INTRODUCTION

 

1.Prolégomènes.

" Mais il y a plus de réserve explosive dans un constat pur et simple d’huissier, s’il est honnête et bien fait, que dans les tonitruements d’un réquisitoire ". Cette épigraphe de Georges Belmont préfigure l’autorité morale que recèle le constat d’huissier de justice, dont nous verrons qu’il ne s’est départi depuis trente ans. Bien entendu cet aphorisme paraîtra excessif à bien des égards, mais il contient une part bien réelle de réalité, sinon de vérité, dans le sens où l’on attache de plus en plus d’importance à l’écrit dans le cours des procès, au grand damne des avocats plaidants, pour le plus grand bénéfice du constat, pièce essentielle on le verra, tant dans le domaine contentieux que pour la prévention des litiges. En ce sens, l’institution du procès-verbal de constat participe de la réforme de la justice, en tant que moyen de réduire les coûts du procès, parce que le constat est tout à la fois peu onéreux mais également faiblement chronophage, cela d’un point de vue contentieux ; mais il y contribue également en termes de prévention des litiges, et cela de façon de plus en plus prégnante, ce qui va dans le sens d’un sentiment de justice qui doit imprégner les justiciables, non pour se faire justice par eux-mêmes, mais pour apprendre à composer. C’est sous cet aspect que le constat peut revêtir les qualités d’un mode alternatif de règlement des conflits, où il va devenir l’adminicule d’une médiation, d’une conciliation ou encore d’une transaction.

Comment élaborer une définition du constat, abréviation du procès-verbal de constat ? Le mot ou l’expression, c’est selon, parait éloquent. Le constat, terme générique, dont on voudrait bien qu’il soit le nouvel emblème de la profession, c’est à dire pour montrer comment l’huissier de justice est au cœur du monde judiciaire et pas seulement le père fouettard tant décrié des effigies de Daumier ou de Balzac, aux symboles plus actuels du film Les Trois Frères. Ce pourquoi la Chambre Nationale des Huissiers de Justice a peut être décidé d’augurer une campagne de promotion du constat (s’il en avait besoin) sur les radios du service public durant l’année 2000, en forme de contrepoids. En tous les cas il est certes décelable que dans l’esprit du quidam, l’huissier de justice n’est plus seulement un oiseau de mauvais augure.

Cependant, et parce que les choses qui vont sans dire, vont encore mieux en les disant, il faut rappeler que cette activité de constatations, que nous allons élucider à travers le personnage phare qu’est l’huissier de justice, qui à la longue s ‘est avéré être un spécialiste du constat, n’était pas, jusqu’aux premières réglementations professionnelles de 1955, attribuée à l’huissier pour ses compétences spécifiques, et pour cause, car l’institution a fait ses gammes de façon totalement prétorienne. Ce qui motivait les commissions d’huissiers de justice était l’aura de leur qualité d’officier ministériel. On pourra donc se poser la question de savoir si avec cette spécificité et au nom de cette qualité, de tels constats ne doivent pas se voir revêtir une force probante accrue ; question qui restera donc réservée.

M. Foucart posait les frontières du procès-verbal de constat par huissier, selon qu’il est "l’acte (instrumentum) dans lequel un huissier, agissant en sa qualité d’huissier, relate les événements qui se sont déroulés en sa présence, décrit l’état et la situation des choses ou des lieux qu’il a vus lui-même, rapporte les paroles qu’il a entendues, le tout sans y joindre aucune appréciation personnelle, sans en rechercher ni les causes, ni les conséquences ". C’est de cette définition très clairvoyante, car très proche du décret du 20 mai 1955, que l’on peut retirer la substantifique moelle, avec toutefois quelques écueils on le verra, qui ont fait les beaux jours de la doctrine.

On peut dès lors augurer la finalité du constat, qui constitue l’un des moyens d’établir la preuve d’une situation de fait par des constatations matérielles. Nous verrons qu’il revêt une place prépondérante dans l’ordonnancement juridique de l’administration judiciaire de la preuve, mais aussi parallèlement dans la pratique, en ce qu’il est un moyen rapide et efficace de préconstituer ou de préserver la preuve d’une situation factuelle. Il n’est point besoin de rappeler combien le rôle de la preuve est essentiel en procédure, ce dont l’adage latin "parum est non esse probari " s’était déjà fait l’écho.

Le constat, empreint de la "patte" de l’huissier, c’est à dire de la garantie de fiabilité et de probité que peuvent offrir les caractères d’officier public et ministériel que revêt la fonction, est en quelque sorte le fer de lance des procédés de preuve dans le milieu judiciaire ; on en veut pour preuve la primauté qui lui est attachée par le Nouveau Code de Procédure Civile, laquelle a été réactualisée notamment par la réglementation du décret du 28 décembre 1998, qui a contrario, a parachevé la subsidiarité de l’expertise.

Le constat, c’est aussi l’unité, en ce qu’il est assujetti, malgré la diversité des domaines qu’il peut recouvrer, à une assise juridique unique d’un point de vue probatoire. C’est aussi cette unité qui en fait un instrument malléable : en effet, en dépit d’une dualité de surface, prétorienne et essentiellement didactique, constituée d’une part par les constats à la requête de particuliers, donc a priori purement préventifs et hors contentieux, et d’autre part ceux initiés dans un cadre judiciaire, il faut réaliser combien ces deux espèces ne sont issues que d’un même genre qui est de gérer au mieux les éventualités de situations de fait à risques. On ergotera peu sur le point de savoir si, in fine, ces deux catégories ne trouvent pas lieu d’être, puisque de manière empirique, les constats judiciaires, sur commission, et ce, malgré le pouvoir du juge d’ordonner d’office des mesures d’instruction, sont dans leur grande majorité rendus sur proposition des parties. C’est bien en ce sens que se développe l’idée d’une unité existentielle des constats.

Mais s’il y a bien une unité dans le constat, c’est un truisme que d’exprimer l’idée qu’il s’inscrit par ailleurs dans la pluralité. Ne serait-ce que d’un point de vue matériel, on ne peut définir un domaine d’action précis du constat : du relevé kilométrique du compteur d’un véhicule, en passant par un état des lieux descriptif, jusqu’au protocole de raffinage de produits pétroliers, on a tôt fait d’en déduire la nature protéiforme de la notion de constat; dès lors rechercher une typologie va nécessairement nous amener à ne pas être exhaustif, ce d‘autant que le droit n’est bien contingenté que dans les livres et sur les bancs des facultés, quand la réalité juridique est faite de chevauchements, de problèmes qui sont aux confins de matières déterminées a priori, quand le constat est la réalité à l’état brut. D’autre part, une vision structurelle du constat nous incite à le fragmenter de manière didactique : nous allons aborder la distinction traditionnelle des constats élaborés sur réquisition des particuliers, face à ceux requis en vertu d’une décision judiciaire. Cette répartition usuelle au sein des constats, s’il est vrai qu’elle ne correspond pas à une réalité pratique, emporte toutefois des incidences quant à la latitude du constatant dans les possibilités de procéder à sa mission.

La preuve va se situer au cœur de la mission de constat, et dès lors que la matérialité de faits allégués va être compromise ou alors que le bien sur lequel repose un droit va être en état de péril imminent, on comprend tout ce que va pouvoir apporter le constat d’huissier de justice, en tant qu’instrument de célérité, et d’efficacité. Il est vrai que si le Nouveau Code de Procédure Civile permet le recours à divers modes de preuve, ceux-ci ont été rationalisés quant à leur utilisation, ce notamment par une réglementation récente qui a apporté une hiérarchie en leur sein ; encore faut-il avoir appréhendé la genèse du constat pour comprendre son rôle aujourd’hui.

 

 

 

 

2. Historique.

Notre droit tel qu’il existe aujourd’hui provient pour l’essentiel du XIXe siècle ; or le terme de constat, ou de procès-verbal de constatations qui est la seconde acception d’une même réalité, n’apparaissent pas dans les divers codes, ni non plus dans les dictionnaires ou encyclopédies d’alors. Pourtant le terme-même de constat, s’il n’est pas très ancien dans l’histoire juridique, recouvre une réalité qui lui était préexistante. Et si l’on en croit

M. Daniel Baboz, les premières affres de ce qui allait devenir une véritable institution, sont apparues dès le XIVe siècle. Ainsi l’auteur révèle que "les magistrats des Parlements prirent l’habitude de confier à leurs huissiers audienciers des missions spéciales, des vérifications diverses, et la première dont on trouve trace aux Archives Nationales remonte au 12 février 1342 ". Il apparaît en outre que la pratique fut assez courante.

Le constat va tomber en disgrâce à compter de la Révolution et ce, durant tout le XIXe siècle. Toutefois, il faut remarquer les lois du 5 juillet 1844 et du 23 juin 1857 en matière de brevets et de marques de fabrique, qui donnent à leurs bénéficiaires la possibilité de faire procéder "par tous huissiers, à la désignation et description détaillée, avec ou sans saisie, des objets prétendus contrefaits". C’est très certainement une branche connexe des constats qu’est la saisie-contrefaçon, en ce qu’elle est mâtinée du sceau monopolistique des attributions de l’huissier (c’est en effet un acte d’exécution), mais contrairement à l’opinion de M. Perrot, il faut en dire que cet acte est inscrit dans le cadre d’une saisie, dans le sens où il y a bien une phase d’édification d’un constat dénommé comme tel. Ces deux lois vont en quelque sorte donner naissance à la lignée des constats d’audience, sinon des constats délivrés en vertu d’une ordonnance. En cette matière qu’est la protection de la propriété industrielle, une descendance sera assurée avec les lois du 14 juillet 1909 sur les dessins et modèles, du 31 décembre 1964 sur les marques de fabrique, de commerce et de service, du 2 janvier 1968 sur les brevets d’invention. Or le constat, même jusqu’au début du XXe siècle a fait l’objet d’une valse hésitation. Ce n’est qu’ensuite que l’idée fut reprise par certains Présidents du Tribunal Civil de la Seine qui en consacrèrent l’institutionnalisation, et cela toujours de manière prétorienne.

Le Président du tribunal tient de l’article 54 du décret du 30 mars 1808 le droit de répondre à toute requête à fin d’arrêt ou de revendication des meubles ou marchandises ou autres mesures d’urgence. La doctrine et la jurisprudence ont donné de ce texte l’interprétation la plus large et admis que le pouvoir présidentiel pouvait non seulement s’exercer dans les cas prévus par la loi, mais aussi dans tous les cas d’urgence, notamment pour commettre un huissier de justice en vue de certaines constatations.

Le premier texte qui prononce le terme de "constat" est la loi du 27 décembre 1923 relative à la création de clercs assermentés. L’article 6 de cette loi interdit aux clercs de dresser les procès-verbaux de constat. Certains tarifs anciens des huissiers de justice prévoyaient le coût de cet acte.

Il faut attendre le décret du 20 mai 1955 relatif au statut des huissiers de justice pour que le constat fasse réellement partie de leurs attributions. L’ordonnance du 2 mai 1945 en son article 1er, a défini de manière traditionnelle et restrictive les attributions des huissiers : ils sont des officiers ministériels chargés de signifier les actes et exploits et d’exécuter les décisions de justice ; en outre ils avaient déjà la possibilité de devenir huissiers-audienciers, c’est à dire d’être chargés du service personnel des cours et tribunaux.

Le décret du 20 mai 1955 ne modifie en rien le monopole des huissiers défini par le texte cité précédemment. Mais dans l’alinéa deux de l’article premier, le législateur offre la possibilité aux huissiers d’élargir le domaine de leurs activités; ainsi et en ce qui nous concerne, "ils peuvent être commis par justice pour effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter, ils peuvent également procéder à des constatations de même nature à la requête de particuliers ". Ainsi pour reprendre la formule de J.Mérimée, "l’huissier procède alors régulièrement, mais son action n’est que supplétive".

Quant au décret du 17 décembre 1973, introduit dans le Nouveau Code de Procédure Civile, il tente de détrôner l’expertise, jusqu’alors envisagée comme unique mesure d’instruction effective, au profit des constatations et consultations. En ce qui nous concerne, au sujet des constatations, il est distingué traditionnellement deux sortes de constats :

·         Ceux dressés à la réquisition d’un particulier.

·         Ceux requis par une commission de justice.

Le point remarquable de ces textes concernant le constat, est la légalisation du constat sur commission de justice jusqu’alors tant controversé. Mais pour autant le monopole n’en est pas confié aux huissiers de justice, ce qui se comprend du fait que ce n’est qu’une mission adjointe à la profession. Cependant les constatations sont de façon empirique, majoritairement requises auprès des huissiers de justice. A contrario, il faut remarquer que cette légitimation dans l’ exercice des constats s’inscrit en contre face à la prohibition de la désignation de l’huissier de justice aux fins d’expertise.

 

 

 

3. Mesure d’instruction.

Pour situer le constat dans le panel des mesures d’instruction de l’ordre judiciaire, une étude comparative s’impose.

Tout d’abord, le juge peut procéder à des vérifications personnelles "(…)aux constatations, évaluations, appréciations ou reconstitutions qu’il estime nécessaires en se transportant sur les lieux" (art.179 à 183 NCPC). C’est un procédé idéal en théorie, mais bien difficile à mettre en œuvre dans la pratique, ce qu’on comprend mieux avec le phénomène résurgent de l’engorgement des tribunaux. Le débordement des magistrats est tel que le transport sur les lieux est devenu une arlésienne. La commission d’un technicien n’est dès lors qu’un palliatif tout trouvé mis à leur disposition.

Viennent ensuite la comparution personnelle des parties (art.184 à 198 NCPC), et les déclarations des tiers (art.199 à 231 NCPC) qui ont leur domaine propre puisqu’il s’agit essentiellement d’entendre des témoins privilégiés, sous forme d’attestations ou d’enquêtes. Par contre si un fait matériel peut être relaté aussi bien par un témoin que par un constatant, la préférence à ce dernier s’impose. Le témoin relate les faits passés et

sa mémoire peut lui faire défaut. Il fera des déclarations empreintes de plus ou moins d’objectivité, la réalité de ce qu’il a pu entrevoir en un temps limité et sous le coup parfois d’une certaine émotion ne correspondant pas avec ce qui s’est réellement déroulé, alors que le constatant consigne immédiatement ce qu’il voit, par écrit ou désormais par Dictaphone, et la manière de présenter les faits sera plus objective, car il n’est pas impliqué dans le litige. On rappellera tout spécialement que l’huissier de justice en tant que technicien constatant est astreint à une obligation déontologique de respect du triptyque "objectivité, loyauté, dignité", ce qui a priori peut constituer une garantie de tendre vers une certaine réalité, sinon à la vérité.

 

Enfin, en ce qui concerne les mesures d’instruction confiées à des techniciens, hormis les constatations, elles sont au nombre de deux :

·         La consultation (art. 256 à 262 NCPC), technique qui a pour objet, comme la constatation, d’éviter l’expertise. Le consultant peut être un expert mais doit agir beaucoup plus rapidement et à moindres frais. Le juge recherche de la sorte un simple avis technique.

Il ressort donc d’un comparatif de ces textes, que le code accorde aux constatations la primauté, ne serait-ce seulement du fait qu’elles sont les premières citées au titre des mesures d’instruction exécutées par un technicien, mais qui plus est à travers le principe de subsidiarité maintes fois mis en avant au sujet de l’expertise, cela pour l’ordre judiciaire.

En effet, la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives a introduit la faculté pour le juge administratif, à travers les dispositions des articles R.531-1 et R.532-1 du Code de Justice Administrative, de procéder à la commission d’un tiers pour effectuer "lors de l’exécution de travaux publics, (…) des constatations relatives à l’état des immeubles susceptibles d’être affectés par des dommages, ainsi qu’aux causes et à l’étendue des dommages qui surviendraient effectivement pendant la durée de sa mission". On perçoit mieux ainsi comment le caractère téléologique de l’institutionnalisation du procès-verbal de constatations est parachevé par cette consécration administrative. C’est dire aussi la valorisation des huissiers de justice et de leur propension toute spéciale à dresser ces constats que cette instauration engendre.

 

 

 

 

4. Légitimité doctrinale et validité jurisprudentielle.

Si M. Perrot a pu écrire en 1963 que " le constat n’a trouvé son assise, parce qu’il est aux confins de l’enquête et de l’expertise", nous pensons qu’aujourd’hui son opinion serait différente, et c’est l’objet-même de notre démonstration. Parallèlement il poursuivait ainsi : "Ou bien on demande un avis technique ou bien il ne s’agit pas d’un avis technique, mais alors on peut se demander en vertu de quels principes le juge peut ainsi se décharger de sa mission (sur l’huissier)". Cette prise de position au sujet des délégations judiciaires auxquelles fait référence M. le professeur Perrot, s’est également posée au sujet de l’expertise. Dans certains cas, les juges se sont déchargés de leur mission, non pas pour des raisons de facilité, mais du fait de la complexité technique du litige. Or, si la mission du constatant est bien remplie, il ne peut y avoir de délégation, puisque "le constatant ne doit porter aucun avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter" (art. 249 NCPC). C’est donc a priori une question désormais réglée, à tout le moins s’en est-on accommodé, le temps des économies du déjà "parent pauvre du budget" se faisant le relais du pragmatisme conjoncturel.

Avant la promulgation du décret du 17 décembre 1973 une abondante jurisprudence s‘était prononcée sur la validité du constat d’audience. A titre d’exemples deux arrêts peuvent être cités :

·         Par un arrêt du 14 octobre 1955, la chambre sociale a déduit qu’en commettant un huissier pour vérifier si les preneurs avaient commis les abus de jouissance, voies de fait, et usurpations de locaux que leur reprochait le propriétaire, et en faisant ensuite état des vérifications opérées, le juge n’avait nullement consenti une délégation générale de ses pouvoirs.

 

 

 

Afin de clore toute querelle, "le réformateur soucieux d’alléger le cours du procès et d’éviter une inversion des rôles, a reconnu au juge une très grande initiative pour définir la mission du technicien et provoquer la mise en marche et le contrôle de la mesure, en même temps qu’il a déterminé avec plus de précision le rôle du technicien".

Si le législateur en 1973, a défini le rôle du technicien, et plus particulièrement celui du constatant, il l’avait déjà fait en 1955 en des termes à peu près semblables :

·         (les huissiers) "peuvent être commis par justice pour effectuer des constatations matérielles exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Ils peuvent également procéder à des constatations de même nature à la requête des particuliers; dans l’un et l’autre de ces cas, ces constatations n’ont valeur que de simples renseignements.

A la lecture de ces textes, plusieurs observations s’imposent. Ainsi que nous l’avons remarqué, les constatations ne sont pas de l’apanage exclusif de l’huissier de justice. Ensuite, le décret de 1955 distingue deux sortes de constats : ceux sur commission de justice, et ceux dressés à la requête de particuliers, tandis que l’article 249 NCPC ne mentionne que les constats sur commission. Enfin tous deux s’accordent sur la finalité de la mission : (le constatant) " ne doit porter aucun avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter". Par contre, au sujet de l’objet de la mission, le premier texte précise qu’il ne s’agira que "de constatations purement matérielles". Est-ce là une omission législative de 1973 qui ne donne pas une telle qualification aux constatations ? Sans doute est-ce intentionnel car, nous le verrons plus avant, la portée pratique de cette expression a posé de nombreux problèmes, qui se sont syncrétisés autour de la pratique de l’audition de sachants, laquelle a été controversée sur le point de savoir s’il s’agissait d’une constatation purement matérielle ou non. Depuis 1973, " le technicien peut recueillir des informations orales(…)" (art.242 NCPC).

En ce qui concerne la force probante, les textes issus de la loi de 1973 sont conformes aux anciens textes et à la jurisprudence. Dans tous les cas le procès-verbal de constatations n’a pas la valeur d’un acte authentique et par conséquent, il est laissé à la libre appréciation du juge, … si toutefois le constat a été dressé dans des conditions régulières.

Loin de tomber en désuétude, l’article 34 du décret de 1955 est complémentaire des nouveaux textes. Ainsi le législateur, au lieu de supprimer les anciens textes, n’a fait que les améliorer, par stratification (ce qui donne lieu à une inflation législative tant déplorée aujourd’hui), afin que les magistrats puissent utiliser ce procédé de preuve à leur discrétion et plus aisément.

C’est pourquoi la distinction traditionnelle entre les constats requis par les particuliers, et ceux requis à la suite d’une commission de justice, subsiste.

Le décret de 1973, en légalisant ce dernier a édicté des conditions qui lui sont particulières. Mais les conditions de validité, forgées par les décisions de jurisprudence, les instructions de la Chancellerie et des Parquets, sont toujours valables.

Se pose alors la question de savoir, à travers l’appréhension de la notion de constat, comment ce dernier s’insère dans le droit de la preuve et quelles sont les interactions dues aux mutations de ces deux domaines.

Dans une première partie, il va s’agir de réaliser le processus d’institutionnalisation en tant que mode de preuve du constat, dont on verra qu’il est à dominante téléologique. Sur cette lignée va se greffer la dichotomie des constats extrajudiciaires (chapitre 1) et judiciaires (chapitre 2), qui montre l’évolution de la reconnaissance du procès-verbal de constat.

Ensuite et dans une seconde partie, nous étudierons comment les constats, à travers leur régime juridique (chapitre 1), s’harmonisent avec l’évolution moderne du droit et de la théorie moderne des preuves, quant à leurs effets (chapitre 2).

 

 

PARTIE I- LES CONSTATS A TRAVERS LA CONCEPTION LEGALISTE DE LA PREUVE.

 

 

 

 

 

Prélude :

Les différentes catégories de constat ont explosé dans le sens d’un recours massif à ce procédé de preuve ; parallèlement, le champ des possibles s’est tellement démocratisé que tout essai de typologie du domaine des constats s’avère être une entreprise ardue, tant ce domaine est mouvant, et donc peu propice à se voir appliquer des critères de classification. Le constat procède en quelque sorte de l’adage pénal selon lequel tout ce qui n’est pas interdit est permis, et son domaine d’application ne fera que suivre l’esprit sagace et fertile des justiciables ou requérants.

En se focalisant sur le point de savoir quel rapport entretient le constat face au droit de la preuve, et en étant manichéen, on se rend très rapidement compte du fait que le constat est essentiellement judiciaire, et que comme tel, il est régi par les dispositions du Nouveau Code de Procédure Civile afférentes à l’administration de la preuve. Mais l’on sait aussi que le constat existe indépendamment d’une cristallisation d’un contentieux. Quels liens nouent l’un et l’autre, comment jouent-ils leur rôle en tant que mode de preuve, comment leur histoire explique-t-elle cet acte Janus juridique, dont l’une des facettes reste souvent dans l’ombre ? Autant de questions sur lesquelles il faut tenter de faire la lumière.

