 3,50 m, ainsi que lhuissier la consigné dans son procès-verbal. Cest pourquoi il est préférable que la valeur probante de leurs constatations soit appréciée souverainement par les magistrats.
En ce qui concerne la date du procès-verbal, la signature de lhuissier, la mention du procès-verbal établissant que le demandeur sest présenté devant lui pour requérir certaines constatations, le dépôt entre les mains de lhuissier de certaines pièces, le transport de lhuissier sur les lieux où interviennent les constatations, ou la présence des parties intéressées, il est admis que ces mentions ne peuvent valoir à titre de simples renseignements, mais font foi jusquà inscription de faux.
Les magistrats donnent en pratique une telle valeur à ces énonciations car il sagit dun acte compris dans les attributions normales de lhuissier. Mais donneraient-ils la même valeur aux constatations dressées par tout constatant ? Sur ce point, et à notre connaissance, aucune solution jurisprudentielle nest venue répondre à cette question.
La notion de renseignements semble aller bien au-delà de ce terme à dessein très vague. Sil est constant que les juges ne fondent pas la preuve de ladultère sur le procès-verbal de constat, mais donnent à ce dernier la même valeur que les attestations constituant des moyens de preuve recevables en matière de divorce, dans dautres décisions, les preuves étant très minces, les juges nhésitent pas à se fonder sur des dénonciations des constatations.
Ainsi dans une affaire où un locataire avait contrevenu à la clause lobligeant à habiter lui-même et à ne céder les lieux loués quà un successeur dans son activité professionnelle, le bail a été résilié aux torts du locataire en se fondant sur les énonciations du procès-verbal de lhuissier commis.
Dans une seconde espèce, un huissier requis par un propriétaire voulut faire établir que des travaux de remise en état dune terre donnée en location navaient pas été réalisés par le preneur contrairement à une injonction de la cour dappel. Il voulait tirer argument de cette carence afin de faire prononcer la résiliation du bail le liant à son adversaire. Lhuissier requis se déplaça sur les lieux litigieux, sollicitant lautorisation du locataire, se faisant assister dun expert agricole et prenant des photographies. La cour dappel admit alors sans difficulté le procès-verbal de constat établi, sur la base duquel elle résilia sans hésitation le bail rural.
Pour un bref récapitulatif sous la forme dune analyse jurisprudentielle de la question, il convient de rappeler que depuis 1932, la Cour de cassation considère quun huissier, agissant en vertu dune délégation de la loi pour lexécution dun acte entrant dans ses attributions, imprime à son acte le caractère authentique. Par contre, la même Cour de Cassation en 1991, a décrété quun procès-verbal de constat dhuissier de justice dans lequel avait été recueillie une promesse de vente ne constituait pas un acte authentique. Cela conforte lidée de constatations purement matérielles, constatant des faits matériels et non des faits, et a fortiori des actes, juridiques. Cest dailleurs tout le problème, en termes danalyse juridique, des constatations à la requête dun particulier auxquelles il a été voulu être donné un regain de légitimité, par une sorte dentérination judiciaire en la forme de larticle 1441-4 du NCPC ajouté par la réglementation du décret du 28 décembre 1998. Cest un sujet que nous réservons pour une étude ultérieure.
Réalité des constatations matérielles.
Très pragmatiquement, il faut appréhender que les actes dhuissier en général soient contestés dans une proportion qui oscille entre 1 et 3 %o, et quau sein de ces contestations seulement 5% soient avérées. On ne tentera pas une approche infinitésimalement pointue de celles quil échet à la Cour de Cassation daborder , ni non plus de la proportion de procès-verbaux de constat parmi ces actes. Simplement la question vient à se poser, à savoir si le régime jurisprudentiel du constat est apprécié de la même manière par les juges du fond que par la cour suprême. Il ny a certes pas un différentiel caractérisé dans lapproche "morale" du procès-verbal, notamment en termes de sanctions déventuels impairs commis par le constatant, tant dans leffectivité de sa mission quà légard de linstrumentum. Mais cest du côté de la force probante que va se révéler lhiatus.