Deux axes principaux vont nous intéresser au titre de cette partie, à savoir tout d’abord l’insertion du constat dans le milieu extrajudiciaire (chapitre 1), comment il se réalise et pour quels objectifs. Il sera alors temps d’étudier les spécificités du constat judiciaire (chapitre 2).

 

 

 

CHAPITRE 1- Les constats extrajudiciaires :

 

 

 

 

 

La notion recouvre les constats requis d’un particulier, et se présentent sous deux fondements : soit ils sont requis à la demande d’un simple particulier (§1), soit ils le sont toujours à la requête d’un particulier, mais cette fois en vertu d’une prescription légale de constat (§2). Après avoir envisagé les conditions tenant à la formation et à l’objet de ces constats, nous verrons quels rapports ces deux types de constat entretiennent au regard du droit de la preuve (§3).

 

 

 

§1- Les constats requis par un simple particulier :

Le décret du 20 mai 1955 autorise les huissiers de justice à dresser des constats dans deux séries d’hypothèses, soit sur commission de justice, soit à la requête de simples particuliers, ce que nous allons appréhender en l’occurrence.

Ces constats ne font pas l’objet d’une réglementation spéciale ; leurs conditions d’exercice découlent des décisions de jurisprudence, des instructions de la chancellerie et de la pratique ; d’une manière générale, ces conditions sont communes à celles requises pour les constats diligentés sur commission de justice.

Après avoir vu l’objet des constats sur simple réquisition d’un particulier, nous aborderons le sujet des conditions préalables auxquelles est assujetti ce type de constat d’abord du point de vue du requérant, puis de l’huissier de justice. Enfin nous nous attacherons aux spécificités de ce type de constat au regard du droit de la preuve.

 

 

 

 

 

 

 

A.     Un objet protéiforme :

1.      La variété des demandes de constat :

·         Généralités et domaines caractéristiques d’illustration du constat :

·         Le constat et les personnes physiques

Il ne s’agit pas ici d’élaborer un inventaire exhaustif à la Prévert qui tendrait à devenir homérique, simplement de donner un aperçu de ce que les procès-verbaux de constat peuvent être extrêmement éclectiques.

Sans ambages, le constat d’adultère est assurément celui qui marque encore le plus l’esprit du public. Point n’est besoin d’exposer ici les tenants et les aboutissants de celui-ci, sur lequel nous reviendrons amplement tant il a contribué à forger le régime jurisprudentiel du constat.

Mais si ce dernier a quelque peu souffert en termes de quantité et essentiellement du fait de réformes, il en est un parallèle, mais qui ne recouvre pas le même domaine du divorce, qui a su tirer profit de cette déchéance ; c’est le constat d’abandon de domicile conjugal, et dans une moindre mesure le constat de concubinage.

Si le premier avait sa raison d’être dans le cadre du divorce pour faute, l’instauration de modalités de divorce novées a conduit à ce que ce second type de constat s’attache pour l’essentiel à une rupture prolongée de la vie maritale. Mais à l’heure où l’on élabore des réformes du droit de la famille, et notamment avec la finalité de simplifier le divorce, on peut se poser des questions quant à la survie, en particulier du constat d’adultère qui n’est déjà plus que l’ombre de lui-même.

C’est également en matière de successions que le constat a son rôle a jouer, en ce qu’il va constituer l’inventaire des biens, tout comme cela est réalisé pour la liquidation des régimes matrimoniaux dans leur ensemble.

Un particulier peut appeler un huissier pour constater l’état actuel des biens d’une donation. Notamment, l’article 860 du Code Civil (modifié par la loi du 3 juillet 1971) dispose que "le rapport est dû de la valeur du bien donné à l’état du partage, d’après son état à l’époque de la donation". Si le donataire reçoit un bien qu’il a l’intention d’améliorer ou de modifier, il a tout intérêt à faire constater l’état actuel du bien donné, à l’époque de la donation ; sinon au moment du décès ou du partage, la valeur du bien sera calculée sans tenir compte des améliorations faites par lui. Alors que l’article 861 dispose qu’il doit être tenu compte des améliorations et impenses, apportées par le donataire, comme d’ailleurs des dégradations et détériorations.

C’est également la possibilité, eu égard au droit de visite des enfants, de faire constater la non représentation d’enfant ; c’est l’un des points dont nous réservons l’étude, étant donné que ce constat correspond à une catégorie de constats au sein d’une typologie.

Se révèle déjà à travers le mince énoncé de ces constats possibles en matière de droit patrimonial de la famille un certain éventail d’une diversité certes matérielle, mais aussi et surtout structurelle.

 

·         Le constat et les biens.

Les litiges locatifs font également l’objet de nombreux constats. Un propriétaire pourra par exemple faire établir la mauvaise destination des locaux, tel un appartement loué à usage exclusif d’habitation, transformé en local commercial ; ou bien l’occupation des locaux par une famille autre que celle à laquelle le bail a été consenti. Par ailleurs, l’huissier aura à dresser des constats en application de la loi du 1er septembre 1948, article 3 quinquiès et 3 sexiès qui prévoient qu’un constat est joint au bail consenti sous certaines conditions. C’est toutefois un domaine en voie de désuétude, du fait de l’ancienneté de la loi, et des constructions afférentes, mais aussi du fait du nouveau système suivant.

En matière locative, autre matière que nous réservons, existe en outre tout le système de protection légale, qui a récemment été rénové par la loi SRU du 30 décembre 2000. C’est le domaine du traditionnel état des lieux locatif .

C’est aussi par le constat qu’en matière de construction ou de rénovation immobilière, l’on va pouvoir établir la preuve que d’éventuelles dégradations des propriétés contiguës vont provenir des travaux effectués sur le site. Preuve sera faite, permettant aux riverains d’obtenir de justes réparations du fait des atteintes provoquées par l’accomplissement des travaux et non du fait de troubles antérieurs.

Enfin, le simple constat d’affichage d’un permis de construire va se révéler être un élément de preuve capital pour le promoteur ou le propriétaire en cas de recours en annulation.

 

 

·         Le constat et la vie des affaires.

D’abord en ce qui a trait à l’entreprise, le constat de la présence ou non de produits va pouvoir être l’élément moteur de la validité ou non d’une clause de réserve de propriété, ce qui dans la vie des affaires revêt une importance considérable, en tant qu’atout dans la lutte contre les impayés, agissant comme moyen de pression et ce, notamment en cas de redressement judiciaire.

Cela va également pouvoir recouvrir en termes de responsabilité, le constat d’impossibilité de la conduction ou de l’avancée de travaux, du fait d’intempéries, de dégâts causés, ou notamment en matière de construction, dès lors que l’une des entreprises devant réaliser sa part de travail n’a pas abouti au résultat convenu en temps et heure.

Pour le personnel de l’entreprise, l’huissier va intervenir dans les conflits du travail, et ainsi permettre de sécuriser des situations souvent fragiles car sous tension, afin d’éviter les débordements.

C’est souvent aussi au sein cette fois de la direction de l’entreprise, et plus précisément lors des assemblées générales, qu’un ou plusieurs des associés vont avoir recours à l’huissier en ce qu’il va revêtir du sceau de ses attributions d’officier public et ministériel, les procès-verbaux d’assemblée.

Enfin on doit rappeler que si l’entreprise créée, elle ne va pouvoir faire constater les contrefaçons de ses produits que par un constat d’huissier sur lequel le tribunal pourra se prononcer quant à la réalité de la contrefaçon.

 

·         Description de certaines formes particulières de constats, comme les jeux, concours, loteries.

Afin de donner un maximum de confiance au public, les organisateurs de jeux, concours, loteries et tombolas, font appel aux services de l’huissier de justice. En ce domaine, il doit faire preuve d’une extrême circonspection, car souvent ces opérations entrent en contravention avec les prohibitions législatives et réglementaires strictes en la matière. En effet même si les opérations paraissent licites, l’huissier doit s’abstenir de participer au classement des concurrents, à la désignation des gagnants et se borner aux constatations purement matérielles excluant toute immixtion personnelle dans le déroulement des opérations et les décisions du jury.

Il faut en effet rappeler que l’huissier de justice dont le concours est demandé, pour inspirer au public plus de confiance dans une opération dont le but purement commercial et publicitaire va de soi, risque d’être englobé dans des poursuites pénales comme complice ou co-auteur d’un délit. En effet, l’article 410 du code pénal rend passibles de peine : "tous ceux qui auront établi ou tenu des loteries non autorisées par la loi…". Le problème se pose alors de savoir ce que recouvrent les loteries, c’est à dire et en forme d’une définition, d’aboutir au champ d’investigation possible de l’huissier de justice.

La loi du 21 mai 1836 prohibe les loteries de toute espèce, et son article 2 précise que " sont réputées loteries…et généralement toutes opérations offertes au public sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait acquis par la voie du sort".

Quant à la loi du 20 mars 1951, suivie par les décrets du 19 septembre 1951, du 5 août 1961 et du 7 avril 1971, interdit les ventes avec primes. Est ainsi considéré comme prime, "tout produit attribué aux participants à une opération présentée sous la forme de jeu, concours ou sous toute autre dénomination, lorsque, d’une part, la participation à l’opération ou l’octroi de bonifications de points est subordonnée à un ou plusieurs achats et que d’autre part, la facilité des questions permet normalement au plus grand nombre de participants de trouver la solution". La jurisprudence a alors élaboré les éléments constitutifs du délit, que sont la publicité, l’espérance d’un gain, l’intervention du hasard, le caractère onéreux de l’opération. De plus, comme aucune autorisation administrative préalable n’est requise, et l’huissier de justice, concomitamment avec les organisateurs, doit apprécier la licéité de l’opération projetée. Or il y a parfois intervention de coutumes, ou de circonstances de fait qui vont être le fondement de poursuites, d’où la précellence d’une certaine circonspection.

Là est le point d’achoppement de ce type de constat, outre qu’il est juridiquement de faible portée, puisqu’il confère simplement date certaine à la mesure qui va être mise en place, se réalise dans l’expectative dans laquelle est l’huissier d’entrer sous le coup d’une condamnation pénale en permettant un concours, ou de mécontenter, voir perdre un client, si dorénavant le concours ou le jeu d’un concurrent venait à être accepté.

 

2.      Les mutations dans les demandes de constat :

·         Naissance de constats et les mutations technologiques.

L’évolution de l’objet du constat est toute contingente et elle va ainsi suivre les innovations et… même si l’on rebute à l’exprimer ainsi, l’esprit de chicane des plaideurs ou particuliers.

Depuis quelques années apparaissent des écrits et une volonté d’appréhender le domaine de l’informatique, car si le milieu judiciaire est quelque peu rétif à l’innovation, nécessité faisant loi, les professionnels du droit dans leur ensemble ont été contraints de s’adapter. Déjà, la montée en puissance du secteur tertiaire avait infléchit l’objet du constat en ce qu’elle avait aboutit à la constatation matérielle de valeurs par essence immatérielles.

Mais ce sont surtout les accessoires de l’outil informatique et les médias du troisième millénaire qui ont donné lieu à un développement innovant et à un florilège dans le déploiement des activités de l’huissier de justice.

Ainsi en ce qui concerne la protection du droit d’auteur en matière de nouvelles technologies, il apparaît un vide juridique, car il n’existe aucune règle légale de dépôt. Or il a été développé de manière prétorienne, ce qui est une constante inhérente à l’historiographie du constat, diverses catégories de constats aux fins de protection.

Tout d’abord le procès-verbal de dépôt d’un logiciel. Certains huissiers ont usé pour cette occasion, de la possibilité qui entre dans leur mission d’apposer des scellés et d’établir des procès-verbaux de scellés. Dès lors les scellés vont être effectués, soit chez l’huissier et conservés en son étude, soit sur un site et conservés sur place. Rappelons dès à présent que certaines mentions du procès-verbal de constat vont receler le caractère authentique, en particulier en ce qui concerne sa date. C’est en l’occurrence l’intérêt de ce procédé, en ce qu’il va permettre de fixer de façon certaine la date de la création du logiciel sans nécessité de déplacement, nous y reviendrons, dans la mesure où ce dernier reste sur place chez le déposant. "Cependant, et pour assurer la pérennité du logiciel, ce type de dépôt pourra être complété par une convention précisant les modalités d’accès aux tiers aux programmes sources".

Ensuite le procès-verbal de constat sur l’Internet, lequel va s’avérer utile pour des internautes utilisateurs, ou le droit d’auteur. Pour les premiers, se trouvent déjà demandés des constats pour la conformité des services proposés sur l’Internet lorsque le client ne trouve pas sur le réseau les services proposés et mentionnés dans le contrat. Des questions viennent alors : s’agit-il d’un défaut de l’installation de l’utilisateur, le contrat mentionne-t-il des particularités pour l’installation en vue de l’utilisation de l’Internet, et que dire du constat d’adultère virtuel ? … La presse s’est faite l’écho d’une récente affaire d’adultère sur l’Internet aux Etats-Unis. Un mari a intenté un procès à sa femme, pour avoir eu des relations sur l’Internet qu’il a qualifiées d’adultérines. Alors, comment apprécier le virtuel avec des constatations purement matérielles ? C’est un problème quant auquel nous reviendrons.

Enfin le procès-verbal de constat dans le but de protéger l’auteur. L’huissier de justice pourra encore établir un tel constat relatant le contenu de l’information téléchargée sur Internet ou dresser un procès-verbal de constat de scellés de l’écrit diffusé sur l’Internet. L’hiatus posé se trouve comme en matière de contrefaçon, car une fois téléchargée par une ou dix mille personnes, la version informatique ne peut plus dès lors être saisie, car chaque ordinateur recelant l’information possède potentiellement la faculté de télécharger à son tour l’information.

Il est ainsi patent que si le domaine de la preuve de l’information en ce qui concerne les nouvelles technologies, est nouveau, il peut apporter un regain de difficultés, tant dans son objet que par exemple par rapport à la compétence territoriale de l’huissier instrumentaire. Sur ce dernier point, il est à signaler d’ores et déjà que l’Internet constitue un moyen de s‘affranchir des règles astreignantes, mais protectrices du ressort auquel se rapporte l’huissier de justice.

 

·         Matières moribondes ou déchues.

Il fut fréquent qu’un huissier de justice soit appelé par des particuliers pour constater des dégâts matériels occasionnés par un accident de la circulation. Il devait constater les traces de pneus des voitures, l’état de la chaussée, mesurer les distances …etc. A Marseille les huissiers s’étaient groupés afin que l’un d’eux soit toujours disponible pour assurer les constatations le plus rapidement possible. Ici également les huissiers n’avaient pas d’attributions spéciales, mais l’usage a voulu que le public recoure à ces officiers ministériels. Les compagnies d’assurance ont mené une campagne à l’encontre du constat d’huissier, qu’elles voulaient remplacer par des constats amiables.

En effet, le remboursement des constats d’huissier pesait, selon elles, trop lourdement sur leurs budgets. C’est pourquoi chaque assuré doit désormais posséder un formulaire dans son véhicule qui est rempli en cas de collision par les propriétaires des véhicules accidentés.

Malgré les mutations technologiques évoquées précédemment, il est à rappeler que le constat d’adultère est en voie de périclitation, en conséquence d’une évolution des législations sur le divorce, et parallèlement d’une évolution dans les mentalités qui ne conduit pas nécessairement l’huissier à recommander cette mesure, même s’il est tenu d’instrumenter, sous certaines limites. En effet, et ne serait-ce que d’un point de vue pécuniaire, la démarche si elle est peu coûteuse pour le client, va demander un certain nombre d’investigations de la part de l’huissier, dont il ne va pas nécessairement être rétribué à leur juste valeur.

 

·         Le distinguo monde agricole/monde citadin et les constats.

C’est une distinction dont on peut se demander si elle est bien légitime tant on vient de démontrer, d’une part combien le constat est placé sous le signe de la diversité, ce qui infère une diversification qui englobe la ruralité, et d’autre part, combien l’objet des constats est mouvant et pour ainsi dire se spécialise et se modernise : il est en quelque sorte un très bon indicateur sociologique et de l’état d’avancée d’une société. Or dans une société où le monde rural représente moins de 15% de la population, on comprend en conséquence que le domaine des constats afférents va être réduit d’autant, mais va toutefois demeurer spécifique. Qui en matière de bornage, de mitoyenneté relatifs à des terrains agricoles (l’arpentage pourra même s’effectuer par photographies prises à bord d’un avion), qui en matière de servitudes de passage…, etc. Il nous souvient ainsi d’un procès-verbal de constat au nord de la Loire-Atlantique, au sujet d’un problème bucolique de mitoyenneté. Des "palis", c’est à dire des haies constituées de hautes pierres plates très courantes dans cette région, délimitaient des lots de propriété, et d’après ce que nous avions pu décrypter sur l’acte notarié afférent, ces palis devaient être considérés comme mitoyens. Mais des dégradations avaient été commises par l’un des propriétaires, en sus d’empiétements. Or l’on sait combien la cristallisation de tels conflits de propriété est souvent extrajudiciaire, et combien leur résolution va passer par des moyens divers et variés, le plus souvent délictueux, quand ce n’est pas plus dramatique. L’aura dont bénéficie l’huissier de justice va alors être d’un grand secours en ces situations, surtout lorsque des règles tacites, qui sont autant de coutumes, interfèrent avec la loi.

 

 

 

A.     Les conditions de la demande de constat :

1.      Les conditions propres au requérant :

·         Les conditions tenant à la personne du requérant.

Le problème qui se pose ici est de savoir de quelle manière le constat est susceptible d’entraîner la responsabilité du requérant, et en d’autres termes quelle est l’obligation qui pèse sur celui-ci. Afin d’élucider cette question il convient de déterminer la nature de l’acte de constat. Sur ce point se greffe bien entendu la dichotomie réalisée entre les actes de disposition et les actes d’administration. C’est tout naturellement d’un acte d’administration dont il s’agit, puisqu’il a pour finalité de tendre au maintien des droits dans le patrimoine du requérant, droit qui n’est de ce fait pas transmissible, car éminemment personnel. Le requérant devra donc répondre aux conditions usuelles de capacité juridique (condition de minorité et de protection des majeurs), afin de pouvoir se constituer mandant de l’huissier de justice.

 

 

·         Les conditions tenant à la demande du requérant.

Il en va par tradition, de ce qui est prévu par l’article 1108 du Code Civil ayant trait aux conditions essentielles pour la validité des conventions, et plus précisément en l’occurrence " d’une cause licite dans l’obligation". Cela va avoir partie liée avec les développements suivants, à savoir qu’un officier ministériel ne peut agir comme "un tueur à gages", et que la fin n’explique pas toujours les moyens : l’huissier est assujetti à des obligations déontologiques.

 

 

 

1.      Les conditions de l’acceptation de l’huissier :

·         Ici s’expriment les limites à l’exercice du ministère de l’huissier de justice (art. 15 du décret du 29 février 1956) ou les dérogations au ministère obligatoire de l’huissier de justice (empêchements, lien de parenté ou d’alliance, ordre public et bonnes mœurs ).

Si le ministère obligatoire est la règle, l’huissier de justice doit s’abstenir dans tous les cas où son procès-verbal serait contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Il peut, et doit refuser son concours lorsque le constat requis risque d’entraîner sa responsabilité personnelle sur le plan pénal. L’huissier peut ainsi légitimement refuser son ministère lorsqu’il apparaît que son constat sortira d’un cadre juridique précis, en raison de sa nature ou de sa destination. Notamment s’il se trouve en présence d’une mise en scène évidente ou si l’acte sollicité est extravagant ; enfin, s’il lui apparaît que sa destination est immorale, ridicule ou a but purement publicitaire, son refus d’instrumenter sera acquis comme légitime.

Les exemples en la matière sont légion. Ainsi, un huissier s’est vu demander par un fabricant de maillots de bains dont le tissu devait être perméable aux rayons ultraviolets du soleil, de constater après exposition si la personne portant ledit maillot présentait ou non les marques de bronzage ! La célèbre mystification de Dorgelès faisant peindre le "coucher de soleil sur l’Adriatique par Boronali" à coup de queue d’âne eut gardé toute sa saveur dans le domaine pictural et anecdotique sans la participation restée légendaire d’un huissier à l’opération.

M. Perrot décline quant à lui les différents empêchements (de nature matérielle ou juridique) dont peut arguer l’huissier de justice, de ceux dont il ne fait pas de doute qu’ils soient légitimes. Mais peut parallèlement se poser la question de savoir si l’huissier peut opposer un refus de ministère lorsque la cause du contrat est sans portée juridique, en quelque sorte s’il peut refuser d’effectuer des actes purement frustratoires. Sur cette difficulté s’est agrégée la portée des constats négatifs (ce notamment pour les constats d’abandon de domicile conjugal : qu’est-ce qui prouve que le mari n’est pas en voyage d’affaires et victime d’une épouse mythomane ? !). Il y a bien un problème puisqu’a contrario d’autres cas d’espèce montrent que les constats négatifs ne sont pas des actes inopérants (par exemple un constat de l’absence d’éclairage, de telle protection sur un échafaudage, pouvant déboucher sur l’absence de conformation aux normes de sécurité). De cette ambivalence, il faut déduire que l’huissier de justice va devoir instrumenter ; a fortiori ne peut il refuser ad nutum son concours.

 

 

 

 

§2- Les prescriptions légales de constat :

 

Ce sont des constats vis à vis desquels le législateur a voulu assurer un régime spécial de protection, et de ce fait l’huissier de justice, parfois à titre subsidiaire, est prévu comme technicien de constatations. C’est en quelque sorte une garantie que la réalité de l’état d’un bien ne sera pas flouée, que le requérant d’un litige éventuel ne tire pas la couverture à lui. Ces constats sont aussi la consécration de l’idée d’une protection de la partie faible pour certains, ou de la propriété pour les autres. Voyons donc d’abord à quoi ont trait ces constats résultants de prescriptions légales (A), avant d’aborder les points d’orgue de ces dérogations (B).

 

A.     Objet des prescriptions :

1) Protection des rapports locatifs :

A titre préliminaire il convient de rappeler combien les lois apparues dans un but de protection des rapports locatifs ont été prises essentiellement en faveur du locataire, jusqu’à ce que naisse un droit au logement, affirmé comme droit fondamental depuis la loi du 22 juin 1982, dite loi Quillot. La propriété comme droit absolu a ainsi souffert d’atténuations qui se sont mutées en dérogations. Si les articles 1730 et 1731 du Code civil mettent à la charge du locataire des obligations en termes de conformation à l’état des lieux élaboré, depuis la loi du 1erseptembre 1948, jusqu’à la dernière en date, du 13 décembre 2000, dite loi SRU (relative à la solidarité et au renouvellement urbains), la plus grande part des obligations afférentes au droit au logement a abouti à ce que la majorité des normes soit désormais à la charge du propriétaire, et dans la lignée des lois sur la consommation, a instauré un nouveau droit des incapacités, au profit de l’acquéreur immobilier. Mais là n’est pas l’objet de notre étude, ce d’autant plus que la question a été largement étudiée.

Nous devons simplement remarquer que s’il y a eu un florilège de lois ayant abouti à introduire l’obligation pour le bailleur, de délivrer un logement conforme à des normes de confort et d’habitabilité, la récente loi SRU pourrait en matière d’état des lieux avoir des inflexions revoyant à la baisse lesdites obligations. En effet, s’il avait été instauré un droit au logement sans cesse réaffirmé depuis 1982, la loi du 13 décembre 2000 contraint désormais le bailleur à délivrer un logement décent, sans toutefois se départir de ce droit au logement, cela va de soi. Tout au contraire elle le réaffirme, d’autant qu’il est reconnu comme un droit ayant valeur constitutionnelle. De l’analyse précitée de M. E. Bazin, à laquelle on se référera pour davantage de précisions, il convient d’extraire qu’en définitive, et avec trop peu de recul, on ne peut se prononcer sur le point de savoir si le concept de décence doit être entendu stricto sensu, auquel cas le domaine du procès-verbal de constat d’état des lieux s’en ressentirait très certainement ; mais l’on doit exprimer qu’à notre avis il doit faire l’objet d’une interprétation large, car la loi SRU doit être entendue seulement comme une extension du droit au logement, afin de lutter contre la location de taudis, de garages ou caves aménagées en logements locatifs, voir de logements insalubres.

Les litiges de baux d’habitation accréditent l’idée d’un état des lieux en fin de location, se présentant souvent comme une pomme de discorde. Or comme il a déjà été signalé, ce type de contentieux devrait à tout le moins être réduit, car aux termes de l’article 3 de la loi du 6 juillet 1989 les états des lieux d’entrée et de sortie font partie des annexes obligatoires au contrat de location, quand ils ne le sont en fonction du droit commun, c’est à dire selon le Code Civil. Pour autant il est peu recommandable de ne pas établir de tel état des lieux, tant du point de vue du bailleur, qui pourra in fine se voir devoir supporter les dégradations du logement et restituer au locataire sortant le dépôt de garantie. On rappelle au besoin que les dispositions de l’article 1730 du Code Civil s’appliquent et font en sorte que le preneur doit rendre la chose telle qu’il l’a reçue, sauf si elle a péri, a été dégradée par vétusté ou force majeure, …et également depuis la loi du 6 juillet 1989, du fait d’une malfaçon, d’un vice de construction et cas fortuit. Il faut nécessairement adjoindre à cet article le suivant, qui dispose qu’à défaut d’état des lieux d’entrée, le bailleur ne peut bénéficier en principe de ces dispositions (présomption de réception des lieux en bon état par le locataire).

Sans plus ergoter sur le sujet, il nous a été donné d’appréhender l’importance que pouvait revêtir le constat en la matière ; simplement peut-on, à l’instar de M. Eric Bazin, évoquer "la question de la valeur du constat unilatéral d’état des lieux établit par l’huissier de justice", à savoir que si un constat d’état des lieux emporte souvent la conviction des juges, la valeur d’un tel constat va pouvoir être discutée dès lors qu’il est dépourvu de la force exécutoire. Pourtant une analyse jurisprudentielle démontre qu’il va pouvoir être reconnu comme mode de preuve. Pour de plus amples développements, nous renvoyons très directement à l’article susmentionné.

 

1.      Protection des créateurs :

L’évocation de l’origine des constats d’audience dans la saisie-contrefaçon a déjà été évoquée ici. Ainsi un procès-verbal de constat dressé par huissier est disposé par l’article 47 de la loi du 5 juillet 1844, régissant les brevets d’invention ; c’est également le cas de l’article 17 de la loi du 23 juin 1857 sur les marques de fabrique ou de commerce, et de l’article 12 de la loi du 14 juillet 1909. Ces textes prévoient que le procès-verbal de constat sera dressé par huissier, choisi par le requérant et agissant en exécution de l’ordonnance rendue par un magistrat désigné par un texte de loi qui prévoit spécialement ce mode de preuve. Depuis lors il est tout un panel de lois, inséré dans le code de la propriété industrielle, sur le fondement desquelles l’huissier de justice va être habilité à instrumenter, qui a été élaboré avec pour finalité la protection des créateurs.

Il leur offre la possibilité "de faire procéder par tous huissiers à la description détaillée, avec ou sans saisie, des objets ou instruments incriminés, en vertu d’une ordonnance rendue par le Président du Tribunal de Grande Instance dans le ressort duquel les opérations doivent être effectuées, sur simple requête". Il y a bien dès lors un constat, car la saisie ne va être qu’ultérieure afin d’éclairer ces constatations préalables. Nous noterons par ailleurs, tout en réservant nos développements, que les textes permettent à l’huissier d’être assisté d’un expert à l’occasion des constatations.

On se contentera de donner un éventail des textes régissant actuellement cette fraction de l’objet des constats d’huissier :

·         la loi du 14 juillet 1909 et le décret du 26 juin 1911 sur les dessins et modèles,

Toutefois, il est à préciser que ce domaine de la saisie-contrefaçon est actuellement en plein développement, et notamment parce qu’il consacre l’appréhension juridique de l’immatériel. En effet, on peut réaliser, au moins sur l’Internet, que la vitesse de transmission, l’internationalisation des transferts, l’anonymat relatif, certes, des émetteurs et la facilité contingente d’implantation des sites serveurs, facilitent la divulgation sauvage des œuvres, qu’il s’agisse de textes littéraires, d’images, de sons, de jeux ou de logiciels. Comme il a déjà été exprimé, "la contrefaçon et le plagiat ne changent pas de nature, seulement de dimension". Or en la matière très peu de protections légales sont intervenues, hormis la loi régissant la protection des logiciels du 10 mai 1994, nous n’en sommes véritablement qu’aux prémisses d’un droit du Cyberespace.

 

1.      Protection des justiciables :

Nous n’ajouterons rien de plus aux développements concis et précis de M. J.-J. Hulaud consacrés à cette question. De telles mesures apparaissent en effet par rapport aux biens immobiliers. Tout d’abord en ce que l’article 2199 du Code Civil institue les modalités de la mise en cause du manquement du Conservateur des Hypothèques à ses obligations, face auxquelles il engage sa responsabilité personnelle. "Procès-verbaux des refus et retardements seront, à la diligence des requérants, dressés sur-le-champ, soit par un juge du Tribunal d’Instance, soit par un huissier audiencier du tribunal, soit par un autre huissier ou un notaire assisté de deux témoins".

Il s’agit ensuite du procès-verbal de description d’immeuble pris en application de l’article 673 de l’Ancien Code de Procédure Civile ; il y a là une protection du justiciable grevée sur le droit de propriété immobilière, toujours éminemment considéré (malgré quelques estocades on l’a vu), la saisie n’affectant pas seulement le débiteur saisi, mais sa famille, en tant que logement familial.

Le constat ainsi disposé par la loi va être protecteur, tant du créancier poursuivant qui possédera tous les éléments adéquats en vue de la mise à prix, car le cahier des charges aura été établi avec un maximum de diligences, que du débiteur saisi dont il est dans l’intérêt de voir son immeuble vendu au meilleur prix.

On ajoutera simplement en termes d’actualisation, que la loi n° 98-46 du 23 janvier 1998 relative à la lutte contre les exclusions, un nouvel alinéa 3 à l’article 673 ACPC, qui vient renforcer la protection du débiteur saisi, lorsqu’il est une personne physique, en lui donnant les possibilités, d’abord de saisir la commission de surendettement (art.331-1 du Code de la Consommation) lorsqu’il se trouve en cette situation, ensuite de bénéficier de l’aide juridictionnelle, et que le montant de la mise à prix du logement familial peut faire l’objet d’un dire, lorsque l’immeuble constitue le logement familial.

 

 

A.     Caractérisation des dérogations :

Il apparaît que ces procès-verbaux pris en application d’une loi, sont tous relatifs à des lois de protection. Protection légale de la notion de propriété pour l’essentiel ou bien d’une situation de partie faible notamment pour les rapports locatifs. A terme on doit en extraire deux conséquences, que cette immixtion de la loi dans des situations à fort potentiel de risque, conduit à renforcer le procès-verbal de constat en premier lieu en ce qui concerne le principe du contradictoire, et en second lieu dans la force des constatations ainsi élaborées.

 

 

1.      Renfort du principe du contradictoire :

A ce titre, la matière des rapports locatifs est la plus emblématique de cette évolution qui, on l’a déjà exprimé, transcende le droit procédural, autant que les droits substantiels. C’est la loi elle-même qui a pris en compte l’aspect contradictoire que devait revêtir le procès-verbal d’état des lieux. L’intérêt bien compris de ces lois étant certes de protéger le bailleur et le locataire ou le preneur, mais aussi et surtout de lutter contre une inflation de ce type de contentieux, qui tendait à devenir un contentieux de masse qu’il était très difficile de gérer, en raison du caractère subjectif des allégations, et de la surenchère d’invectives à laquelle il donnait lieu. Ne dit-on pas qu’il vaut mieux prévenir que guérir ? En tous les cas, cette prise en amont du problème, de l’état des lieux d’entrée, conjuguée avec des soins palliatifs, représentés par celui de sortie, ont l’avantage de sécuriser les relations juridiques autant que de rasséréner les parties au contrat.

Pour autant cela n’est pas la panacée, et l’étude réalisée par M. E. Bazin du constat unilatéral d’état des lieux le confirme. Elle réalise combien ce rapport au contradictoire va pouvoir être floué, et combien les obligations nées d’une loi sont parfois difficiles à mettre en œuvre, dans une société où il est souvent préféré voiler les réalités. Le contradictoire ne va pas de soi !

 

  1. Renfort dans la force des constatations :

Si les précédentes remarques peuvent se poursuivre ici, en ce que l’aspect contradictoire des constatations va trouver un regain d’intérêt pour le juge, c’est très nécessairement parce que deux opinions concordantes, prise sous l’égide de l’huissier, valent mieux qu’une seule.

Par ailleurs, en ce qui concerne cette fois la protection des créateurs, il est à noter que ces instaurations légales, si elles sortent du strict cadre des constatations en ce qu’elles sont nécessairement liées à la saisie qui va pouvoir en résulter, comportent, on le rappelle, une part prépondérante de renseignements sur lesquels le juge va se prononcer quant à la réalité de la contrefaçon. C’est de cette manière que les créateurs requérants vont être protégés par ces lois d’ordre public, impératives, contre les fraudes obtempérées à l’égard de leurs droits. Le renforcement des constatations va être d’autant plus prégnant qu’il est nécessairement imprégné de la loi de laquelle il découle. C’est donc un système de preuve légale, vis à vis duquel le juge n’est pas lié puisqu’il dispose d’un pouvoir d’appréciation. En cela aussi la force des constatations s’en ressentira, puisque ce contrôle préalable leur donnera davantage de vigueur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

§3- Constats à la requête de particuliers et droit de la preuve :

 

Les choses qui vont sans dire, allant mieux en les disant, il faut désormais préciser la finalité du procès-verbal de constat au regard du droit de la preuve. Le caractère extrajudiciaire du constat à la requête d’un simple particulier n’est donc pas anodin et va démontrer un rôle parajudiciaire que l’on peut qualifier d’à toutes fins utiles. La première de ces fins étant plus précisément celle d’une préconstitution de preuve, soit parce que la partie désire figer une situation en vue de se ménager celle-ci (rôle de préservation), soit qu’elle a la volonté de conférer une certaine force à un engagement (véritable préconstitution). On sent donc combien le constat sur réquisition d’un particulier est aux confins du judiciaire ; c’est pourquoi nous verrons donc successivement le rôle extrajudiciaire du constat sur réquisition d’un particulier (A), puis très justement son rôle judiciaire (B).

 

 

A.     Rôle extrajudiciaire :

1.      Ancrage du constat dans la préconstitution de la preuve :

Le constat à la requête d’un particulier se rapporte à un aspect comminatoire que revêt, on l’a exprimé, le charisme de la profession d’huissier de justice.

De ce fait, ce vont être essentiellement des aménagements de preuve que vont réaliser les particuliers, entendus au sens large, c’est à dire tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales.

C’est dire que les constats vont être au cœur de relations en général : soit en ce qui concerne le plus souvent des dissensions diverses et variées entre personnes privées, soit au sein de relations entre particuliers et une entreprise ou entre entreprises.

Il n’y a bien entendu qu’un pas pour que cela participe d’une prévention des litiges.

 

  1. Importance de la prévention des litiges :

Parallèlement à ce qui vient d’être exposé, c’est aussi pour l’huissier diligent et soucieux de sa mission un moyen de dépasser son simple rôle d’exécutant afin de se réaliser en tant que véritable auxiliaire de justice.

On aborde ici le rôle de conseil que peut être amené à jouer l’huissier de justice. En effet, les constatations vont souvent être l’occasion de déterminer l’évolution d’une résolution amiable ou contentieuse du différend. Nous pouvons remarquer que cet apport se réalise d’autant plus que l’huissier instrumente en milieu rural. En effet, il apparaît que la spécificité à laquelle se rattache alors le travail de l’huissier, se focalise sur un déficit de juristes. Il est alors tenté, et ce sera à son plus grand bénéfice en termes de fidélisation de clientèle, de développer au mieux cette donnée de conseil. C’est lui qui va être l’artisan du règlement des litiges.

De plus, l’ancrage actuel dans une politique judiciaire visant à éviter la cristallisation des contentieux aboutit à ce que l’huissier ait également son rôle à jouer en tant qu’instigateur de perfectibilité judiciaire, avec les moyens qui sont les siens, notamment par le grand bénéfice qu’il retire du fait d’être au contact permanent des justiciables. Certes on le verra, il est établi à son égard une proscription d’instrumenter avec une finalité transactionnelle. Mais elle entre dans le cadre des délimitations judiciaires de la mission en ce qui concerne les constats d’audience, et plus précisément l’interdit de la délégation du pouvoir de juger. Ainsi et à notre avis, cela ne concerne strictement que ce domaine des constats d’audience : il va être laissé la possibilité à l’huissier d’effectuer conciliation, médiation ou transaction. Ces options sont situées dans une juste continuité des pouvoirs, ou plutôt de sa capacité à optimiser sa mission de conseil, dont nous verrons plus avant les modalités de réalisation.

 

B.     Rôle judiciaire :

1.      Le constat prévention et la survenance du litige :

A l’instar de Me J.J. Hulaud, on peut exprimer l’idée que "Le constat-prévention doit se révéler comme un acte de bonne gestion pour le chef d’entreprise, et comme un acte de bon père de famille pour le particulier". On comprend tout le bénéfice de sécurisation que va revêtir un tel constat, quand le litige va se porter devant les tribunaux. Car même s’il est susceptible de preuve contraire, il est indéniable que le justiciable qui a fait élaborer une telle preuve, va partir à la corde dans le tour de piste judiciaire.

Peut être même il y aura-t-il une désaffection, un désistement, face à l’aspect comminatoire que recèle le constat d’huissier. Un effort consenti est toujours payant, même s’il n’y a aucune certitude quant au triomphe de l’action.

 

  1. Du rôle comminatoire au rôle exécutoire du constat ?

Le particularisme du libéralisme de la profession d’huissier dans ce domaine des constats à la requête de particuliers doit être entendu comme une source d’innovations puisque, et comme souvent, on passe d’une effectivité et d’une réussite prétorienne, à une ratification ou une entérination légale. Ainsi il est apparu qu’au-delà de l’aspect comminatoire du constat, les qualités intrinsèques, de rédaction, d’objectivité, de réalisme ont contribué à ce que matériellement, une évolution se ressente dans leur prise en compte en tant que preuve. Le problème est ici posé de cette reconnaissance légale, même si l’on peut interpréter l’avènement de la réglementation du décret du 28 décembre 1998, insérant un article 1441-4 NCPC, comme une reconnaissance tacite de cette idée, qui ne fait pourtant pas l’unanimité parmi les praticiens ; à notre humble avis, cette réticence qui fait montre d’une volonté de limitation du rôle de l’huissier à celui d’exécutant, n’entre pas en faveur de la vision extérieure de la profession, plutôt regardée comme le glaive de la justice, alors qu’une telle opportunité montre d’abord une maîtrise de compétences juridiques en dehors du domaine régalien des procédures d’exécution et ensuite que l’huissier peut aussi être doté d’un gant de velours.

Cette mutation possible du simple constat comminatoire au constat ayant force exécutoire a été développée par des praticiens, qui avaient bien avant que l’article 1441-4 du NCPC ne naisse, utilisé un semblable mode de procéder. En effet, ce type d’homologation judiciaire ainsi instituée, sur la base, par conséquent d’un contrat, va revêtir des qualités, notamment en termes de rapidité. Mais si la célérité est certes de bon aloi dans la conjoncture judiciaire, il ne faut pas sacrifier la qualité et les principes juridiques sur l’autel de cette idée. La principale difficulté posée se trouve en effet dans le fait que cette reconnaissance en forme d’homologation judiciaire d’une transaction, est un contrat judiciaire certes, mais seulement un contrat. Cela pose évidemment le problème des recours face à cette mesure qui n’est pas une décision judiciaire. Nous en dirons simplement qu’ils se situent en termes succincts, dans les voies de nullité offertes de manière générale pour les contrats.

Cependant, l’enjeu de la reconnaissance d’une telle possibilité est très important, d’autant que les présidents des Tribunaux de Grande Instance qui avaient procédé à de telles homologations de transactions ne le faisaient pas à la légère. Il reste toutefois à déterminer une réglementation plus sereine de la transaction, chapitre qui ne comporte qu’un seul article. On peut aussi y voir une étrange similitude avec la saisie-contrefaçon, dans le sens où il se passe aussi une phase de prononcer sur la réalité de la contrefaçon, qu’on réalise en matière de transaction exécutoire au terme d’un constat, par le prononcer du juge sur les éléments substantiels de la transaction. Nous n’entrerons pas plus avant dans une polémique qui réserve encore bien des développements, simplement pour exprimer l’idée que c’est à nouveau ici un processus d’institutionnalisation téléologique qui voit son avènement, et la perspective de réussite d’un moyen palliatif aux traditionnels modes de résolution judiciaire des conflits, n’est pas une mauvaise chose en soi. Et à notre humble avis, la doctrine et le sens des responsabilités rendent parfois raison à Molière, qui faisait dire à l’un de ses personnages : "Je hais ces cœurs pusillanimes, qui, pour trop prévoir les conséquences d’une chose, n’osent rien entreprendre".

 

 

CHAPITRE II- Judiciarisation du constat :

 

 

 

 

 

Il s’agit de réaliser qu’au-delà des nécessités afférentes à la réussite des constats sur réquisitions d’un simple particulier, il y a eu une révélation de ce que le constat pouvait ne pas être utilisé que sur l’initiative d’une partie, mais aussi au profit des autorités judiciaires et l’on peut d’ores et déjà laisser entrevoir qu’il a tellement fait école que les juridictions administratives ne sont pas demeurées en reste à son égard. Il apparaît donc une institutionnalisation, sinon une démocratisation verticale du mode de preuve qu’est le recours au procès-verbal de constatations.

Mais c’est sans compter le fait qu’au sein même du procès civil, le constat a su se départir de son caractère de mesure d’instruction attachée au cœur de ce procès, pour attraire successivement les phases pré-contentieuse, puis d’exécution de la décision. Il s’agit cette fois d’une institutionnalisation horizontale du procès-verbal de constatations qui est inhérente à une nouvelle conception de ce que doit être l’institution judiciaire, passant par l’appréhension de la notion d’une prévention des litiges. Si le syncrétisme de ce concept s’est réalisé par les modes alternatifs de règlement des litiges, il est à préciser que les évolutions ci-dessus révélées portent à penser que le constat est issu de la même veine, et qu’il pourrait bien même s’affranchir de son cantonnement au domaine de la preuve, par exemple en entrant en parallèle avec la médiation.

Les constats d’audience vont tout d’abord nous retenir, en ce qu’historiquement ils réalisent le point de départ de l’hégémonie du procès-verbal de constatations, et que c’est à travers eux que s’est élaborée une réglementation de référence quant à l’ensemble des constats (§1). Nous examinerons ensuite les autres constats judiciaires qui se sont développés sur le modèle des constats d’audience, c’est à dire le constat réalisé en tant que mesure d’instruction in futurum, puis celui relatif aux mesures prises postérieurement à la décision judiciaire (§2).

 

 

 

 

§1- Le constat d’audience : au cœur du procès :

Le processus de juridiscisation du constat répond à un besoin historique qui s’est d’abord synthétisé au cœur-même du procès par une exigence de plus en plus prégnante d’une preuve à laquelle on puisse se fier, même si, on le verra, elle n’en est pas moins revêtue d’une force probante tout à fait commune. Elle s’explique aussi par une nécessité de bonne administration de la justice, en ce que le juge ne pouvant personnellement procéder à la recherche des preuves, a dû, cela de manière prétorienne, recourir par le truchement des délégations, aux services de "techniciens" les plus avisés, sinon les moins reprochables. Le constat dit d’audience s’explique donc par des contingences historiques issues de la pratique des institutions judiciaires (A), qui ont forgé son institutionnalisation tirant partie des réussites et des écueils relevés de façon empirique (B).

 

A.     Naissance et juridiscisation :

1.      Origine prétorienne :

·         Une institution très ancienne

On rappelle brièvement ici qu’un auteur en a décelé l’origine au XIVe Siècle, où les magistrats des Parlements confiaient à leurs huissiers audienciers des missions de vérification.

 

·         Les hauts et les bas du constat.

Il n’y a pas de réelle cohérence à partir du point de départ mentionné ci-dessus, mais la même pratique se perpétue, jusqu’à la Révolution ; après quoi et pendant tout le XIXe siècle, le constat tombe en disgrâce. Son retour va progressivement s’imposer, d’une part à travers la législation des créateurs posant en exergue la nécessité de procéder à des constatations en vue d’avérer une contrefaçon, pour procéder à la saisie du même nom ; ensuite, par la pratique de présidents du Tribunal Civil de la Seine, de redonner les mêmes pouvoirs originels aux huissiers audiencier près ce Tribunal. On renvoie sans plus de formes à l’introduction pour de plus amples informations.