En effet, si comme il a été exposé précédemment, les constatations ne valent juridiquement que comme simples renseignements, une résultante empirique démontre que les praticiens, à commencer par les magistrats, ont été véritablement conquis par cet instrument alliant facilité dexécution, intérêt en terme de preuve, réalisant aussi le parfait aggiornamento en ce qui concerne les évolutions technologiques, et en un mot un moyen de preuve efficient. Cette dernière caractéristique est relevée par le fait que les magistrats, sans être aveugles, vont appréhender le constat avec une confiance légitime. La remarque a souvent été faite en cette étude dun processus dinstitutionnalisation téléologique du constat, remarque qui prend ici toute son importance, en ce quelle montre la légitimité que sest vu reconnaître le constat durant une période de gestation très longue. Il est surabondant dajouter quun assentiment prétorien vaut mieux quun dispositif législatif ex nihilo.
Explicitation du qualificatif de reine des preuves : place des constatations au sein des preuves.
Les différentes réglementations afférentes à ladministration de la preuve ont assuré une relative prééminence de la mesure dinstruction que constituent les constatations ; le Nouveau Code de Procédure Civile tout dabord, puis plus près de nous le décret du 28 décembre 1998. Cest justement en ce que ces deux textes ont posé les constatations en tant que premières mesures dinstruction pouvant être diligentées par un technicien, quelles se sont vues affublées du qualificatif de "reine des preuves". Mais cette expression nest pas une boutade lancée pour qui veut bien lentendre ; les considérations exposées ci-avant nous le rappellent, de lexpérience acquise au fil des décades par ceux qui sont justement devenus des techniciens, des spécialistes des constatations.
Pourtant, si la valeur du procès-verbal de constat paraît acquise, un commencement dévolution transparaît au terme de toutes les mutations que nous avons évoquées, à la manière du surhomme nietzschéen. Le constat voudrait bien saffranchir de cette modeste considération, pourtant pérenne, dont il est assorti légalement, ce tant du point de vue du droit interne, quexterne.
§2- Force du constat et mutations :
On a pu voir tout au long de cette étude combien était attaché au constat la notion de mutations, que ce soit dans son objet, avec un domaine daction sans cesse mouvant et innovant, et du point de vue de sa structure avec lappréhension de toutes les phases du litige, que dans son régime juridique avec des inflexions technologiques brisant les règles traditionnelles de compétence. Mais il faut aussi entrevoir que ces changements se sont portés sur la nature du constat, ce en parallèle avec des réglementations innovantes (notamment celle du décret du 28 décembre 1998). Cest très certainement une rémanence de la saisie-contrefaçon, même si lon a bien vu combien le fait de rendre une plus grande force à la preuve des constatations pourrait favoriser le dilatoire et les contestations à légard de lhuissier. Mais à défaut de modifier la force probante du constat, sest révélée la possibilité issue de la pratique, de renforcer sa force exécutoire (A). En prolongement se pose aussi la question de savoir si une hégémonie du constat nest pas possible, dabord dun point de vue européen, puis international (B).
A. De la valeur de simple renseignement à celle de la force exécutoire
1. Une force probante pérenne :
" Dans lun et lautre cas, les constations nont que la valeur de simples renseignements". Cest ce dont dispose larticle 1er de lordonnance du 2 novembre 1945 à légard des constats sur réquisition dun particulier ou sur commission de justice. Nul participant à linstance nest donc tenu par les énonciations portées sur le constat ; pas plus ladversaire, qui peut par tout moyen en rapporter la preuve contraire, sans quil soit ainsi nécessaire de recourir à la voie de linscription de faux, que le juge, qui les soumettra à son pouvoir souverain dappréciation quant à leur existence et leur portée. Ainsi, même si la validité du constat nest pas contestée, il pourrait très bien lévincer. On rappelle que de facto, les constats recèlent une autorité morale toute autre, fondée il va de soi sur la personnalité de son rédacteur, et la crédibilité attachée aux fonctions dhuissier de justice. Cette force probante stricto sensu nest pas démentie. Et nous avons vu les difficultés que reviendrait à poser linstauration dune valeur authentique aux constatations, car les contestations à légard de lhuissier deviendraient éminemment subversives, et tendraient à remettre en question la profession même.
Cependant, il est une évolution qui vient dêtre entérinée par décret, sur laquelle il nous faut revenir.
2) Le constat et larticle
1441-4 NCPC : une mutation dans la nature du constat ?
Le décret du 28 décembre 1998 a en effet introduit dans le livre troisième, au titre IV ayant trait aux obligations et aux contrats, un sixième chapitre concernant la transaction. Celui-ci est composé dun seul article, susmentionné, qui dispose que "Le président du tribunal de grande instance, saisi sur requête par une partie à la transaction, confère force exécutoire à lacte qui lui est présenté". A priori peu de choses à voir avec le procès-verbal de constatations.