 

·         La réglementation du constat au sein de la profession d’huissier de justice : le décret du 20 mai 1955

C’est ce décret qui a inséré dans l’ordonnance du 2 novembre 1945 les attributions générales de l’huissier de justice, et celles plus particulières aux constats. Le texte prévoit ainsi en son article 1er dans son second alinéa qu’ "Ils (les huissiers de justice) peuvent être commis par justice pour effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ; ils peuvent également procéder à des constatations de même nature à la requête de particuliers ; dans l’un et l’autre cas, ces constatations n’ont la valeur que de simples renseignements".

Il est en outre à noter que les constats dressés à la requête d’un particulier peuvent être établis par "un clerc habilité à procéder aux constats", ce dont dispose l’article 1er bis depuis la loi du 9 juillet 1991.

 

·         La réglementation du constat en tant que mode de preuve

Evolution de la pensée du constat.

Nous avons évoqué une emprise verticale du procès-verbal de constatations. Bien entendu le constat a su au préalable conquérir l’ensemble de l’ordre judiciaire civil, non sans tribulations ni sans sujets de controverses. Dans la mission de constat en premier lieu, puis dans l’objet des constatations, et encore dans la force probante des constatations. Ce sont autant de questions sur lesquelles nous reviendrons. In fine, le décret du 20 mai 1955 a mis tout le monde d’accord, pour les deux grandes catégories de constats que sont ceux à la requête de particuliers, et ceux en vertu d’une commission judiciaire.

Il faut encore préciser que le constat en tant que mode de preuve, a, et ce malgré son régime, été pourtant refoulé pendant longtemps. C’était au temps où, non pas Bruxelles rêvait, mais où l’on avait le temps, et l’argent, pour procéder à des expertises grandiloquentes. Or l’avènement du "Nouveau" Code de Procédure Civile a commencé d’attribuer à l’expertise un rôle subsidiaire dans le choix des mesures d’instruction pouvant être diligentées. Plus récemment, le décret du 28 décembre 1998 est venu à son tour confirmer, et pour ainsi dire, parachever, ce principe de la subsidiarité de l’expertise, tout autant que les faits du litige en présence ne soient d’une complexité telle qu’il faille y recourir.

Enfin, et pour revenir sur l’appréhension verticale du constat, faut-il à nouveau relater qu’il a très certainement été tenu compte de la réussite du constat sur commission du juge diligenté sous les soins d’un huissier de justice, puisque la loi du 30 juin 2000 sur les référés administratifs a institué deux articles, R.531-1 et R. 532-1, dans le Code de Justice Administrative, destinés à recourir en matière de travaux publics, aux constatations d’un tiers sur le terrain ; mais aussi en ce qui concerne la publicité des marchés de travaux publics. Ce dernier type de constat va revêtir une importance toute particulière en ce qui concerne la transparence des marchés publics, et donc la garantie d’une bonne gestion de l’argent public.

 

Situation des constatations au sein de l’ordonnancement juridique des mesures d’instruction.

Il nous faut rappeler ici qu’en l’état du droit positif, les constatations sont la première mesure d’instruction prévue pour être exécutée par un technicien. De manière générale, le juge détermine la mission du constatant, qui doit ainsi l’exécuter sans se prononcer sur d’éventuelles conséquences de fait ou de droit. Ces constats sur commission du juge vont prendre différentes formes, ce que nous étudierons. En parallèle, sont la consultation et l’expertise. Les constatations se différencient de la première, en ce qu’elles sont la relation brute d’une situation de fait, quand la consultation se rapporte à une question purement juridique ; l’expertise, si elle n’est pas définie, tient essentiellement dans les faits, dont elle constitue une analyse pointue, et donc spécialisée, dans la matérialité autant que dans les conséquences.

Le code institue directement leur ordre de prévalance par leur énoncé, qui affirme désormais un caractère impératif d’une subsidiarité de l’expertise quant à laquelle nous reviendrons.

Voilà comment peut se représenter de façon succincte, le schème directeur d’une situation générale du constat sur commission du juge ; voyons désormais ce qu’il peut receler comme mystères et spécificités.

 

 

 

A.     Le constat dit d’audience (mesure d’instruction avant dire droit) :

1.      Le constat dans le NCPC :

Une institution prétorienne : de l’habitude prise par le tribunal civil de la Seine à une extension devant toutes les juridictions.

A partir de 1920, le juge des référés de la Seine a pris l’habitude de demander à son huissier audiencier de vérifier certains éléments de fait et de lui en faire un rapide rapport. Ce procédé est séduisant car il allie les qualités de célérité et de faible onérosité. Ce mode de "vérification" va s‘étendre à toutes les juridictions.

Ce constat fut légalisé en son principe par le décret du 20 mai 1955. Ensuite, l’article 81 du décret du 13 octobre 1965, permit au juge de la mise en état d’ordonner une enquête, une expertise, une descente sur les lieux, ou des "constatations purement matérielles".

Mais si l’enquête, l’expertise et la descente sur les lieux étaient réglementées par le CPC, il n’en était rien pour le constat. Le CPC n’avait pas organisé la preuve des faits matériels par la voie du constat, toute partie pouvant en infirmer le contenu par tous moyens légaux (témoins, documents…). En outre, le juge durant l’instance ne pouvait ordonner, pour la preuve des faits matériels, qu’une expertise, seule mesure d’instruction confiée à un tiers.

L’article 81 du décret du 13 octobre 1965 est surprenant car cette mesure d’instruction était alors confiée au seul juge de la mise en état. Cette disposition n’ offrant qu’un domaine confiné, ne pouvant se comprendre que dans l’attente d’une réforme globale du CPC instaurant cette mesure devant toutes les juridictions.

Le décret du 9 septembre 1971 a repris dans son article 47 la même disposition. Il s’agit aujourd’hui de l’article 771 du NCPC qui ne mentionne plus le terme de constat mais dispose que le juge de la mise en état peut " ordonner, même d’office, [cette] mesure d’instruction".

Le décret du 17 décembre 1973 a réuni ces deux hypothèses de constats qui font l’objet d’une réglementation unique.

 

 

Dans quelles situations seront dressés les constats sur commission ?

Au cours des développements sur les constats dressés sur simple réquisition d’un particulier, il a été remarqué que leur domaine était très large, mais que l’huissier devait dans tous les cas être très prudent. Par exemple, quant au postulat qu’il ne peut effectuer de constatations chez un tiers. En effet, chaque fois qu’il y a lieu de procéder à de telles constatations, et sauf le cas où ce tiers donne préalablement à l’huissier de justice instrumentaire, son agrément pour qu’il effectue celles-ci, et ce en connaissance de cause, il ne peut y être alors procédé qu’en vertu d’une ordonnance sur requête, présentée par ministère d’avocat ou par huissier dans les cas prévus par la loi. Ainsi, le constat dressé sur requête donnera des garanties supérieures pour le constatant. De tels constats sont ainsi usités pour relater le compte-rendu sténographique d’assemblées générales d’associés, d’actionnaires ou de copropriétaires. Dans cette situation précise, l’huissier et son client auront tout intérêt à agir en vertu d’une ordonnance, ainsi que l’affirment certaines décisions.

En l’espèce, il s’agissait d’actionnaires qui avaient demandé l’assistance d’un huissier. Le juge, au vu de l’urgence, avait fait droit à cette requête, mais le conseil d’administration avait fait appel. Selon la Cour, un actionnaire n’est pas admis à introduire un huissier à l’assemblée générale des actionnaires. La solution est fondée sur l’article 149 du décret du 23 mars 1967 qui réglemente le contenu du procès-verbal des délibérations de l’assemblée. Elle en conclut que permettre à un actionnaire de se faire assister d’un huissier serait aller au-delà de la volonté du législateur. Il appartient aux actionnaires qui réclament l’assistance d’un huissier de justice "de préciser les motifs de leur réclamation" et le juge saisi "doit apprécier ces motifs, lesquels doivent nécessairement être graves et intéresser le fonctionnement de la société". Dans le cas présent, les demandeurs n’avaient pas justifié l’existence de tels motifs. Cet arrêt éclaire les praticiens sur la pratique à suivre en la matière. Et il est vrai que beaucoup de personnes veulent recourir à l’huissier pour être protégées, et que ce procédé peut être gênant pour les tiers. Cette mesure doit donc être limitée aux cas d’urgence, lorsque les motifs sont légitimes.

 

La jurisprudence a aussi eu à se prononcer sur les constats d’adultère. Selon une décision du tribunal civil de Lyon, en date du 29 janvier 1954, l’habilitation de l’huissier par une ordonnance présidentielle n’est pas absolument indispensable à la validité d’un constat d’adultère, lequel, dressé à la requête d’un époux, est efficace si l’officier ministériel a pu valablement instrumenter ; l’ordonnance a pour but essentiel d’élargir le pouvoir de l’huissier en lui permettant de pénétrer dans un domicile privé.

Jusqu’en 1976, le constat d’adultère évitait la plainte pénale et permettait d’obtenir le divorce en application des articles 229 et 230 du Code Civil qui faisaient de l’adultère une cause péremptoire de divorce et permettaient de l’établir par tous moyens.

Lors d’un constat d’adultère, l’huissier de justice se borne à mentionner la présence des intéressés, les éléments matériels relevés dans les lieux. In fine, seul le tribunal appréciera.

La loi du 11 juillet 1975, entrée en application dès janvier 1976, a profondément modifié le divorce et sa procédure. Aux termes de l’article 242 du Code Civil, le divorce peut être demandé par l’un des conjoints lorsque les faits qui sont imputables à l’autre, rendent intolérable le maintien de la vie commune en constituant une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage.

L’adultère n’est alors plus un délit. L’article 259-1 du Code Civil, en consacrant une jurisprudence constante, écarte des débats les constats d’adultère dressés dans des conditions irrégulières. Selon de la nouvelle loi, l’époux doit faire constater par la voie civile, c’est à dire par huissier de justice, l’adultère de son conjoint. N’étant plus un délit, l’adultère ne revêt plus un caractère répréhensible sur le plan pénal et ne peut plus donner lieu à un procès-verbal de police.

L’article 259-2 du Code Civil impose la pratique du constat sur ordonnance du président du Tribunal de Grande Instance. Le constat irrégulier et en particulier établi dans des conditions constituant une violation de domicile, ne peut servir de preuve.

Depuis l’application de la nouvelle loi, les constats d’adultère sont rares. Et c’est tout à fait normal puisque désormais les époux ne sont plus obligés de recourir à ce genre de stratagème pour rompre le lien qui les unit : la loi leur a offert une gamme de divorces qui ne requièrent pas nécessairement de faute. Il faut par ailleurs préciser à ce sujet que la refonte actuelle, mais toujours hypothétique, du droit de la famille passe notamment par une volonté de faciliter les lourdes procédures de divorce, ce qui, on s’en doute, n’est pas en faveur du constat en général ; mais nous avons déjà pu remarquer que le domaine du constat d’adultère se réduisait de plus en plus à peau de chagrin.

De son côté l’article 237 du Code Civil dispose qu’un époux peut demander le divorce, en raison d’une rupture prolongée de la vie commune, lorsque les époux vivent séparés de fait depuis six ans. Mais comment sera fixé le point de départ de la rupture ? Telle est la question que se posait en 1976 Mme Spengleur-Gagneul. Il arrive que des personnes demandent à l’huissier, sans mandat de justice, de venir constater le départ de leur conjoint ; ce constat est dit "constat d’abandon de domicile conjugal". Jusqu’alors, on pouvait s’interroger sur le bien fondé de ce constat. L’huissier, dans ce cas, relate simplement qu’il n’y a, par exemple, plus d’effets masculins dans les armoires, ni dans la salle de bain. Mais ce genre de constat ne pourrait-il pas constituer l’un des éléments de fait permettant de fixer le point de départ de la rupture de la vie commune ?

Nous devons considérer, et cela a été entériné par la pratique, qu’un tel constat est véritablement important, non en tant que point de départ d’une rupture de la vie commune, mais en ce qu’il est une preuve de cette rupture. La preuve de ce point de départ sera établie par le juge. Rappelons à cet effet que le divorce pour rupture de la vie commune établi par l’article 237 du Code Civil, sera prononcé à compter d’une séparation de fait de six ans.

C’est à propos des constats dressés par les huissiers en vue de fournir au demandeur au divorce la preuve de l’adultère du conjoint, que le droit de la preuve et l’inviolabilité du domicile ont été le plus souvent invoqués. C’est ainsi que certaines ordonnances autorisaient le constat d’adultère, même de nuit, et des tribunaux ainsi saisis en avaient admis la validité. Par contre, la doctrine contestait cette dernière en invoquant la règle protectrice du domicile, établie par l’article 76 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII, qui s’impose au droit civil, et donc au président du Tribunal et à l’huissier.

L’article 76 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII autorise sous certaines conditions, l’introduction de jour au domicile d’un particulier ; il précise que " (… pendant la nuit, nul n’a le droit d’y entrer, sauf en cas d’incendie, d’inondation ou de réclamation faite de l’intérieur de la maison". L’exception prévue par l’article 76 en vertu de l’ordre émanant d’une autorité publique, donc de l’ordonnance du président, ne vise que l’introduction pendant le jour, mais rien n’est prévu en période nocturne.

On ajoutera que le concours de la force publique est laissé à l’entière appréciation du président qui doit expressément le mentionner dans son ordonnance. Il le fait dans les hypothèses où l’action de l’huissier de justice risque de se heurter à une opposition par la force et où l’intérêt des constatations prime la contrainte imposée à un tiers.

De même l’étendue de la mission confiée au constatant est laissée à la libre appréciation du juge. L’ordonnance préparée selon l’usage par l’avocat, précise le but poursuivi, la mission confiée à l’huissier et les modalités particulières à ce dernier. S’il s’agit d’une commission d’office, le juge définira la mission de l’huissier de justice de façon précise soit dans un jugement avant-dire droit, soit sous la forme d’une simple mention sur le dossier ou sur le registre d’audience.

Bien qu’aucune décision ne définisse la mission de l’huissier en cas de constat à la simple réquisition d’un particulier, l’huissier, selon l’ordonnance du 2 novembre 1945 ne doit effectuer que des constatations "purement matérielles". A cette seule condition, les constatations auront une valeur probante. La question est à nouveau réservée.

 

Le constat et la réglementation générale à toutes les mesures d’instruction (art. 143 à

178 NCPC)

Il convient immédiatement de remarquer que le titre VII du livre premier du NCPC consacré à l’administration judiciaire de la preuve rend applicables les nouvelles règles à toutes les juridictions. Ce titre VII est divisé en trois parties : les pièces, les mesures d’instruction, et les constatations relatives à la preuve littérale.

Les dispositions qui nous intéressent sont bien entendues celles relatives aux mesures d’instruction, qui font l’objet de deux volets : l’un concerne les dispositions générales, l’autre réglemente les mesures d’instruction individuellement.

En abordant l’étude du constat sur commission, il convient de signaler les principes communs à toutes les mesures d’instruction qui sont regroupés dans les articles 143 à 178 du NCPC.

Cette réglementation est elle-même subdivisée en deux sections qui se rapportent, d’une part aux décisions qui ordonnent les mesures d’instruction (art.143 à 154 NCPC), et d’autre part, à l’exécution de celles-ci (art.155 à 178 NCPC). La première a trait aux conditions essentielles d’instauration des mesures d’instruction. Y sont définis, le champ d’action des mesures d’instruction, quel rapport elles ont aux faits, et les conditions de leur mise en œuvre par le juge ; cette partie de la réglementation pose ainsi les jalons génériques des possibilités d’action du juge dans l’instruction de l’affaire. De la sorte, lui sont imposés des limites, qui sont autant de conditions de fond pour l’exercice de son pouvoir par le juge. Si certaines sont matérielles (art. 143 à 146), d’autres sont davantage déontologiques, voir de bon sens ( art. 147). In fine, le code envisage les recours contre la décision ordonnant ou refusant la mesure d’instruction (art.150 à 155), dont nous aborderons les arcanes plus avant.

En ce qui concerne l’exécution des mesures d’instruction, le code précise tout d’abord le rôle du juge (art. 155 à 156), puis celui des parties et des tiers quant à leur concours (art.157 à 163). Le rapport des mesures est ensuite envisagé (art.173 et 174).

Une troisième section est ensuite conduite, qui concerne le régime des nullités des mesures d’instruction (art. 175 à 178).

Rappelons par ailleurs que l’huissier de justice qui instrumente sur commission de justice, est envisagé comme un technicien, c’est pourquoi l’étude générale des textes afférents à celui-ci s’impose.

 

La réglementation spéciale afférente aux constatations au sein des mesures d’instructions exécutées par un technicien (art.249 à 255 NCPC).

Ici également il y a une réglementation à la fois des pouvoirs du juge dans la commission du technicien aux fins d’exécuter la mesure d’instruction qu’il projette, mais aussi de ceux du technicien dans l’exercice de sa mission.

Le code envisage ainsi le choix de la personne et les causes en raison desquelles ce technicien va pouvoir être récusé, et notamment du fait d’un exercice de mission qui doit être réalisé in personam (rappelons à toutes fins utiles que l’instauration des clercs habilités à procéder aux constats ne concerne que ceux à la requête des particuliers- Art. 232 à 235). Cette réglementation concerne aussi les modulations de la mission par le juge, autant que la définition du cadre d’exercice de la mission du technicien (art. 236 à 248).

 

 

Les autorités judiciaires et le moment auquel sera ordonnée la mesure.

Prémisses :

Le constat ordonné par une juridiction suppose un litige préexistant ; son but est d’apporter au tribunal les lumières sur tel point qui est problématique entre les parties. Ainsi l’article 143 du NCPC dispose que "les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible". L’article 232 prévoit de son côté que "le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien".

Le juge dispose d’une grande liberté, d’abord pour ordonner ou refuser la mesure sollicitée, ensuite pour choisir la mesure qu’il croit la mieux adaptée à la situation. Mais ce principe de liberté n’est pas absolu et connaît donc des limites. C’est ainsi que le constat, comme toutes les mesures d’instruction, ne peut être ordonné que si la partie qui le sollicite ne dispose pas d’éléments suffisants, sans pour autant que cela ne vienne à suppléer la carence de cette partie (art. 146).

De même au regard de la mesure adéquate, le principe général de liberté va être atténué, tout d’abord par l’article 263 selon lequel "l’expertise n’a lieu d’être ordonnée que dans les cas où des constatations ou une consultation, ne puissent suffire à éclairer le juge", et ensuite par l’article 147, selon lequel "le juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en s’attachant à retenir ce qui est le moins onéreux".

En dehors de ces limites, le juge choisit la mesure qui paraît le mieux répondre aux besoins du litige et il aura toujours la possibilité d’ordonner une autre mesure que celle préconisée par les parties. De plus, l’article 148 permet maintenant de façon explicite au juge de conjuguer plusieurs mesures. Ainsi on peut fort bien admettre que le juge ordonne à la fois des constatations et une expertise sous réserve des dispositions de l’article 147.

 

Les enjeux :

Les mesures d’instruction peuvent être ordonnées par le juge en tout "état de cause" ; il en va de même pour les constatations et aussi pour l’expertise et les consultations qui peuvent être ordonnées au moment de la conciliation ou en cours de délibéré (art.250 et 257). Devant le Tribunal de Grande Instance, les constatations pourront être ordonnées par le juge de la mise en état. En effet, aux termes de l’article 771, "jusqu’à son dessaisissement, le juge de la mise en état est seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour (…) ordonner même d’office toute mesure d’instruction".

 

 

  1. Le rôle du juge dans le constat d’audience :

Le rôle du juge dans la délégation du technicien aux fins de constatations.

En vertu de l’article 232 déjà cité, le juge a une liberté de choix totale, ainsi le constatant ne sera pas nécessairement un huissier, comme l’expert ne sera pas obligatoirement pris sur la liste des experts. Le constatant désigné peut être une personne morale (art. 233). Dans ce cas, le représentant légal de cette personne morale soumettra à l’agrément du juge le nom de la personne physique qui exécutera la mission de constatations.

En pratique lorsqu’un huissier est commis, il s’agit dans presque tous les cas d’un huissier-audiencier, alors pourtant qu’aucun texte ne prévoit que ce soit cette catégorie spéciale d’huissiers qui soit commise. Ce doit être une résurgence de la pratique du Tribunal Civil de la Seine, dont les présidents commettaient ce saint des saints. Rappelons en annexe que les huissiers audienciers le deviennent au terme de dix années d’exercice, ce qui augure une certaine expérience des constatations.

Il se peut que le juge rende une décision modifiant une mesure déjà ordonnée. Si le juge peut à tout moment accroître ou restreindre l’étendue des mesures prescrites (art.149), c’est au juge chargé du contrôle ou au juge qui a ordonné la mesure qu’incombe cette faculté (art.236). Dans le cas où les constatations auraient été ordonnées par un juge unique (tribunal d’instance, juge de la mise en état…), c’est ce juge qui sera compétent pour modifier la mesure ordonnée.

Dans le cas où la décision émanerait d’une formation collégiale, deux situations peuvent se présenter. Si la juridiction a chargé l’un de ses membres du contrôle de l’exécution des constatations, c’est ce dernier qui sera compétent. Si au contraire, aucun juge n’a été désigné, il faudra saisir le président de cette juridiction (art. 155).

Quels sont les pouvoirs du juge en ce cas ?

Le texte est assez laconique puisqu’il se contente d’indiquer que le juge pourra "accroître ou restreindre la mission confiée au technicien" (art. 149). Il semblerait que le juge doive se contenter de remanier la mission de l’expert, du consultant ou du constatant. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que le juge peut, à tout moment et même d’office, ordonner toutes mesures d’instruction appropriées. Le juge a donc en réalité toute latitude pour intervenir et ordonner une mesure plus adaptée à la situation.

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Le législateur se borne à édicter que "les constatations sont consignées par écrit, à moins que le juge n’en décide la présentation orale" (art.250 al. 2 du NCPC). Généralement, le constatant devra déposer le constat au secrétariat de la juridiction (art.253). Les parties en recevront un exemplaire, soit par l’intermédiaire du secrétaire de la juridiction, soit directement par le constatant (art.173). Toutefois le juge a la possibilité de décider que les constatations seront présentées de façon orale. Dans ce cas, il est dressé un procès-verbal des déclarations du constatant à moins que, l’affaire étant jugée immédiatement, ces déclarations ne soient simplement mentionnées dans le jugement.

 

Les voies de recours : un principe général applicable aux mesures d’instruction avant dire droit.

Un principe commun a été édicté pour toutes les mesures d’instruction (enquêtes, comparution des parties, expertise…) : sauf les cas prévus par la loi, ces décisions ne sont jamais susceptibles d’opposition (art.150 NCPC). Toutefois, les voies de recours contre une décision ordonnant une mesure d’instruction ne sont pas identiques suivant qu’il s’agit d’une consultation, de constatations ou d’une expertise.

Avant toute chose il faut rappeler que les modalités de voies de recours offertes, vont différer selon le stade de la procédure. Ainsi, l’article 544 NCPC pose un principe général de validité de la voie de l’appel immédiat en ce qui concerne, tout d’abord "les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction". A contrario, on en déduit que les jugements qui statuent exclusivement sur le fait d’ordonner ou de refuser une mesure d’instruction, c’est à dire les jugements avant-dire droit, seront insusceptibles d’appel. Au surplus, cette hypothèse vaut également pour le pourvoi en cassation.

Ce postulat, de manière plus spécifique, va se trouver conforté par l’article 150 NCPC. En effet, cet article, qui précise par ailleurs que l’opposition n’est pas possible quant aux décisions qui modifient ou ordonnent une mesure d’instruction, rappelle la solution qui vient d’être exposée.

A fortiori, en ce qui concerne les constatations ou la consultation, la solution est conforme au principe général : aucun appel ou pourvoi en cassation n’est possible si ce n’est en même temps que la décision sur le fond (principe pour les décisions avant dire droit). Pour l’appel il existe des possibilités exceptionnelles.

Tout d’abord en matière de saisine du juge en référé, lorsqu’il est saisi ou n’épuise pas sa saisine que du seul fait du prononcé d’une mesure d’instruction. Dès lors, l’appel immédiat est recevable. C’est la situation très explicite d’une saisine en référé sur le fondement de l’article 145 NCPC, c’est à dire quand le juge prescrit une mesure d’instruction avant tout procès.

Par suite l’éventail des décisions modifiant ou étant relatives à l’exécution d’une mesure d’instruction avant-dire droit est susceptible d’appel immédiat.

Par ailleurs, l’article 776 NCPC afférent aux recours contre les ordonnances du juge de la mise en état, vient repréciser les solutions ci-dessus exposées au sujet de l’opposition, du contredit et de l’appel. Toutefois, sur ce dernier point de l’appel et depuis la réglementation du décret n° 89-511 du 20 juillet 1989, des possibilités exceptionnelles ont été instaurées, calquées quant à leur exercice sur les cas et les conditions de l’expertise et du sursis à statuer, dans les quinze jours de leur signification. Malgré tout, ce filtrage opéré des ordonnances du juge de la mise en état ne nous concerne pas.

En outre, le juge chargé du contrôle des mesures d’instruction s‘est vu octroyer des pouvoirs certains pour trancher les difficultés qui peuvent survenir au cours de l’exécution des opérations de même qu’il a la possibilité de modifier la mission du technicien commis (art. 167 NCPC).

Aucune opposition n’est possible contre une telle décision. L’appel et le pourvoi en cassation ne sont possibles qu’avec la décision rendue sur le fond (art.170 NCPC).

 

 

 

 

 

Formes de contestation, les nullités.

Trois principes régissent la question des nullités ; ils tendent à limiter au maximum le champ d’application des nullités.

Le premier principe est un renvoi aux dispositions régissant les nullités en procédure (art 175 NCPC). Ainsi, il n’y aura pas de nullités spécifiques aux constatations. On se reportera donc aux articles 112 et suivants du NCPC.

Le second tend à limiter le champ d’application des nullités en prévoyant d’une part que "la nullité ne frappe que celle des opérations qu’affecte l’irrégularité" (art. 176) et d’autre part que " les opérations peuvent être régularisées ou recommencées, même sur-le-champ, si le vice qui les empêche peut être écarté" (art. 177).

Enfin le troisième principe vise également à limiter les nullités pour vice de forme en ce qu’il précise que les nullités pour vice de forme ne pourront plus entraîner la nullité de l’ensemble des opérations s’il est établi que les prescriptions légales ont été en fait observées (art.178).

Les nullités pour vice de forme seront encourues pour des mesures d’instruction telles que l’enquête ou encore pour l’expertise, bien que le formalisme de l’expertise soit atténué depuis l’application des nouveaux textes. Or, si le législateur a pris soin de fixer de façon rigoureuse les conditions de validité des actes en général, qui en a précisé dans le détail les mentions indispensables, la nature et l’ordre des démarches que l’huissier de justice doit accomplir pour leur régularisation, et dont l’omission ou la violation entraîne la nullité de l’acte et parfois des sanctions disciplinaires, il s’est abstenu de réglementer les formes du procès verbal de constat. Cet état de fait n’est pas modifié sous l’empire des textes de 1973.

 

Le pendant de la commission du technicien : la récusation (art. 234 NCPC).

Est-ce que le constatant peut être récusé ?

On retrouve ici la tendance à la simplification notée par ailleurs, notamment en ce qui concerne l’abandon de tout formalisme. Les constatants désignés pourront être récusés pour les mêmes causes que les juges (art.234). Dans le cas d’une personne morale, la récusation peut viser soit la personne morale elle-même, soit la personne physique soumise à l’agrément du juge par le représentant légal de cette personne morale.

D’autre part, il y aura lieu de procéder au remplacement du technicien si celui-ci refuse sa mission ou s’il existe un empêchement légitime (art.235 al.1). Il y aura également lieu à remplacement du technicien, s’il devait manquer à ses devoirs (art.235 al.2). Le juge peut être saisi d’une demande de récusation par les parties.

Enfin le juge peut se saisir lui-même et procéder d’office au remplacement.

 

 

§2- Les constats parajudiciaires :

 

Nous venons donc d’étudier ce qui a constitué la première phase du développement des constats sur commission de justice. Or, au titre d’une emprise verticale du procès-verbal de constatations, sont nées puis ont été légitimées d’autres variantes qui forment une appréhension générale du litige ; c’est ce qu’on appelle les constats parajudiciaires, qui en quelque sorte, se greffent à l’instance sans en constituer l’essence.

Une résolution judiciaire d’un litige n’intervient pas ex nihilo, de même que la décision qui en résulte ne constitue pas le terme de la résolution, encore faut-il l’exécuter. C’est de ces deux phases, antérieure et postérieure, dont il va s’agir de traiter en l’occurrence. Voyons en premier lieu le constat en tant que mesure d’instruction a futur (A), avant d’étudier le constat comme mesure postérieure à la décision juridictionnelle (B).

 

A.     Le constat préventif ou les mesures d’instruction a futur :

1.      Caractéristiques de la mesure :

La demande

Préalablement à cette étude, il paraît opportun, afin de suivre l’évolution du législateur, d’effectuer un rapide retour en arrière. Le constat sur requête à la demande de la partie intéressée a pour origine l’article 54 du décret du 30 mars 1808, lequel s’il est abrogé aujourd’hui, permettait au président du Tribunal Civil de rendre des ordonnances sur requête dans les cas d’urgence.

Comme le fait remarquer M. Hébraud, "l’article 54 semble avoir joué le rôle d’un point de départ pour la reconnaissance de principe et l’édification de la théorie générale des pouvoirs du président. Le texte n’est pas en lui-même très explicite, puisque c’est d’une manière indirecte et au milieu d’une énumération de cas particuliers qu’il vise toutes requêtes à fin… d’autres mesures d’urgence".

Si le décret du 20 mai 1955 modifiant l’article 1er de l’ordonnance du 3 novembre 1945 donne une base légale au constat sur requête " ce n’est pas que ce texte qui donne le pouvoir au président de commettre un huissier pour faire un constat ; ce texte dit uniquement ce que l’huissier peut faire, mais le pouvoir du président découle du texte général : c’est le pouvoir général qui est ressorti à l’article 54 du décret de 1808".

En pratique l’avocat devait viser dans sa requête les deux textes. Mais bien souvent cet article était ignoré.

Le domaine des ordonnances sur requête a été précisé par le décret du 9 septembre 1971 qui a posé les règles suivantes :

le président peut être saisi par requête dans tous les cas spécifiés par la loi (art.81 al.1).

Son intervention se justifie aussi toutes les fois que les mesures d’urgence sont nécessaires, les circonstances exigeant qu’elles soient unilatérales (art.81 al.2).

Dans un but de simplification, on admet que les requêtes afférentes à une instance en cours peuvent être présentées au juge déjà saisi (art.81 al.3).

Le NCPC abroge notamment les articles 81 et suivants et définit, dans la partie du code réservée aux dispositions générales à toutes les juridictions, l’ordonnance sur requête comme "une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse". De plus, l’ordonnance sur requête appartient dorénavant à toutes les juridictions devant leur président.

 

Pouvoirs du juge des référés pour ordonner la mesure

Par ailleurs, il a été admis jusqu’en 1973 que les mesures d’instruction ne pouvaient être ordonnées que de manière incidente et non par voie d’assignation principale. La règle était alors celle de la prohibition des mesures à futur. Toutefois cette règle comportait des exceptions légales et de plus, la pratique avait réussi à la contourner dans de nombreuses hypothèses. C’est ainsi que des constats étaient pratiqués sur requête, et que des expertises étaient couramment diligentées à la suite d’une ordonnance en référé, donc en dehors de tout procès au fond. Il était ainsi permis de s’interroger sur la portée pratique de la règle de prohibition, et MM Perrot et Solus allaient jusqu’à écrire : "il reste si peu de choses de la prohibition traditionnelle, qu’on en vient à se demander si elle ne devrait pas être abandonnée".

Avec l’article 145 du NCPC, ce fut chose faite : "s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits don pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé". Quels critères permettent de déterminer le choix entre la voie du référé ou celle de la requête ?

L’un des principaux à retenir est celui que pose l’article 812 al.2 : le président "peut également ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement". En pratique, en matière de constat c’est cette voie qui est la plus fréquemment employée.

 

  1. Ancrage dans le domaine probatoire :

Première partie de l’évolution : reconnaissance de la prévention des litiges : vers la théorie moderne des preuves.

Cette reconnaissance de la prévention des litiges a été élaborée au premier plan par le référé-expertise. A tout le moins a-t-il été convenu de dénommer ainsi la décision prise sur le fondement de l’article 145 NCPC, puisqu’une majorité de décisions ainsi prises l’ont été aux fins de cette mesure d’instruction. Or, le constat, en tant qu’il est devenu une mesure d’instruction exécutée par un technicien très prisée, mais aussi mise en avant légalement, a su se frayer un chemin dans ce texte, lequel est partie intégrante aux dispositions générales relatives aux mesures d’instruction.

M. G. Chabot, pourtant, met en exergue une certaine inflation dans l’utilisation de cet article ; d’ailleurs ce n’est pas tant l’importance du recours à cette modalité qui est en jeu, mais la dilution qui s’opère quant à sa "finalité probatoire". Il expose ainsi la situation : "En 1980, dans une œuvre de référence (D. 1980, chron.p.205), le professeur Jeantin, analysant le nouvel article 145 du nouveau code de procédure civile, avait promis aux mesures d’instruction in futurum un bel avenir judiciaire. La pratique s’en est, il est vrai, considérablement développée. Indiscutablement utiles mais subtiles à l’extrême, les mesures d’instruction préventives recèlent néanmoins bien des incertitudes. Déchirée entre un litige éventuel de définition délicate et une action ultérieure au fond dont la réalité n’est que perspective, la procédure de l’article 145 excède trop souvent sa finalité probatoire, pour côtoyer en somme, plus que le simple différend justifiant la demande formulée, le fond d’un litige déjà né, ou, en d’autres termes, le droit plus que le fait". De là à dire qu’introduire un tel recours revient à flouer les principes fondamentaux du procès en général, et des mesures d’instruction en particulier, il n’y a qu’un pas. Nous n’exposerons pas ici les circonvolutions qui amènent différents auteurs à penser de la sorte, qui évoquent la "perversion du rôle de l’article 145".

On doit tout de même noter que c’est là une innovation remarquable que cet article. Pour en revenir à sa lettre, il dispose que "S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourra dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé". C’est une garantie du droit de la preuve, dont il a été exposé qu’il est à la source du Droit. Nous ne nous pencherons pas plus avant dans les méandres vertigineux qui ont été réalisés au sujet de cet article.

 

Parallèle avec les mutations du rôle de l’huissier.

Nous venons d’exposer combien cet aspect nouveau, d’une mesure d’instruction in futurum, passant par le constat, était important en termes de reconnaissance de la valeur des preuves. Or le constat a futur, ou préventif, prolonge ainsi l’activité du rôle de l’huissier, et n’aboutit en définitive qu’à lui conférer une importance croissante en tant qu’auxiliaire de justice, et donc à le rendre encore davantage responsable.

De cette manière, l’huissier de justice n’est plus cantonné dans un rôle de simple exécutant (les huissiers d’aujourd’hui ne sont plus les sans-cœur d’autrefois), ce qui est très rassérénant professionnellement, et mentalement. L’huissier, que l’on présume audiencier, qui va être commis, va rendre son service auprès du Tribunal efficient, puisqu’il réalise un pas de plus pour le bon fonctionnement de la justice.

Il contribue d’autant plus à la mission de justice qu’en procédant à une telle commission de justice sur référé-constat, il est certain de rendre son procès-verbal contradictoire ; on ne rappellera jamais assez combien cette valeur juridiscisée revêt aujourd’hui d’importance.

 

Mutations novatrices avec incidences sur le constat.

Il est à noter que les juridictions administratives ne sont pas restées sur la brèche : rappelons que les articles R. 531-1 et R.532-1 du Code de Justice Administrative, permettent désormais au juge des référés administratif de nommer un tiers afin de procéder, "lors de l’exécution de travaux publics, à des constatations relatives à l’état des immeubles susceptibles d’être affectés par des dommages qui surviendraient effectivement pendant la durée de la mission". Cela entre dans le cadre notamment des constats d’urgence. Or si seul un tiers peut être commis, il ne fait pas de doute que les huissiers de justice trouveront la possibilité d’un ancrage dans l’ordonnancement administratif, comme ils ont su le réaliser au sein de l’ordre judiciaire.

Quant à l’article R.532-1, il prévoit qu’en matière de contrats et marchés publics, la personne à laquelle est offerte une possibilité de recours peut demander au préalable à la personne morale tenue aux obligations de publicité de s’y conformer. C’est en cette matière que l’huissier de justice a son rôle à jouer, en ce qu’il va pouvoir apporter la preuve par constat, de ce que les modalités d’appel d’offres ont été correctement réalisées. Il a auparavant été exprimé que l’huissier va offrir son concours pour la transparence des marchés publics. Ainsi un nouveau pan de justice tombe dans son escarcelle ! On appréhende aisément toute l’utilité que va receler le concours d’un partenaire impartial tel que l’huissier de justice : c’est un certificat de bonne conduite pour les marchés publics, qui va garantir le libre jeu de la concurrence ; dans l’éventualité d’un litige, le constat fait office de preuve. L’huissier qui garantissait déjà bon nombre de relations économiques de type libéral, va avaliser le domaine des marchés publics qui a une portée conséquente dans l’économie.

 

A.     Le constat, mesure postérieure à la décision juridictionnelle :

1.      Constat et obligations de faire :

·         Obligations de faire instaurées par le juge : parallèle avec les procédures

d’injonction de faire et de référé :

On a exposé que dans une perspective horizontale, le traitement et l’appréhension par le constat du stade de l’exécution des décisions de justice constituait le dernier maillon de la chaîne judiciaire : à peu de choses près, l’huissier de justice pourrait ainsi constituer une sorte de juge de l’application des peines au civil. C’est un autre point qui mérite d’être étudié car le rôle des instances judiciaires et des auxiliaires de justice n’est pas cantonné au seul but de rendre la justice, ce qui n’est pas une fin en soi. Le suivi des affaires n’est pas une notion seulement dogmatique voire démagogique : elle participe pleinement de la mission de justice.

Si toute décision de justice ne correspond pas strictement à une obligation de faire, une part d’entre elles en est constitutive. Traditionnellement on évoque à ce sujet le constat de non-représentation d’enfant. Certains huissiers ne sont pas férus de la matière, car l’immixtion dans des relations familiales tendues, et même rompues, après une procédure (ou pendant) longue et traumatisant est souvent malaisée ; il y a toutefois une éthique supérieure qu’est le service de la justice, et il s’agit bien ici, d’exécution.

Il existe certes des procédures parallèles tendant aux mêmes fins : ce sont celles d’injonction de faire prévue par les articles 1425-1 à 1425-9 NCPC, et de référé-injonction de faire pris en application de l’article 808 NCPC. On doit en dire succinctement que la première de ces procédures est la plus usitée, en ce qu’elle est introduite sur requête et devant le tribunal d’instance, et par conséquent sans constitution d’avocat obligatoire. Par ailleurs la seconde procédure pâtit de ce que les conditions de son exercice sont d’interprétation stricte, malgré les mutations récentes des critères d’application des référés en général. En effet, en plus de l’urgence, l’absence de contestation séreuse et d’existence d’un différend vont souvent être problématiques en ce qui concerne le succès des prétentions de la partie.

Pourtant, la requête en injonction de faire ne va pas être la panacée, du fait même qu’elle est d’un abord aisé pour le justiciable. Un chiffre exprime très clairement une réalité : le taux de rejet de ces requêtes est de 32%. On en déduit que la majeure partie va être mal ou non fondée. Cette procédure va trouver son domaine de prédilection dans l’exécution des travaux à la charge des bailleurs, dans la demande d’exécution de travaux de réparation et dans les demandes de clients à l’encontre de prestataires de services.

Le constat a donc sa place à trouver au sein de la résolution des obligations de faire judiciaires.

·         Elargissement au cadre contractuel et aspect comminatoire du procès-verbal de constatations.

C’est un développement annexe qui rejoint le constat à la requête des particuliers, qui montre combien tout participe d’un même et unique cercle (vertueux ou vicieux ? !).

L’huissier ne vient-il pas concourir au profit des relations contractuelles afin d’entériner les actions qui doivent être réalisées en tant que bon père de famille ou au service du bon déroulement des relations économiques ? C’est même son champ d’action le plus prolifique par rapport au constat sur commission de justice.

On rappelle à ce sujet l’impact que va revêtir le procès-verbal de constat à la requête d’un particulier en tant qu’argument comminatoire pour que les relations entretenues demeurent de type privé et n’entrent pas dans le giron du judiciaire.

1.      Droit de la preuve et exécution :

Ce dernier maillon démontre que, malgré une utilisation encore trop faible du constat en matière d’obligations de faire, s’est réalisée une appréhension généralisée des litiges par le constat.

L’état de fait précédemment évoqué au sujet des constats sur réquisition d’un particulier démontre que leur réussite et leur force concourent à la faveur d’un développement du constat dans les obligations de faire instituées par le juge, quitte à ce que la décision-même soit assortie d’une telle commission.

Cette menace paraît assez efficace et propice à renforcer l’exécution volontaire des décisions de justice. Rappelons toutefois, que cela ne concerne que le domaine des obligations de faire, quand bien souvent les réparations judiciaires sont soldées par équivalent, donc en la forme d’obligations de payer.

 

 

 

PARTIE II – LES CONSTATS ET L’EVOLUTION MODERNE DE LA THEORIE DES PREUVES :

 

 

 

 

 

 

 

 

Après avoir étudié la structure externe des constats possibles, l’articulation de leur utilisation, il convient d’élucider à présent de quelle manière et sous quels auspices ils sont régis ; on aborde ici le régime juridique des constats, qui on va le voir, est en quelque sorte un vecteur d’unification, puisqu’issu du régime légal du constat d’audience, il se transpose peu ou prou aux constats à la requête d’un particulier. Toujours dans cette conception légaliste de la preuve, contingentée, qui englobe tous les constats, on peut toutefois, et a contrario observer que ce sont les constats "libéraux" pour l’essentiel, qui vont influer tant sur le développement de la matière des constats, qu’être le moteur d’innovations du point de vue de la technique juridique, quand ce n’est en parallèle et dans son prolongement, dans le sens mélioratif du droit de la preuve. On se posera la question, qui est en exergue, de savoir si ce générateur d’innovations structurelles qu’est la souplesse du régime juridique des constats (chapitre 1er), n’affecte pas au-delà, la nature même du constat, notamment dans sa force probante (chapitre 2nd).

 

 

CHAPITRE 1 – Souplesse du régime juridique des constats.

Il va s’agir de démontrer, outre que ce régime opère une rationalisation des constats, de quelle façon il concourt à une unité au sein des constats, laquelle va permettre de dégager tout à la fois le lien, quasiment de subordination, existant pour l’huissier de justice dans le cadre de sa mission, puis les moyens de son exercice. C’est donc le cadre général de l’exécution de la mission de l’huissier de justice, qui va être la mise en œuvre d’un régime légaliste de la preuve, son instrumentalisation. Cependant il faut comprendre que ce régime, s’il est organisé et formel, n’est pas pour autant un carcan ; du point de vue de cette souplesse issue de l’absence de réglementation spécifique, il faut tirer la conséquence prétorienne, d’un caractère évolutif et perfectible des constats, rendue possible grâce à l’opportunité de leur réalisation.

Pourtant il y a bien des principes généraux d’organisation de la mission de constat ; tout d’abord existent des conditions préalables à l’exercice de cette mission (§1). D’autre part, il est un principe de compétence liée qui s’impose à l’huissier, ceci tant pour les constats à la réquisition d’un simple particulier, que pour les constats dits d’audience. Ce principe infère les moyens de la mission de constat dont l’huissier va disposer (§2).

 

§1- Les conditions préalables à la réalisation du constat :

Ces conditions sont autant de didascalies qui peuplent les pièces de théâtre ou les scenarii afin de permettre la compréhension et la mise en situation du lecteur. Elles vont donc permettre à l’huissier d’instrumenter sereinement tout d’abord dans le cadre de sa compétence propre, et ensuite selon des directives légales. Toutefois ce qui peut paraître comme un lien d’inféodation, va aussi souffrir d’exceptions notamment du point de vue des sites créés sur l’Internet qui, en brisant la notion de domicile, sont le point d’achoppement de celle de compétence territoriale. On mesure allègrement combien la matière des constats est erratique et peut ainsi influer jusqu’aux conditions mêmes d’exercice de la mission du constatant.

Mais il est également des conditions propres au constat que l’huissier doit respecter notamment quant à son objet qui est nécessairement circonscrit, et qui doit revêtir une certaine matérialité, en contrepartie de quoi en ressortiront des proscriptions.

Ces conditions préalables sont afférentes à deux ordres d’idées : en premier lieu se dégagent des contraintes extrinsèques qui ont trait au cadre spatio-temporel d’exercice du constat (A), en second lieu et inversement, apparaissent des sujétions intrinsèques relatives à l’objet du procès-verbal de constatations (B).