Pourtant il a partie liée avec ce domaine de la transaction, en ce quil peut constituer son support. Nous pressentons de suite les dénégations, qui vont nous conduire à élaborer le domaine de lhomologation dune transaction issue dun procès-verbal de constat : non, lhuissier aux termes de larticle 240 NCPC sur les mesures dinstruction exécutées par un technicien, ne peut se voir confier par le juge une mission de conciliation des parties. Par le juge certes, mais qui len empêcherait au terme dun constat à la requête dun particulier ? A nouveau, on peut arguer que ce qui vaut pour la déontologie de la mission de constatations sur commission, doit être reconduit pour ceux à la requête de particuliers. Cest un débat sans fin, fait pour des jusquau-boutistes. Mais à notre avis, si les parties ont décidé de confier à un huissier de justice la mission de procéder à des constatations, quainsi requis il procède de manière impartiale aux diligences, on se demande pour quelle raison autre que de clocher, lon pourrait refuser aux parties le choix de décider de proroger la mission de constatations en une transaction.
Abondent dans notre sens, dabord
larticle 127 NCPC, qui dispose que "Les parties
peuvent se concilier delles-mêmes ou à linitiative
du juge, tout au long de linstance". Dans un
raisonnement a fortiori, il en découle quen dehors de linstance,
les parties, fort heureusement, peuvent se concilier. A un autre
titre, cette transaction est également possible : depuis lentrée
en vigueur du décret n°96-652 du 22 juillet 1996, est instituée
la procédure de médiation intégrée dans le nouveau code de
procédure civile, aux articles 131-1 à 131-15. Or, rien nempêche
un huissier de justice (de lege lata), de sinstituer en médiateur,
ce dautant quil est rompu à ce genre dexercice,
et quexistent des formations privées afférentes à la
matière : larticle 131-5 NCPC, ne dispose-t-il pas quil
doit "justifier, selon le cas, dune formation ou dune
expérience adaptée à la pratique de la médiation ; présenter
les garanties dindépendance nécessaires à lexercice
de la médiation" ? Et de même que pour la
transaction exécutoire, larticle 131-12 NCPC dispose que
"Le juge homologue à la demande des parties laccord
quelles lui soumettent.
Lhomologation relève de la matière gracieuse ".
Nous nentrerons pas ici dans un débat exégétique entre le fait de "conférer force exécutoire" et d "homologuer la demande".
Enfin, il est une autre disposition qui a fait grand bruit. En effet, la loi n°99-957 du 22 novembre 1999 a introduit dans larticle 3 de la loi du 9 juillet 1991 sur les procédures civiles dexécution, une nouvelle catégorie de titres exécutoires : "Ainsi que les transactions soumises au président du tribunal de grande instance ". Cependant, il est à préciser que la Cour de Cassation a de suite exposé que de telles transactions ne pouvaient être utilisées aux fins, notamment dengager des mesures dexpulsion, ce qui met un sérieux doute sur leffectivité dune telle , on nose lappeler décision, transaction.
Cest ainsi que se posent les termes du débat actuel sur cette question de la transaction exécutoire, dont lun des pionniers, Me J..J. Hulaud, a pu constater les perspectives méritoires de manière empirique, ce qui situe lhuissier de justice de plein pied, en tant que véritable auxiliaire de justice.
La mutation que lon évoquait auparavant va tout naturellement découler de ce que les constatations ne seront plus de simples renseignements, mais seront contractualisées, et donc "authentifiées" par un juge, quest le président du tribunal de grande instance. Cest une reconnaissance, tant du travail poussé au service de la justice, que de leffort de parties pour se concilier : qui peut trouver à redire à cette solution de désengorgement, qui est loin dêtre purement démagogique et idéaliste ? Il est à se remémorer les diatribes qui sont nées sur la forme de cette transaction exécutoire, qui nest quun contrat, même sil est judiciaire. Certes cette modalité nentre pas dans les canons du droit judiciaire privé qui font du juge le personnage stratégique ; est-ce à dire que de façon manichéenne, un juge doit juger, et un huissier exécuter ? Les fonctions ne doivent-elles pas permettre dêtre avant toute chose à lécoute, des justiciables bien sûr, et donc des concepts devant être proposés, du droit dinvention au service de la justice ? Ce nest pas tant la fonction de juger qui doit être mise en avant que la résolution des litiges ; simplement la France et les Français sont dans leur ensemble par trop attachés au symbolisme, parfois jusquau fétichisme ; ce nest là ni un gage de bonne justice, ni de progressisme. Il ne faut pas tuer dans luf une institution dont les avantages sont indéniables.