 

A.     Cadre spatio-temporel :

1.      Compétence territoriale de l’huissier de justice :

Il nécessaire de réaliser cet aparté qui conditionne la mission de constat ; ainsi, selon l’article 5 du décret du 29 février 1956 (modifié par le décret du 23 octobre 1959), "les actes prévus aux alinéas 1er et 2 de l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945, modifiés par l’article 32 du décret du 20 mai 1955, sont faits concurremment par les huissiers de justice dans le ressort du tribunal d’instance de leur résidence, sauf les exceptions prévues aux articles ci-après". Ce texte vaut bien entendu pour tous les constats, y compris pour ceux à la requête d’un particulier. On précisera que les dérogations prévues au titre des articles 6 à 8 du décret du 29 février 1956 sont exceptionnelles. La délimitation de la compétence matérielle se réalise donc par l’intermédiaire du ressort, qui est celui de la compétence du Tribunal d’instance de leur résidence. On se contentera de citer M. Perrot quant aux difficultés qui peuvent émaner de la notion, de savoir si, en ce qui concerne les constats sur commission en particulier, un huissier est désigné in personam pour procéder à des constatations, ou s’il l’est au titre de constatant, auquel cas il ne peut s’exonérer de la limite territoriale, et un autre huissier, par accessoire, peut y procéder. Tout un programme…

 

 

 

 

 

  1. Cadre spatial de la mission :

Distinguo lieu public et ouvert au public, et lieu privé.

C’est le désormais traditionnel distinguo à opérer entre lieux publics et lieux privés, dont nous exposerons simplement qu’en ce qui concerne les lieux publics aucun problème n’est posé pour l’huissier instrumentaire : il peut procéder sans autorisation du juge. Si les lieux publics ne posent pas de problème, s’en sont posés quant aux lieux ouverts au public, que sont les restaurants, aéroports gares,…etc. De ce fait même et dans la pratique les huissiers de justice ont pris la précaution de ne pas agir sans l’autorisation préalable d’un juge.

Par contre, davantage de difficultés se sont posées vis à vis des constatations opérées dans les lieux privés, à titre de domicile ou de résidence, pour peu que la personne qui se voit imposer la mesure ait un droit de jouissance exclusif. La jurisprudence est alors féconde du fait que des principes fondamentaux sont en jeu, qui de l’inviolabilité du domicile ou de la résidence, qui du respect de l’intimité de la vie privée. Une autre dichotomie est à réaliser selon que les constatations sont à réaliser sur la simple réquisition d’un particulier, ou sur commission du juge. C’est une question qui a été amplement développée et sous peine de paraphrase nous renvoyons très directement cette étude à de savants écrits, en exprimant simplement l’idée que l’huissier de justice est alors astreint à des précautions multiples, telles que la vérification de l’identité de la personne, de sa qualité, de son consentement aux diligences, de l’étendue des pouvoirs le cas échéant conférés par le juge…etc.

C’est à propos des constats dressés par les huissiers en vue de fournir au demandeur en divorce la preuve de l’adultère de son conjoint que le droit à la preuve et l’inviolabilité du domicile a été le plus souvent invoqué. C’est ainsi que certaines ordonnances autorisaient le constat d’adultère, même de nuit, et des tribunaux en avaient admis la validité. Par contre, la doctrine contestait cette dernière en invoquant la règle protectrice du domicile établie par l’article 76 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII, qui s’impose au droit civil, et donc au président du tribunal et à l’huissier.

Dans un cas d’espèce, un huissier régulièrement commis, et accompagné d’un commissaire de police, avait escaladé une enceinte pour pénétrer au domicile d’un particulier. Dans un premier temps, la Cour d’appel déclare nul le constat comme étant contraire aux dispositions de l’article 184 du Code Pénal. Cet article punit d’une peine d’emprisonnement quiconque s’introduit chez un tiers contre le gré de celui-ci, hors les cas prévus par la loi. L’arrêt fut frappé d’un pourvoi en cassation. "Attendu qu’un huissier de justice régulièrement commis pour procéder à un constat d’adultère peut, avec l’assistance du commissaire de police, pénétrer, au besoin par la force, au domicile d’un citoyen pour accomplir sa mission". Mais remarque la Cour, si l’huissier a employé pour s’introduire un procédé à la vérité regrettable, il n’a cependant commis aucune violation de domicile.

 

 

  1. Cadre temporel :

Heures légales…

L’article 76 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII autorise sous certaines conditions, l’introduction de jour au domicile d’un particulier ; il précise que "… pendant la nuit, nul n’a le droit d’y entrer, sauf en cas d’incendie, d’inondation ou de réclamation faite de l’intérieur de la maison". L’exception prévue par l’article 76 en vertu de l’ordre émanant d’une autorité publique, donc de l’ordonnance du président, ne vise que l’introduction pendant le jour, mais rien n’est prévu en période nocturne.

D’autre part, les heures légales pendant lesquelles l’huissier peut exercer sont prévues entre six heures et vingt et une heures.

Un arrêt du 17 février 1950 a tranché définitivement la question. En l’espèce, l’huissier accompagné d’un officier de police avait dressé un procès-verbal à 22 H 45. Le procès-verbal a été déclaré nul, la Cour de Cassation prenant pour base de sa décision l’article 76 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII.

Le principe de ce qu’il est convenu d’appeler les "heures légales", pendant lesquelles l’huissier de justice peut instrumenter est prévu par l’article 664 du NCPC, relatif à la signification des actes, peut être étendu aux constats. Il dispose que "aucune signification ne peut être faite avant six heures et après vingt et une heures, non plus que les dimanches, les jours fériés ou chômés, si ce n’est en vertu de la permission du juge en cas de nécessité". L’article 508 du NCPC prévoit également en ce qui concerne l’exécution des jugements, qu’ " aucune exécution ne peut être faite avant 6 heures et après 21 heures non plus que les jours fériés ou chômés si ce n’est en vertu de la permission du juge en cas de nécessité". M. Perrot nous enseigne qu’il faut à ce sujet reprendre la dichotomie préalablement esquissée des lieux publics ou privés.

En effet si le constat doit être diligenté dans un lieu public, alors l’huissier de justice n’est pas astreint à un respect des heures légales, solution qui vaut depuis 1977. On remarquera simplement que la cour de cassation situe alors sur un pied d’égalité les notions de "lieu ouvert au public" et de "voie publique". Par contre, et dans le cas d’une commission judiciaire, il est à rappeler que le juge peut tout à fait n’octroyer à l’huissier que le cadre d’exercice des heures légales, même en situation de constatations en un lieu public, tout comme il peut très généralement subordonner la mission de constatations à des prescriptions impératives.

Lorsque le constat est effectué dans un lieu privé, le schème est diamétralement différent. La protection concomitante des articles 664 et 508 NCPC joue alors pleinement : aucune investigation ne doit être entreprise par l’huissier de justice entre 21 et 6 heures. D’aucuns ont analysé cette double garantie comme étant issue d’un principe général non écrit de "sauvegarde de la liberté individuelle et de l’intimité de la vie privée contre les immixtions intempestives d’un agent dépositaire de la force publique". La question s’est posée de savoir si cette règle s’imposait au juge ; il faut en dire, brièvement, que la jurisprudence est catégorique, en ce qu’elle ne permet en aucun cas un constat d’adultère nocturne en particulier. On rappellera à ce titre, la règle d’ordre public selon laquelle nul ne peut pénétrer de nuit, au domicile d’autrui, issue de l’article 76 de la Constitution du 22 frimaire an VIII, norme à laquelle il ne peut être dérogé. Mais des tempéraments doivent toutefois être apportés à tant de rigueur, qu’aménage d’ailleurs l’article précité. Ainsi, et tout particulièrement, en ce qui concerne le requérant, qui demande une constatation nocturne pour lui-même. C’est une exception là aussi très générale selon laquelle il n’y a pas de violation d’un principe dès lors qu’il y a eu assentiment à cette violation. Si cette exception s’appréhende aisément pour un locataire confronté à une fuite d’eau en pleine nuit, elle est plus singulière et délicate pour le constat d’adultère requis par l’un des époux au domicile conjugal.

 

 

 

 

A.     Conditions intrinsèques :

1.      Matérialité des constatations :

Les textes.

C’est en réaction contre certains abus, que l’ordonnance du 2 novembre 1945 en son article 1er, a imposé cette limite impérative dans l’objet des constatations : "[les huissiers de justice] peuvent être commis par justice pour effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur des conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ; ils peuvent également procéder à des constatations de même nature à la requête de particuliers".

Cette rédaction est issue du décret du 20 mai 1955 en son article 32, lequel a formulé l’actuel texte de l’ordonnance susmentionnée.

 

 

 

 

Notion de constatations purement matérielles.

M. Duquenne précise que cette condition induit des difficultés singulières quant à la distinction qui peut être élaborée entre le fait purement matériel et le fait juridique. On appréhende alors tout à fait la spécificité de la mission de l’huissier, mais aussi les raisons qui ont conduit le législateur à se pencher sur la moralisation tant que sur la réglementation du constat, du fait des pratiques courantes, sinon intempestives des délégations judiciaires. Pour autant, on le verra, la pratique de celles-ci, malgré les foudres de la jurisprudence, s’est quelque peu perpétuée. En effet, cette jurisprudence est tout particulièrement sensible à la distinction ci-dessus évoquée, pour très justement contrecarrer les errements précités. En adjonction à cette notion de constatations purement matérielles, il faut à cet instant préfigurer une controverse, s’agissant de l’enregistrement de paroles, dont on peut d’ores et déjà se demander s’il est à intégrer à ces constatations matérielles.

M. Perrot y entend tout ce qui peut être perçu directement par les sens. Sans ergoter sur l’étendue des sens, et ainsi des constatations possibles, il est toutefois à préciser que la vue n’est pas seule à être en cause lors de constatations.

 

  1. Les limites et les conséquences de cette matérialité :

Question des auditions et esquisse de la détermination de la mission par le juge

 

Le législateur de 1955 imposait à l’huissier la constatation de faits purement matériels. En vertu de cette disposition, il était interdit d’entendre les parties et les tiers. Qu’en est-il sous l’empire des assertions du décret de 1973 ?

Voyons d’abord ce qu’il en est au regard du constat sur réquisition d’un simple particulier. En premier lieu, il faut partir du postulat que l’huissier ne peut enregistrer ni paroles, ni témoignages, même spontanés, ni non plus les réponses à des questions qu’il aurait posées. Il s’agit en effet du domaine de prédilection réglementé des attestations et de l’enquête, comprises au sein des déclarations des tiers, prévoyant que "lorsque la preuve testimoniale est admissible, le juge peut recevoir des tiers les déclarations de nature à l’éclairer sur des faits litigieux dont ils ont personnellement connaissance. Ces déclarations sont faites par attestations ou recueillies par voie d’enquête selon qu’elles sont écrites ou orales". De la sorte le constat ne peut ni suppléer, ni a fortiori se substituer à ces procédures. Et l’on ajoutera que cela serait d’autant plus paradoxal d’assimiler l’enregistrement de paroles à la constatation d’un fait matériel, que l’on sait par trop, combien l’ineffable est souvent au cœur de telles déclarations orales, et combien aussi les attestations sont un mode de preuve peut fiable et souvent inconsistant. La vérité ment aussi parfois ! …Quand il s’agit encore d’une vérité : que penser ainsi des souvenirs, sinon qu’ils ne peuvent d’aucune façon être considérés en tant que faits matériels. Mais s’il y a eu des confusions, cela provient en grande partie de ce qu’il est admis que l’huissier de justice est habilité à régulariser des sommations interpellatives.

La sommation interpellative est l’acte qui contient la réponse du signifié à l’interpellation, à la mise en demeure, que lui adresse l’huissier instrumentaire au nom de son client. Ce mode de procéder ne figure pas dans le NCPC, ni dans les textes afférents à la profession, mais les avantages pratiques de cet acte en ont généralisé l’emploi. Des règles prétoriennes se sont au fur et à mesure dégagées. Mais il faut toutefois réaliser combien cette consignation par surprise est un procédé très douteux, ce qui est au surplus conforté par les praticiens, dans le sens où ils n’y auront recours qu’avec une extrême circonspection.

Le formalisme prétorien de la sommation interpellative se traduit par une copie qui doit être remise sur-le-champ à l’interpelé. Cet acte ne peut être délivré qu’à une partie en cause, mais non pas à des tiers ; un plaideur a le droit de faire interroger son adversaire direct, mais non pas un témoin étranger à l’instance. La sommation interpellative ne peut se substituer à l’enquête en s’affranchissant du formalisme voulu par le législateur. Toutes les questions doivent être inscrites à l’avance dans le texte dont l’huissier donne lecture. Il doit donc faire connaître en bloc, et immédiatement toutes les questions posées. Il doit se borner à transcrire littéralement la réponse qui lui est faite, même si la partie prononce une phrase du style " je n’ai rien à dire". Enfin, il doit sommer son interlocuteur de signer sa réponse. On rappellera qu’à cette occasion l’huissier de justice ne dispose d’aucun moyen de coercition.

Un autre sujet de glose s’est fait jour dans la fin des années 60 : celui de l’enregistrement sur bandes magnétiques. C’est là où se sont concentrées toutes les suspicions de manipulation, de fraudes, trucages, et alors que les tribunaux refusaient de prendre ce mode de preuve en considération, le parachèvement de cette proscription s’est réalisé dès lors qu’un huissier eut enregistré les propos d’une personne à son insu, durant une conversation téléphonique habilement menée. On imagine tout naturellement le sort qui fut réservé à un tel constat.

Au sujet du constat sur commission, le législateur a opéré une réforme puisque désormais le technicien peut recueillir des informations orales. Mais cette apparente liberté donnée au constatant n’est pas totale. Car si le juge veut entendre les parties, on rappelle que deux moyens sont à sa disposition : la comparution personnelle des parties, et l’enquête.

Bien entendu les modalités d’exercice des constats sur commission vont notablement différer de ce qui est réalisé pour ceux sur réquisition d’un simple particulier. En effet, le juge va pouvoir limiter, tant l’objet des constatations, que circonscrire les moyens dont va pouvoir disposer l’huissier pour instrumenter. D’autre part l’huissier va ici agir en tant que mandataire de justice, et non plus être requis par une partie, ce qui va en quelque sorte transcender les vertus d’impartialité, d’objectivité, de probité… que recèle la fonction. Qui plus est, et tout spécialement en ce qui concerne les constats d’audience, les opérations vont se dérouler contradictoirement, les parties assistées de leur conseil.

En matière de saisie-contrefaçon, qui préfigure les constats d’audience, les ordonnance ainsi rendues autorisent dans leur ensemble l’huissier de justice à consigner toutes paroles non provoquées, qui vont être prononcées au cours des opérations, et qui vont être patentes de la preuve ou de l’origine de la contrefaçon. Pour mémoire, on rappellera que ce procédé d’enregistrement de paroles trouve à s’appliquer en ce qui a trait aux ordonnances sur requête autorisant un huissier de justice à assister à une assemblée générale d’actionnaires ou de copropriétaires d’immeubles, par l’entremise d’un relevé sténographique sous le soin d’un assistant spécialiste en la matière. La présence de l’huissier va ainsi contribuer à authentifier le document. En terme de gradation dans l’échelle de la valeur des preuves, on remarquera simplement qu’un tel enregistrement scriptural prévaut alors sur un enregistrement sur bande magnétique, et plus largement quant aux techniques audio ou vidéo. On se posera accessoirement la question de savoir quels vont être les effets de la loi du 13 mars 2000, quant au repositionnement de l’admissibilité des modes de preuve en ce qui concerne la preuve électronique.

Dès avant les premières réglementations sur le constat, une importante polémique est apparue à propos des constats d’audience, au sujet de l’audition de sachants, modalité prescrite par le juge dans l’exécution de la mission, question quant à laquelle nous posons une réserve.

Selon une décision de la cour d’appel de Paris du 16 mars 1968 le constat dont le seul objet est l’enregistrement de déclarations est interdit. Dans une autre affaire, un huissier avait été commis pour constater si des travaux avaient été ou non effectués. Ce dernier avait entendu plusieurs personnes. La cour d’appel écarte d’une part les déclarations explicables des parties et d’autre part ordonne la comparution personnelle des parties.

L’opinion émise par MM César-Bru, Hébraud et Seignolle est toujours d’actualité : "l’huissier peut entendre les parties, ce qui est nécessaire à l’évidence pour que les constatations purement matérielles puissent être menées à bien. Par contre, cet officier ministériel ne peut pas apprécier les déclarations explicatives des parties".

Prosaïquement, les parties sont convoquées aux opérations, soit par le technicien qui leur envoie une lettre recommandée avec accusé de réception. Elles peuvent être convoquées par la remise d’un simple bulletin à leurs défenseurs ou même verbalement lorsqu’elles sont présentes lors de la date des opérations. Ces dispositions concernent seulement les constatations sur commission contentieuse, puisque le principe même de l’ordonnance sur requête est que la mesure soit exécutée contradictoirement.

Les parties ne sont en théorie nullement tenues de participer aux constatations, sauf si celles-ci impliquent leur audition personnelle. Toute partie peut se faire assister lors de l’exécution d’une mesure d’instruction. Les conseils des parties se sont vus reconnaître un droit de représentation et à ce titre, ils pourront formuler à la place des parties qu’ils représentent, des observations et présenter des demandes relatives à la mesure d’exécution ordonnée.

Le rôle du constatant se borne à la description des faits, tandis que le rôle du juge est d’interpréter ces faits, d’en dégager toutes les conséquences juridiques, et enfin d’en apprécier la valeur probante.

 

 

§2- Conditions d’exercice de la mission :

Comme nous l’avons déjà évoqué antérieurement, le régime et l’exercice de la mission de constatations sont issus pour l’essentiel des constats d’audience. Le recueil de la preuve par constat va comme tel être subordonné à des formalités substantielles et à un encadrement certain des diligences de l’huissier de justice commis sous la férule du juge ; il en résulte que l’huissier va se voir opposer un principe de compétence liée concernant la mission qui lui est impartie par le juge. La jurisprudence est riche d’exemples topiques en la matière, et a forgé les limites des constatations (A).

Pour la réalisation de sa mission l’huissier va disposer de moyens divers qui vont être soumis à l’assentiment de règles déontologiques et aux principes généraux de procédure. C’est à cette condition que la mission va pouvoir être rendue effective par le recueil des informations, tant par des moyens juridiquement reconnus, que par des moyens techniques adaptés. Au besoin, l’huissier de justice pourra même se faire assister (B).

 

 

 

 

A.     Principe de compétence liée de l’huissier de justice :

1.      Une mission dévolue par le juge :

"Ni en deçà, ni au-delà"- principes des articles 237 et 238 du NCPC

Aussi bien en application du décret de 1955, que du décret de 1973, le constatant n’a pas à donner d’avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Le but même des mesures d’instruction confiées à un technicien étant d’éclairer le tribunal sur un élément de fait dont peut dépendre la solution du litige, le technicien a l’interdiction de porter des appréciations d’ordre juridique. De même que le juge ne peut pas donner au technicien qu’il commet de concilier les parties (art. 440 du NCPC). Le technicien est étroitement limité dans le cadre de sa mission et s’il lui est fait obligation de rendre compte de toutes les informations qu’il a eues à connaître et qui intéressent le litige lui-même (art. 244) ; il lui est fait défense de faire état des informations que ses opérations lui ont permis de connaître, mais qui n’intéressent pas le litige.

L’éventail concis des proscriptions générales dans la mission de l’huissier de justice, se trouve rapporté par les articles 237 et 238 NCPC. Le premier de ces articles dispose de manière laconique que "le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité ". Le second que " le technicien doit donner son avis sur les points pour l’examen desquels il a été commis. Il ne peut répondre à d’autres questions, sauf accord écrit des parties. Il ne doit jamais porter d’appréciations d’ordre juridique".

Rôle de l’huissier en tant que technicien.

Le technicien peut recueillir des informations orales ou écrites de toutes personnes, cette disposition semblant trancher toutes les difficultés nées au sujet de l’audition des sachants. Outre les mentions d’identité de ces sachants, le technicien devra éventuellement préciser leur lien de subordination, de collaboration, de communauté d’intérêt, de parenté ou d’alliance avec les parties.

Ces mentions sont à peu près les mêmes que celles exigées pour les déclarations des tiers formulées dans des attestations versées aux débats ; leur but est d’informer pleinement le juge sur l’impartialité des sachants. La participation d’un tiers aux opérations peut également résulter d’une intervention soit volontaire, soit forcée, à l’instance. Dans ce cas le technicien en est avisé par le greffe et l’intervenant doit être mis en mesure de présenter ses observations sur les opérations qui ont précédé.

La clause de réserve de référé ?

C’est la situation dans laquelle le juge, étant saisi sur requête unilatérale éprouve quelques remords face à la gravité de la mesure envisagée, pour n’avoir pas entendu la personne à l’encontre de laquelle elle va être diligentée. Dès lors il va délivrer l’autorisation sous réserve de lui en référer en cas de difficulté ; si donc l’huissier est confronté à cette situation, il doit immédiatement se retirer devant le juge après avoir dressé un procès-verbal de difficultés : le juge va en quelque sorte pouvoir rendre la mesure contradictoire, ou plutôt à tout le moins engager un tel débat. De la sorte, le requis au constat ayant été entendu, une modification ou le rapport de la mission va pouvoir être entrepris.

Le problème se pose toutefois, de savoir si, lorsque la mesure ordonnée l’est au moyen d’une ordonnance sur requête assortie de plein droit de l’exécution provisoire, pouvant en outre être exécutoire sur minute, il n’y a pas de contradiction entre celle-ci et la clause de réserve de référé. En effet, l’huissier se trouve alors totalement dans l’expectative. Une inexécution rendant illusoire tout aboutissement fructueux ultérieur, et a contrario l’irrespect des desiderata du juge pouvant être audacieux, sinon tendancieux.

M. Perrot nous donne la clef de ce problème, qui s’exprime finalement à travers le mandement, contenant le libellé de la mission, et plus précisément du moment auquel se situe la réserve de référé par rapport aux constatations. Leur étant antérieure, l’huissier poursuit sa mission, puis en réfère ; vice et versa a contrario, la réserve devenant alors conditionnelle quant à la mission.

 

 

2) La sanction du principe :

Analyse jurisprudentielle sur la question des délégations judiciaires.

Nous avons évoqué, quant à la matérialité des constatations, la question de l’audition de sachants comme étant l’une des importantes polémiques au cœur de la notion des délégations judiciaires. En effet, l’on rappelle que cette modalité d’exercice de la mission de constatations de l’huissier de justice était prévue par les juges dès avant que les premiers textes réglementant le constat ne voient le jour. Or, il est un principe intangible selon lequel le juge ne peut déléguer ses pouvoirs, notamment ceux relatifs à l’enquête. Cependant, la jurisprudence à cet égard n’a pas été totalement drastique, ayant su faire le départ entre un témoignage recueilli selon les formes légales mais par un huissier de justice, du simple renseignement obtenu sans formalisme, et en particulier sans prestation de serment, en complément d’une constatation matérielle. La jurisprudence antérieure à 1945 avait reconnu la validité de l’audition à condition qu’elle ne rappelle pas la procédure d’enquête, et porte exclusivement sur des constatations purement matérielles. A contrario les investigations de l’huissier ne peuvent consister en une seule et unique audition de sachants.

A posteriori, notamment suite à la réglementation du décret 20 mai 1955 qui a quelque peu limité le domaine des constatations en spécifiant qu’elles doivent être purement matérielles, il y a eu un effet inverse à celui recherché d’une rationalisation du domaine : ainsi pour des questions d’opportunité, et des contingences pratiques, il y a eu un élargissement de la notion de constatations matérielles. Quelques jurisprudences téméraires de cours d’appel se sont fait jour pour refuser l’audition aux sachants, mais la cantonner aux seules parties. Cependant il demeure en principe général que l’audition de sachants reste très largement acceptée par les tribunaux. Les motivations de cette perpétuation se trouvent dans l’aspect indispensable que ces auditions revêtent en pratique. C’est souvent l’un des aspects cruciaux d’une précision des points de fait de la mission, comme par exemple pour vérifier les conditions alléguées pour un échange dans le cadre de la loi du 1er septembre 1948, les conditions d’occupation ou l’inoccupation d’un local, ou encore les ressources d’une partie à l’occasion d’une demande de pension alimentaire,…etc.

Désormais les dés sont jetés, et l’huissier de justice, en tant que technicien, peut à bon escient recueillir tous renseignements utiles afin de mener à bien sa mission, sous une triple condition :

- en premier lieu que lesdites auditions soient destinées à compléter et à préciser la constatation d’un fait matériel ;

o      ensuite que la mission impartie ne consiste pas uniquement en des auditions ;

o      enfin que les renseignements soient recueillis hors les formes de l’enquête classique, et notamment sans prestation de serment.

 

 

A.     Les moyens de l’huissier de justice :

1.      Moralité de la mission :

L’article 237 du NCPC précise que le constatant doit remplir sa mission avec "conscience, objectivité et impartialité". Cette objectivité est plus aisée lorsqu’il agit comme mandataire de justice, sur commission de justice contentieuse, en présence de deux parties qui se contrôlent mutuellement. Elle ne pose pas encore de problème lorsque, agissant à la requête d’un particulier sur ordonnance, il trouve dans la mission fixée par le président un cas précis à ses investigations.

C’est par contre, nous le verrons, la qualité qui exige de l’huissier le plus de caractère lorsqu’il instrumente sur la simple réquisition d’une partie et en sa seule présence. Le requérant voulant dans la plupart des cas donner une orientation partiale aux constatations qui lui serviront de preuve.

De même, mais issu de la jurisprudence, l’huissier ne doit pas agir clandestinement. L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 9 janvier 1974 frappé de pourvoi en Cassation, le rappelle en termes catégoriques. En l’espèce, un mari avait sollicité un huissier de justice pour être le témoin privilégié de plusieurs scènes de ménage. Dissimulé sur le balcon d’une cour, il avait reçu mission de consigner soigneusement les propos fort peu amènes de la femme qui effectivement se surpassa, l’escalade verbale atteignant généralement son sommet lorsque le mari clamait à haute voix des paroles d’apaisement. Trois constats avaient été ainsi dressés et produits par le mari devant le tribunal d’instance à l’appui de sa demande en divorce, à laquelle le tribunal avait fait droit. La Cour mieux avisée, écarta des débats les constats litigieux et, infirmant le jugement, débouta le mari de sa demande en divorce. Le mari s ‘est pourvu en cassation, la Cour rejetant le pourvoi.

La Cour de Lyon rappelle que "pour procéder aux actes de son ministère, l’huissier doit se présenter à visage découvert, et non pas dresser des constats en se cachant, tandis que son requérant, par un agencement prémédité, joue un rôle dans la pièce voisine". Elle souligne également que la loi du 17 juillet 1970 frappe de sanctions pénales l’espionnage domestique et qu’il "ne convient pas d’admettre comme preuves valables les constats clandestins d’un officier là-même de l’écoute par un tiers à l’aide d’un appareil enregistreur (ce qui) serait pénalement punissable".

Dans une autre affaire concernant également le divorce, un huissier avait été commis par justice pour constater les relations extraconjugales de l’époux. Dans ce but, il avait effectué plusieurs sommations interpellatives et conduit une véritable filature. La cour d’appel n’avait pas retenu la responsabilité de l’officier ministériel. La Cour de Cassation saisie, a annulé l’arrêt et renvoyé devant une autre Cour d’appel. Dans son arrêt, la Cour de cassation a fait ainsi reposer son argumentation : "attendu cependant qu’en refusant de reconnaître un manquement à ses obligations professionnelles dans le comportement d’un auxiliaire de justice dont elle constatait qu’il avait outrepassé les limites de la mission qu’il avait reçue de l’autorité judiciaire, la cour a entaché sa décision de contradiction".

Le constatant, en aucun cas, ne doit outrepasser sa mission afin que son procès-verbal puisse avoir une valeur en justice.

 

Questions des droits de la défense (principe de contradiction et effectivité)

Un particulier demande le constat d’un fait précis à son avantage, mais voudrait écarter ce qui peut lui nuire : par exemple, un locataire sortant veut faire constater les améliorations mais laisse sous silence les détériorations. Mais, inversement ce peut être le propriétaire qui procède à de telles constatations inéquitables. En un mot il s’agit très clairement du problème du caractère contradictoire des constats. On l’a évoqué, si l’on désire projeter des constatations non contradictoires, très justement car la matérialité et l’objet de celles-ci le nécessitent (archétype du constat d’adultère), il est une procédure sur requête requise à cette fin. A contrario, on suppute combien le constat pâtira de l’absence de ce caractère contradictoire au nom duquel les sphères judiciaire et juridique se sont vues bouleversées ces dernières années.

Ainsi, ce caractère contradictoire requis évitera des frais de justice supplémentaires, en ce qu’un nouveau constat pourrait voir le jour aux fins naturellement de faire échec à celui primitif. Et bien entendu ce supplément, qui n’est pas un luxe, assurera une légitimité accrue au constat, sinon une force probante renforcée. Autant de bonnes raisons pour, d’un même jet, concilier le bas de laine et la satisfaction des parties, et la conformation à une nécessité idéologique structurelle.

 

  1. Effectivité de la mission :

Etendue des moyens techniques dont dispose l’huissier

 

L’huissier relate ce qu’il a appris lui-même, visu aut auditu. C’est en quelque sorte la traduction du mot constat ; quand l’huissier dit ou mentionne telle ou telle constatation, c’est qu’en effet il a perçu telle ou telle sensation : en ce sens il transcrit des impressions personnelles, et non point les dires d’autrui. Son procès-verbal ne contiendra que la relation de choses vues ou entendues par lui-même, dans l’ordre où les événements se sont succédés, sans omission, ni transposition. Il prendra grand soin de les localiser dans le temps et dans l’espace, avec le plus d’exactitude possible. L’huissier est ainsi un consignataire de natures mortes, mais pas nécessairement dans le sens d’une extrême minutie, mais plutôt d’une idée de justesse. Toutefois doit-il s’attacher à la précision, mais se garder des formules comparatives et autres circonvolutions démontrant une appréciation, dont il serait redondant de dire qu’elles sont subjectives ; il ne doit pécher ni par précision, ni a contrario par omission. Ce pourquoi il est requis, ce n’est pas en vue de l’obtention d’un certificat de conformité, ni d’une opinion motivée, mais simplement un apport d’éléments bruts, susceptibles d’éclairer la religion du juge ; il lui est demandé de voir et d’entendre, d’être concis et précis, ni plus, ni moins.

On peut aussi se demander si l’huissier doit apporter la cause efficiente des constatations, comme par exemple de savoir si telles détériorations d’un mur sont dues à des crevasses, à l’humidité, à un affaissement, et s’il doit procéder de la même manière en ce qui concerne la cause finale (ou occasionnelle) et de consigner que les dégradations proviennent de tels agissements du voisin… Il est nettement perceptible (les adverbes sont à proscrire de l’huissier diligentant des opérations de constat !) que cette dernière catégorie n’est en rien compatible avec l’objectif assigné de constatations purement matérielles, ce d’autant que l’huissier procéderait alors aux véritables investigations d’un expert, qui est désigné au regard de ses compétences spéciales pour réaliser le départ entre les causes apparentes, et les causes réelles.

 

Définition des moyens par les prohibitions

C’est ici une synthèse qu’il faut opérer, pour exprimer l’écheveau dans lequel est enserré l’huissier de justice. Parce que le régime juridique du constat n’est pas légalisé, la jurisprudence et divers ordonnateurs d’instructions ont forgé un régime que l’on dira déontologique. Sans revenir ou présager des développements, ce régime est défini de manière négative, qui de la prohibition de toute mise en scène, qui de celle des fouilles corporelles, des écoutes téléphoniques,…etc.

Non point que nous ne nous en sentions pas l’âme, mais l’étude de ces prohibitions passerait par une énumération fastidieuse, et, ce qui se comprenant bien s’énonçant clairement, nous nous en remettrons, sans fausse modestie, entre les dernières lignes du professeur Perrot sur la question : " Les explications qui précèdent n’ont pas l’ambition de décrire tous les procédés qui peuvent être utilisés par opposition à ceux qui ne peuvent pas l’être. Il faut dire d’ailleurs que dans l’immense majorité des cas, les opérations auxquelles procèdent les huissiers de justice sont effectuées dans des conditions parfaitement régulières sans la moindre contestation. Il n’en demeure pas moins que la science du droit se nourrit de cas pathologiques qu’il faut avoir le courage d’examiner lucidement. Mais quand on mesure les prérogatives considérables que suppose l’exécution des missions de constat, on comprend mieux l’importance d’une déontologie sans faille et la nécessité d’une discipline ordinale, afin de ne confier de telles missions qu’à des personnes dont la loyauté et la conscience professionnelles sont irréprochables".

 

Recours à l’expert

L’élément caractéristique du procès-verbal de constat, c’est à dire la relation exacte de ce que l’huissier a appris par lui-même, soulève une question : si la matière sur laquelle porte le constat est spéciale, peut-il se faire assister d’une personne compétente, doit-il consigner dans son procès-verbal les constatations de l’homme de l’art, sous quelle forme ?

En effet il est des situations dans lesquelles l’exactitude des informations devant être communiquées ne doit pas faire défaut, pour la compréhension des juges, et dans un esprit de concision. Certains arrêts anciens en portent la marque, ainsi d’un huissier qui avait reconnu nécessaire de se faire assister d’un expert pour la constatation d’un délit de contrefaçon portant sur une liqueur, ou quand, plus proche de nous, il est demandé à un huissier de justice, toujours en matière de contrefaçon, de consigner le protocole de réalisation d’un produit pétrolier. On réalise combien la présence d’un spécialiste de la matière sera bénéfique.

Mais pour autant l’huissier ne deviendra pas le scribe du spécialiste, dont la raison d’être de la présence est un concours technique en terme de vocable tout d’abord, mais aussi dans le but d’attirer l’attention du constatant sur tel point technique : il va être le cicérone du profane-constatant, lequel, quelque confiance qu’il puisse avoir en ce spécialiste, ne doit pas procéder à une délégation, d’ailleurs s’agirait-il d’une subdélégation, quand l’huissier est commis in personam.

Il faut mentionner en parallèle avec cette question, qui engage une responsabilisation de l’huissier commis aux fins de constatations dans le respect des moyens de sa mission, que le décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 a institué quelques nouveautés sur les modalités de ce contrôle par le juge. Ainsi, l’article 155 NCPC s’est vu ajouter deux nouveaux alinéas aux termes desquels : "Lorsque la mesure est ordonnée par une formation collégiale, le contrôle est exercé par le juge qui était chargé de l’instruction ; à défaut, il l’est par le président de la formation collégiale s’il n’a pas été confié à un membre de celle-ci.

Le juge mentionné au premier alinéa et la formation collégiale peuvent également avoir recours au juge désigné dans les conditions de l’article 155-1".

Ce dernier article, totalement nouveau, disposant que "le président de la juridiction peut dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice désigner un juge spécialement chargé de contrôler l’exécution des mesures d’instruction confiées à un technicien en application de l’article 232".

Il faut à notre avis simplement en retenir la création d’un juge spécialisé, puisque ce n’est pas en tant que tel une nouveauté innovante, simplement la prise en compte du fait qu’un grand nombre de mesures d’instruction sont prises : c’est donc plus une mesure de gestion qu’une mesure structurelle ; n’a-t-on pas évoqué la question de la perversion de l’article 145 NCPC ?

 

Recours à la force publique

 

Le concours de la force publique est laissé à l’entière appréciation du président qui doit expressément le mentionner dans son ordonnance. Il le fait dans les hypothèses où l’action de l’huissier de justice risque de se heurter à une opposition par la force et où l’intérêt des constatations prime la contrainte imposée à un tiers. C’est là le principe du mandement, dont dispose l’article 7 bis du décret n° 56-222 du 29 février 1956. Même si cette disposition est afférente aux matières criminelle, correctionnelle ou de police, il est ici un principe selon lequel l’huissier ne peut recourir à la réquisition des forces de police sans mandement exprès : pour l’exécution des décisions de justice, ce mandement va se confondre très généralement avec la formule exécutoire. Mais pour l’exécution de mesures d’instruction, il sera spécifié si un tel recours est possible, et le plus souvent lors de constatations à diligenter dans un lieu privé.

 

 

Après avoir élaboré la souplesse de ce régime des constats, issue de l’absence d’un régime légal spécifique, ce qui créée souvent des difficultés d’interprétation d’un point de vue jurisprudentiel, il nous faut en venir aux effets du procès-verbal de constat.

 

 

CHAPITRE II- Constat : effets et perspectives :

 

 

 

 

 

Du régime juridique des constats précédemment étudié, il faut retenir qu’il n’est pas un carcan, et du point de vue de cette souplesse réglementée, en tirer la conséquence prétorienne d’une évolution dans les constats, ainsi que d’une marge d’opportunité dans leur réalisation. Dès lors la question qui mérite de se poser est de savoir si ce régime juridique, générateur d’innovations matérielles, n’affecte pas au-delà la structure même du constat, et ce, tout particulièrement quant à sa force probante. En effet, il ressort du régime juridique des velléités d’affranchissement de ce statut non étanche, mais quelque peu composite du constat (notamment en ce qu’il n’est pas un acte ressortissant de la compétence exclusive de l’huissier de justice et n’est par conséquent pas tarifé), en particulier si l’on se focalise sur sa force probante ; par ailleurs et à l’aube de l’avènement d’un titre exécutoire européen, on peut aussi se poser la question de savoir ce qu’il en est du constat quant à une démocratisation ou une hégémonie.

Pour autant que le constat participe du régime légaliste de la preuve, il n’est pas, sauf exceptions, intégré comme preuve légale dans l’ordonnancement juridique de l’échelle des preuves. Cette caractéristique, dont on pourrait a priori penser qu’elle lui est néfaste, va tout au contraire être le point d’ancrage de sa force vive : le propos laudatif de "reine des preuves" dont il est affublé semble bien l’attester. Bien entendu toute la puissance que peut revêtir le procès-verbal de constat va tenir plus en l’autorité morale, et à l’obédience vis à vis de la réquisition de son instigateur, qu’en sa valeur juridique intrinsèque. Tel est l’état des questions qui se posent en la matière.

Dans la lignée du régime juridique du constat, vont s‘exprimer tout d’abord des conséquences juridiques tenant à la responsabilité de l’huissier, mais aussi et surtout en ce qui concerne la valeur probatoire du procès-verbal de constat (§1). Ensuite et sous divers angles, il conviendra de s’interroger sur les mutations sensibles ou à venir du procès-verbal de constat (§2).

§1- Les conséquences juridiques et probatoires du constat :

La résultante formelle des constatations diligentées par l’huissier de justice peut prendre deux formes. En effet le cas échéant, si l’urgence recommande la plus grande célérité de l’huissier, le compte-rendu du constat pourra être oral. Il convient cependant de préciser que cette hypothèse est somme toute très rare. Habituellement, ce compte-rendu se formalisera en un procès-verbal de constatations, communiqué à la partie requérante, ou bien au juge et aux parties s’il entre en situation contentieuse. C’est cet acte, en son instrumentum, qui va engager la responsabilité de l’huissier (hormis les autres causes d’engagement dans le cours de la mission de l’huissier) et il faudra se poser la question de la teneur de l’obligation qui joue à son égard.

Parallèlement, va s’attacher au procès-verbal de constat une force probante, dont il faut d’ores et déjà préciser qu’elle recouvre une identité Janus, avec une apparence juridique de simples renseignements, voilant une réalité empirique sensiblement différente (B).

 

 

A.     La responsabilité de l’huissier de justice :

Les principes généraux de la responsabilité des huissiers de justice.

Il ne s’agit pas ici d’évoquer dans le détail les modalités de la mise en cause possible à la fois à travers les diligences de l’huissier et ses actes, ce qui n’est pas ici notre ambition. Simplement pour évoquer en dehors des causes de responsabilité de l’huissier de justice dans l’accomplissement de sa mission, les grands traits de la valeur probante de ses actes.

On rappellera très généralement, que les actes de l’huissier de justice ont valeur authentique et leurs détracteurs seront par suite soumis au régime juridique très lourd de la procédure en inscription de faux. Mais ne sera pas moins imposant le panel des sanctions damoclétiennes au-dessus de la tête de l’huissier ; s’il est en définitive convaincu de faux en écriture publique, destitution, Cour d’Assise et sanction pénale de réclusion criminelle seront ses plus proches horizons, si dorénavant il s’agit effectivement d’une affirmation volontairement mensongère, d’une falsification intentionnelle, frauduleuse.

Toutefois il convient aussi de rappeler que la force probante absolue n’est attachée en matière d’exploits qu’aux énonciations personnelles de l’huissier concernant ses démarches, l’accomplissement des formalités, mais non point au texte, au contenu de l’acte. Son requérant en assume alors seul la responsabilité, lorsque par exemple il se prétend à tort créancier dans une assignation, ou invoque contre sa femme des griefs inexistants pour obtenir le divorce.

 

Les spécificités en matière de constat.

La difficulté en matière de constat vient de ce que le texte même du constat est l’œuvre intégrale de l’huissier de justice qui ne se borne plus à reproduire les prétentions de son client, mais relate lui-même ce qu’il déclare avoir vu de ses yeux. Il s’agit donc bien là d’une action personnelle qui paraît de prime abord de même nature que la relation de ses démarches et formalités en matière de régulation d’exploits ; on pourrait donc se demander ce qui serait susceptible de laisser moins de foi au procès-verbal de constat.

Ceci serait d’autant plus redoutable que l’article 146 du Code Pénal menace de la réclusion criminelle à perpétuité, l’officier public qui en rédigeant des actes de son ministère, en aura dénaturé frauduleusement la substance ou les circonstances… soit en constatant comme vrais des faits faux ou comme avoués des faits qui ne l’étaient pas.

Pour M. Duquenne, cette règle a deux origines. L’une est historique et s’expose en ce que pendant longtemps la licéité même du constat fut discutée et que certaines décisions considéraient que l’huissier de justice n’avait pas dressé cet acte dans le cadre de ses fonctions (allégation d’un certificat que la partie se délivre à elle même) ; par conséquent on ne pouvait lui attacher le caractère authentique.

L’autre est d’ordre pratique. En effet une multiplicité de faits et situations peut être l’objet du procès-verbal de constat, qui engendre des difficultés sur un plan technique. Les formalités des exploits se limitent à un petit nombre de démarches strictement réglementées par la loi et dont le contrôle est relativement aisé. A contrario, dans les constats, des erreurs inévitables peuvent se glisser dans une description, malgré les bons soins du professionnel averti. D’autres matières dans lesquelles des spécialistes officient, offrent moults exemples de contradictions, et ce notamment dans le sujet voisin des expertises. On peut donc se demander s’il serait légitime de condamner pour faux un huissier qui se serait trompé dans le détail d’une mesure. L’huissier de justice serait alors perpétuellement sous la menace d’une accusation de faux de la part de plaideurs de mauvaise foi. On en déduit ainsi qu’il était donc sage de laisser la marge d’une possibilité d’erreur, qui soit involontaire c’est entendu, et le droit de l’adversaire de rapporter une preuve contraire. Cette sagesse a pour effet une double protection : celle des parties qui peuvent critiquer les constatations et en redresser éventuellement les erreurs, et celle de l’huissier de justice qui serait par de mauvais coucheurs menacé de faux à tout instant. En définitive, donner force probante aux constatations eut entraîné la nécessité d’une réglementation minutieuse et d’un formalisme étroit, comme dans l’enquête ou la descente sur les lieux. Le constat devenu une machine lourde, formaliste, aurait perdu tout l’intérêt qu’il représente comme moyen de preuve rapide, peu onéreux et souple, s’adaptant à toutes les situations.

 

  1. Valeur probante du procès-verbal de constat :

1.      Valeur juridique :

Constatations matérielles et valeur de simples renseignements.

Le décret du 20 mai 1955 met fin à une longue controverse. Dans l’un et l’autre cas (sur commission de justice ou à la requête d’un particulier), ces constatations n’ont que la valeur de simples renseignements.

A partir de cette date, le législateur place sur le même plan les constats sur simple réquisition d’un particulier, et ceux sur commission. Cette égalité fut longue à obtenir. Antérieurement au décret, certaines décisions qualifiaient le constat à la requête de particuliers, de certificat que la partie se délivre à elle-même, et lui enlevaient toute valeur probante, au motif qu’il avait été dressé par un mandataire salarié. Par contre, s’agissant de constats sur commission, les juges leur conféraient la même valeur qu’un acte authentique.

Cette confusion venait d’une part du manque d’assise légale du constat, et d’autre part, les exploits étant toujours des actes authentiques, on ne savait pas très bien pourquoi il en aurait été autrement pour les procès-verbaux de constat dressés par le même officier ministériel.