A. Une hégémonie du constat ?
Dès à propos, il convient de signaler que linstitution du procès-verbal de constat est unique en son genre. Dune part parce quelle sinscrit dans une procédure de droit écrit, ce qui a priori est un obstacle dirimant, sinon existentiel, face aux droits anglo-américain et anglo-saxon. Dautre part, du fait que de manière empirique, cette institution a été plébiscitée en la fonction de lhuissier de justice, laquelle fonction, si elle est connue de toute personne vivant en France, est quasiment inconnue en Europe et dans le monde. Comment se présente la situation, et quelles sont les solutions ou la prospective en la matière ?
1.
Le constat et lEurope :
A lheure de la pensée dun titre exécutoire européen, de lentrée en vigueur du règlement du 29 mai 2000 sur les modalités de signification et de notification dans les Etats membres de la Communauté Européenne, des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, il convient de nous pencher sur la création dun constat européen.
On vient de voir dans la note précédente, que sil y avait une certaine présence de linstitution en Europe, ce nétait quavec parcimonie. Il faut également préciser le fait que par ailleurs, elle ne revête pas la même coloration : il ny a pas didenticité dans la réalisation de la mission, ni dans les constats par eux-mêmes. Parfois ils sont mixtes, cest à dire quil y a présence de constats sur commission judiciaire et de ceux sur réquisition de particuliers ; dans dautres seulement des constats sur commission de justice. Les pouvoirs de lagent constatant ne sont pas non plus les mêmes : cela rend compte de la disparité statutaire des huissiers de justice, si tant est quils soient ainsi dénommés. En effet, ils sont aussi dits officiers judiciaires, dune appellation générique, en ce quun statut administratif est souvent leur apanage. Un constat : lharmonie nest pas au beau fixe. Si lidée a été lancée depuis plus dune quinzaine dannées dune unification à tout le moins formelle du procès-verbal de constat, rien na été élaboré concrètement en ce sens. Il est vrai que dès lors que lon approche de près ou de loin la sphère des pouvoirs régaliens de lEtat, tout consensus devient beaucoup plus difficile. On imagine aisément que rien nest plus concret à un niveau supérieur.
M. Delattre a élaboré lors du congrès international des huissiers de justice, et officiers judiciaires de Montréal en 1985, une prospective de constat international, de "constat universel". En effet, malgré lobstacle que pourrait a priori constituer le caractère écrit de notre procédure, et celui réciproque du caractère purement oral de la procédure aux Etats-Unis, pour prendre lextrême contrepoids, il savère quune certaine compatibilité serait possible ; lauteur nous démontre ceci à travers la relation dune expérience personnelle dun constat réalisé et ayant été pris en considération (une première) par un tribunal de lEtat de lIllinois, ou seul le témoignage oral est retenu pour apporter la preuve de la matérialité dun fait.
Malgré tout il est à préciser que le constat na pas fait preuve en tant que tel, mais par lintermédiaire du témoignage de lhuissier instrumentaire. Il a toutefois été retenu comme "souvenir passé enregistré" ou past recollection recorded. Au soutien de la reconnaissance de lécrit, le tribunal avait retenu que la seule justification pour ladmissibilité dun écrit concernant le passé est la probabilité de son exactitude ; des propos laudatifs au sujet du procès-verbal de constat sont exprimés, notamment sur lobjectivité clinique des constatations.
Voilà lessentiel de ce que lon peut exprimer sur laspect international du constat, ce qui, on le conçoit, est bien peu de choses en vérité. Il y a certes un alignement des pays dAfrique francophones sur le constat français, mais au-delà rien qui soit effectué dans le but dune unification. Traditionnel manque de moyens ou bien conflits dintérêt ? Il ne nous semble pas opportun dentrer dans une telle polémique.
Nous avons voulu montrer quà travers le procès-verbal de constat, lhuissier de justice a su se montrer réellement au service de la justice, avec ses erreurs du passé, certainement celles qui sont encore à découvrir, mais aussi avec tout le panel de réussites qui sont attachées à cette institution. Il participe ainsi pleinement à la mission de justice, et en particulier par le caractère mélioratif quil apporte en étant à lécoute et au cur-même de la société, ce qui lui permet de suivre les évolutions et dinnover dans les schèmes de la preuve et partant, de la résolution des différends.