Face à cette dernière remarque, se pose la question de savoir ce qui a pu emporter une telle décision réglementaire. En effet, en tant qu’actes authentiques, les actes d’huissiers de justice font foi jusqu’à inscription de faux. S’il se révèle que l’acte tombe effectivement sous le coup de cette sanction, qu’il est convaincu de faux, l’ampleur des sanctions encourues par l’huissier que sont non seulement la destitution, mais aussi la Cour d’Assises et la sanction pénale de réclusion criminelle, pèse de tout son poids dans la balance en faveur d’une force probante ordinaire, c’est à dire susceptible d’être contrecarrée par tout moyen. Il faut de suite préciser que pour que l’éventail des sanctions susmentionnées soit effectif, encore faut-il qu’il ne s’agisse pas d’une simple erreur matérielle et réparable, mais bien d’une affirmation volontairement mensongère, d’une falsification intentionnelle, frauduleuse.

 

Domaine de la preuve jusqu’à inscription de faux.

L’article 1317 du Code Civil donne la définition des actes authentiques. Ce sont ceux qui ont été reçus par un officier public. Ils doivent être rédigés selon les formes indiquées par la loi, et par un officier public compétent. L’acte authentique fait foi de son origine. Mais cette preuve n’est pas irréfragable. Celui à qui on oppose un acte ayant l’apparence d’un acte authentique peut essayer de prouver par exemple qu’il s’agit, en réalité, d’un faux. Pour faire cette preuve, il doit s’engager, on le rappelle, dans une procédure spéciale : l’inscription de faux (art. 303 à 316 du NCPC). Bien qu’allégée par les récentes réformes, cette procédure reste toujours longue, coûteuse et périlleuse.

Cependant, s’il n’y a pas de doute quant à l’authenticité de l’acte, tout ce qui est écrit n’a pas la même valeur en tant que preuve. Il faut distinguer les mentions qui ont été directement constatées par l’officier public ex proprius sensibus. Il en est ainsi de la date de l’acte, de l’identité des parties. Ensuite, les mentions qui figurent à l’acte sans que l’officier public ait pu vérifier l’exactitude, n’ont pas la même valeur. Elles constituent, certes, des preuves en faveur de celui qui produit l’acte, mais l’adversaire peut établir que ces mentions sont inexactes, sans être obligé d’employer la procédure spéciale d’inscription de faux. Il essaiera de faire la preuve de l’inexactitude de ces mentions par la procédure ordinaire beaucoup plus simple.

Si l’acte authentique est régulier en la forme, s’il émane de l’officier compétent, et si l’adversaire ne parvient pas à prouver le faux ou l’inexactitude, le tribunal sera obligé de considérer comme prouvé ce qui est mentionné puisqu’il s’agit d’une preuve légale.

Les constats se différencient des exploits en ce qu’ils n’ont pas la même valeur probante. Ils sont laissés à la libre appréciation des juges. Les seules exceptions prévues à ce principe se présentent pour les procès-verbaux de constat dressés en application des lois de 1844, 1857 et 1909 sur les contrefaçons de brevets, marques, dessins et modèles, pour la loi du 11 janvier 1968 sur les brevets (art. 56) et enfin la loi du 11 juin 1970 (art. 27) sur la protection des obtentions végétales. Ils ont la valeur d’actes authentiques. Cette solution provient de la nature hybride qu’ils revêtent ; en effet, ainsi que nous l’avons déjà exprimé, ce sont à la fois des procès-verbaux descriptifs, et des procès-verbaux de saisie dès lors que l’infraction est avérée.

En 1964, la cour de cassation établissait déjà la distinction. "Si les procès-verbaux dressés par les huissiers en vertu de l’article 17 de la loi du 23 juin 1857 pour constater les contrefaçons de marques de fabrique font foi de leurs énonciations comme les actes authentiques en général, il en est autrement de ceux qu’ils dressent même en exécution d’une ordonnance du juge, pour constater seulement des faits de concurrence déloyale ; que les procès-verbaux, alors, n’ont d’autre valeur que celle de simples renseignements".

C’est cette formule qui a été reprise par l’article 34 du décret du 20 mai 1955, modifiant l’article 1er de l’ordonnance du 3 novembre 1945. Cet article est conforme aux textes de 1973 concernant l’administration judiciaire de la preuve, dont l’article 246 dispose que "le juge n’est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien".

Les constats sont par conséquent des élément d’information du tribunal, mais celui-ci n’est pas lié par les affirmations contenues dans un constat, lequel n’est pas une preuve légale des faits qui y sont attestés. Cependant, une telle solution peut paraître choquante, puisque les énonciations portées dans le constat sont constatées par l’huissier ex proprius sensibus. Il est présent, et ce sera lui qui par exemple vérifiera l’état de la chaussée, mesurera une clôture, constatera l’état de travaux… etc. Il paraît donc de prime abord curieux et regrettable que ces énonciations n’aient pas une valeur probante supérieure.

Mais s’il en était ainsi, l’huissier serait continuellement sous la menace d’inscription en faux de la part de plaideurs chicaneurs, qui argueraient que telle clôture mesure réellement 3,30 m et non 3,50 m, ainsi que l’huissier l’a consigné dans son procès-verbal. C’est pourquoi il est préférable que la valeur probante de leurs constatations soit appréciée souverainement par les magistrats.

En ce qui concerne la date du procès-verbal, la signature de l’huissier, la mention du procès-verbal établissant que le demandeur s’est présenté devant lui pour requérir certaines constatations, le dépôt entre les mains de l’huissier de certaines pièces, le transport de l’huissier sur les lieux où interviennent les constatations, ou la présence des parties intéressées, il est admis que ces mentions ne peuvent valoir à titre de simples renseignements, mais font foi jusqu’à inscription de faux.

Les magistrats donnent en pratique une telle valeur à ces énonciations car il s’agit d’un acte compris dans les attributions normales de l’huissier. Mais donneraient-ils la même valeur aux constatations dressées par tout constatant ? Sur ce point, et à notre connaissance, aucune solution jurisprudentielle n’est venue répondre à cette question.

La notion de renseignements semble aller bien au-delà de ce terme à dessein très vague. S’il est constant que les juges ne fondent pas la preuve de l’adultère sur le procès-verbal de constat, mais donnent à ce dernier la même valeur que les attestations constituant des moyens de preuve recevables en matière de divorce, dans d’autres décisions, les preuves étant très minces, les juges n’hésitent pas à se fonder sur des dénonciations des constatations.

Ainsi dans une affaire où un locataire avait contrevenu à la clause l’obligeant à habiter lui-même et à ne céder les lieux loués qu’à un successeur dans son activité professionnelle, le bail a été résilié aux torts du locataire en se fondant sur les énonciations du procès-verbal de l’huissier commis.

Dans une seconde espèce, un huissier requis par un propriétaire voulut faire établir que des travaux de remise en état d’une terre donnée en location n’avaient pas été réalisés par le preneur contrairement à une injonction de la cour d’appel. Il voulait tirer argument de cette carence afin de faire prononcer la résiliation du bail le liant à son adversaire. L’huissier requis se déplaça sur les lieux litigieux, sollicitant l’autorisation du locataire, se faisant assister d’un expert agricole et prenant des photographies. La cour d’appel admit alors sans difficulté le procès-verbal de constat établi, sur la base duquel elle résilia sans hésitation le bail rural.

Pour un bref récapitulatif sous la forme d’une analyse jurisprudentielle de la question, il convient de rappeler que depuis 1932, la Cour de cassation considère qu’un huissier, agissant en vertu d’une délégation de la loi pour l’exécution d’un acte entrant dans ses attributions, imprime à son acte le caractère authentique. Par contre, la même Cour de Cassation en 1991, a décrété qu’un procès-verbal de constat d’huissier de justice dans lequel avait été recueillie une promesse de vente ne constituait pas un acte authentique. Cela conforte l’idée de constatations purement matérielles, constatant des faits matériels et non des faits, et a fortiori des actes, juridiques. C’est d’ailleurs tout le problème, en termes d’analyse juridique, des constatations à la requête d’un particulier auxquelles il a été voulu être donné un regain de légitimité, par une sorte d’entérination judiciaire en la forme de l’article 1441-4 du NCPC ajouté par la réglementation du décret du 28 décembre 1998. C’est un sujet que nous réservons pour une étude ultérieure.

 

  1. Valeur factuelle :

Réalité des constatations matérielles.

Très pragmatiquement, il faut appréhender que les actes d’huissier en général soient contestés dans une proportion qui oscille entre 1 et 3 %o, et qu’au sein de ces contestations seulement 5% soient avérées. On ne tentera pas une approche infinitésimalement pointue de celles qu’il échet à la Cour de Cassation d’aborder…, ni non plus de la proportion de procès-verbaux de constat parmi ces actes. Simplement la question vient à se poser, à savoir si le régime jurisprudentiel du constat est apprécié de la même manière par les juges du fond que par la cour suprême. Il n’y a certes pas un différentiel caractérisé dans l’approche "morale" du procès-verbal, notamment en termes de sanctions d’éventuels impairs commis par le constatant, tant dans l’effectivité de sa mission qu’à l’égard de l’instrumentum. Mais c’est du côté de la force probante que va se révéler l’hiatus.

En effet, si comme il a été exposé précédemment, les constatations ne valent juridiquement que comme simples renseignements, une résultante empirique démontre que les praticiens, à commencer par les magistrats, ont été véritablement conquis par cet instrument alliant facilité d’exécution, intérêt en terme de preuve, réalisant aussi le parfait aggiornamento en ce qui concerne les évolutions technologiques, et en un mot un moyen de preuve efficient. Cette dernière caractéristique est relevée par le fait que les magistrats, sans être aveugles, vont appréhender le constat avec une confiance légitime. La remarque a souvent été faite en cette étude d’un processus d’institutionnalisation téléologique du constat, remarque qui prend ici toute son importance, en ce qu’elle montre la légitimité que s’est vu reconnaître le constat durant une période de gestation très longue. Il est surabondant d’ajouter qu’un assentiment prétorien vaut mieux qu’un dispositif législatif ex nihilo.

 

Explicitation du qualificatif de reine des preuves : place des constatations au sein des preuves.

Les différentes réglementations afférentes à l’administration de la preuve ont assuré une relative prééminence de la mesure d’instruction que constituent les constatations ; le Nouveau Code de Procédure Civile tout d’abord, puis plus près de nous le décret du 28 décembre 1998. C’est justement en ce que ces deux textes ont posé les constatations en tant que premières mesures d’instruction pouvant être diligentées par un technicien, qu’elles se sont vues affublées du qualificatif de "reine des preuves". Mais cette expression n’est pas une boutade lancée pour qui veut bien l’entendre ; les considérations exposées ci-avant nous le rappellent, de l’expérience acquise au fil des décades par ceux qui sont justement devenus des techniciens, des spécialistes des constatations.

 

Pourtant, si la valeur du procès-verbal de constat paraît acquise, un commencement d’évolution transparaît au terme de toutes les mutations que nous avons évoquées, à la manière du surhomme nietzschéen. Le constat voudrait bien s’affranchir de cette modeste considération, pourtant pérenne, dont il est assorti légalement, ce tant du point de vue du droit interne, qu’externe.

 

 

 

§2- Force du constat et mutations :

On a pu voir tout au long de cette étude combien était attaché au constat la notion de mutations, que ce soit dans son objet, avec un domaine d’action sans cesse mouvant et innovant, et du point de vue de sa structure avec l’appréhension de toutes les phases du litige, que dans son régime juridique avec des inflexions technologiques brisant les règles traditionnelles de compétence. Mais il faut aussi entrevoir que ces changements se sont portés sur la nature du constat, ce en parallèle avec des réglementations innovantes (notamment celle du décret du 28 décembre 1998). C’est très certainement une rémanence de la saisie-contrefaçon, même si l’on a bien vu combien le fait de rendre une plus grande force à la preuve des constatations pourrait favoriser le dilatoire et les contestations à l’égard de l’huissier. Mais à défaut de modifier la force probante du constat, s’est révélée la possibilité issue de la pratique, de renforcer sa force exécutoire (A). En prolongement se pose aussi la question de savoir si une hégémonie du constat n’est pas possible, d’abord d’un point de vue européen, puis international (B).

 

A.     De la valeur de simple renseignement à celle de la force exécutoire…

1.      Une force probante pérenne :

"… Dans l’un et l’autre cas, les constations n’ont que la valeur de simples renseignements". C’est ce dont dispose l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 à l’égard des constats sur réquisition d’un particulier ou sur commission de justice. Nul participant à l’instance n’est donc tenu par les énonciations portées sur le constat ; pas plus l’adversaire, qui peut par tout moyen en rapporter la preuve contraire, sans qu’il soit ainsi nécessaire de recourir à la voie de l’inscription de faux, que le juge, qui les soumettra à son pouvoir souverain d’appréciation quant à leur existence et leur portée. Ainsi, même si la validité du constat n’est pas contestée, il pourrait très bien l’évincer. On rappelle que de facto, les constats recèlent une autorité morale toute autre, fondée il va de soi sur la personnalité de son rédacteur, et la crédibilité attachée aux fonctions d’huissier de justice. Cette force probante stricto sensu n’est pas démentie. Et nous avons vu les difficultés que reviendrait à poser l’instauration d’une valeur authentique aux constatations, car les contestations à l’égard de l’huissier deviendraient éminemment subversives, et tendraient à remettre en question la profession même.

Cependant, il est une évolution qui vient d’être entérinée par décret, sur laquelle il nous faut revenir.

 

2) Le constat et l’article 1441-4 NCPC : une mutation dans la nature du constat ?

Le décret du 28 décembre 1998 a en effet introduit dans le livre troisième, au titre IV ayant trait aux obligations et aux contrats, un sixième chapitre concernant la transaction. Celui-ci est composé d’un seul article, susmentionné, qui dispose que "Le président du tribunal de grande instance, saisi sur requête par une partie à la transaction, confère force exécutoire à l’acte qui lui est présenté". A priori peu de choses à voir avec le procès-verbal de constatations.

Pourtant il a partie liée avec ce domaine de la transaction, en ce qu’il peut constituer son support. Nous pressentons de suite les dénégations, qui vont nous conduire à élaborer le domaine de l’homologation d’une transaction issue d’un procès-verbal de constat : non, l’huissier aux termes de l’article 240 NCPC sur les mesures d’instruction exécutées par un technicien, ne peut se voir confier par le juge une mission de conciliation des parties. Par le juge certes, mais qui l’en empêcherait au terme d’un constat à la requête d’un particulier ? A nouveau, on peut arguer que ce qui vaut pour la déontologie de la mission de constatations sur commission, doit être reconduit pour ceux à la requête de particuliers. C’est un débat sans fin, fait pour des jusqu’au-boutistes. Mais à notre avis, si les parties ont décidé de confier à un huissier de justice la mission de procéder à des constatations, qu’ainsi requis il procède de manière impartiale aux diligences, on se demande pour quelle raison autre que de clocher, l’on pourrait refuser aux parties le choix de décider de proroger la mission de constatations en une transaction.

Abondent dans notre sens, d’abord l’article 127 NCPC, qui dispose que "Les parties peuvent se concilier d’elles-mêmes ou à l’initiative du juge, tout au long de l’instance". Dans un raisonnement a fortiori, il en découle qu’en dehors de l’instance, les parties, fort heureusement, peuvent se concilier. A un autre titre, cette transaction est également possible : depuis l’entrée en vigueur du décret n°96-652 du 22 juillet 1996, est instituée la procédure de médiation intégrée dans le nouveau code de procédure civile, aux articles 131-1 à 131-15. Or, rien n’empêche un huissier de justice (de lege lata), de s’instituer en médiateur, ce d’autant qu’il est rompu à ce genre d’exercice, et qu’existent des formations privées afférentes à la matière : l’article 131-5 NCPC, ne dispose-t-il pas qu’il doit "justifier, selon le cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation ; présenter les garanties d’indépendance nécessaires à l’exercice de la médiation" ? Et de même que pour la transaction exécutoire, l’article 131-12 NCPC dispose que "Le juge homologue à la demande des parties l’accord qu’elles lui soumettent.

L’homologation relève de la matière gracieuse ".

Nous n’entrerons pas ici dans un débat exégétique entre le fait de "conférer force exécutoire" et d’ "homologuer la demande".

Enfin, il est une autre disposition qui a fait grand bruit. En effet, la loi n°99-957 du 22 novembre 1999 a introduit dans l’article 3 de la loi du 9 juillet 1991 sur les procédures civiles d’exécution, une nouvelle catégorie de titres exécutoires : "Ainsi que les transactions soumises au président du tribunal de grande instance…". Cependant, il est à préciser que la Cour de Cassation a de suite exposé que de telles transactions ne pouvaient être utilisées aux fins, notamment d’engager des mesures d’expulsion, ce qui met un sérieux doute sur l’effectivité d’une telle…, on n’ose l’appeler décision, transaction.

C’est ainsi que se posent les termes du débat actuel sur cette question de la transaction exécutoire, dont l’un des pionniers, Me J..J. Hulaud, a pu constater les perspectives méritoires de manière empirique, ce qui situe l’huissier de justice de plein pied, en tant que véritable auxiliaire de justice.

La mutation que l’on évoquait auparavant va tout naturellement découler de ce que les constatations ne seront plus de simples renseignements, mais seront contractualisées, et donc "authentifiées" par un juge, qu’est le président du tribunal de grande instance. C’est une reconnaissance, tant du travail poussé au service de la justice, que de l’effort de parties pour se concilier : qui peut trouver à redire à cette solution de désengorgement, qui est loin d’être purement démagogique et idéaliste ? Il est à se remémorer les diatribes qui sont nées sur la forme de cette transaction exécutoire, qui n’est qu’un contrat, même s’il est judiciaire. Certes cette modalité n’entre pas dans les canons du droit judiciaire privé qui font du juge le personnage stratégique ; est-ce à dire que de façon manichéenne, un juge doit juger, et un huissier exécuter ? Les fonctions ne doivent-elles pas permettre d’être avant toute chose à l’écoute, des justiciables bien sûr, et donc des concepts devant être proposés, du droit d’invention au service de la justice ? Ce n’est pas tant la fonction de juger qui doit être mise en avant que la résolution des litiges ; simplement la France et les Français sont dans leur ensemble par trop attachés au symbolisme, parfois jusqu’au fétichisme ; ce n’est là ni un gage de bonne justice, ni de progressisme. Il ne faut pas tuer dans l’œuf une institution dont les avantages sont indéniables.

 

A.     Une hégémonie du constat ?

Dès à propos, il convient de signaler que l’institution du procès-verbal de constat est unique en son genre. D’une part parce qu’elle s’inscrit dans une procédure de droit écrit, ce qui a priori est un obstacle dirimant, sinon existentiel, face aux droits anglo-américain et anglo-saxon. D’autre part, du fait que de manière empirique, cette institution a été plébiscitée en la fonction de l’huissier de justice, laquelle fonction, si elle est connue de toute personne vivant en France, est quasiment inconnue en Europe et dans le monde. Comment se présente la situation, et quelles sont les solutions ou la prospective en la matière ?

 

1.      Le constat et l’Europe :

A l’heure de la pensée d’un titre exécutoire européen, de l’entrée en vigueur du règlement du 29 mai 2000 sur les modalités de signification et de notification dans les Etats membres de la Communauté Européenne, des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, il convient de nous pencher sur la création d’un constat européen.

On vient de voir dans la note précédente, que s’il y avait une certaine présence de l’institution en Europe, ce n’était qu’avec parcimonie. Il faut également préciser le fait que par ailleurs, elle ne revête pas la même coloration : il n’y a pas d’identicité dans la réalisation de la mission, ni dans les constats par eux-mêmes. Parfois ils sont mixtes, c’est à dire qu’il y a présence de constats sur commission judiciaire et de ceux sur réquisition de particuliers ; dans d’autres seulement des constats sur commission de justice. Les pouvoirs de l’agent constatant ne sont pas non plus les mêmes : cela rend compte de la disparité statutaire des huissiers de justice, si tant est qu’ils soient ainsi dénommés. En effet, ils sont aussi dits officiers judiciaires, d’une appellation générique, en ce qu’un statut administratif est souvent leur apanage. Un constat : l’harmonie n’est pas au beau fixe. Si l’idée a été lancée depuis plus d’une quinzaine d’années d’une unification à tout le moins formelle du procès-verbal de constat, rien n’a été élaboré concrètement en ce sens. Il est vrai que dès lors que l’on approche de près ou de loin la sphère des pouvoirs régaliens de l’Etat, tout consensus devient beaucoup plus difficile. On imagine aisément que rien n’est plus concret à un niveau supérieur.

 

  1. Le constat au plan international :

M. Delattre a élaboré lors du congrès international des huissiers de justice, et officiers judiciaires de Montréal en 1985, une prospective de constat international, de "constat universel". En effet, malgré l’obstacle que pourrait a priori constituer le caractère écrit de notre procédure, et celui réciproque du caractère purement oral de la procédure aux Etats-Unis, pour prendre l’extrême contrepoids, il s’avère qu’une certaine compatibilité serait possible ; l’auteur nous démontre ceci à travers la relation d’une expérience personnelle d’un constat réalisé et ayant été pris en considération (une première) par un tribunal de l’Etat de l’Illinois, ou seul le témoignage oral est retenu pour apporter la preuve de la matérialité d’un fait.

Malgré tout il est à préciser que le constat n’a pas fait preuve en tant que tel, mais par l’intermédiaire du témoignage de l’huissier instrumentaire. Il a toutefois été retenu comme "souvenir passé enregistré" ou past recollection recorded. Au soutien de la reconnaissance de l’écrit, le tribunal avait retenu que la seule justification pour l’admissibilité d’un écrit concernant le passé est la probabilité de son exactitude ; des propos laudatifs au sujet du procès-verbal de constat sont exprimés, notamment sur l’objectivité clinique des constatations.

 

Voilà l’essentiel de ce que l’on peut exprimer sur l’aspect international du constat, ce qui, on le conçoit, est bien peu de choses en vérité. Il y a certes un alignement des pays d’Afrique francophones sur le constat français, mais au-delà rien qui soit effectué dans le but d’une unification. Traditionnel manque de moyens ou bien conflits d’intérêt ? Il ne nous semble pas opportun d’entrer dans une telle polémique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous avons voulu montrer qu’à travers le procès-verbal de constat, l’huissier de justice a su se montrer réellement au service de la justice, avec ses erreurs du passé, certainement celles qui sont encore à découvrir, mais aussi avec tout le panel de réussites qui sont attachées à cette institution. Il participe ainsi pleinement à la mission de justice, et en particulier par le caractère mélioratif qu’il apporte en étant à l’écoute et au cœur-même de la société, ce qui lui permet de suivre les évolutions et d’innover dans les schèmes de la preuve et partant, de la résolution des différends.